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Un Officier de l'Empereur Charles-Quint s'étant préfenté devant François I, pour lui faire une harangue, la commença ainfi : » Quand le » grand Scipion arriva devant Carthage, Si"re"... Le Roi se levant tout d'un coup de fon fiege, lui dit: Après, après, on fait bien qu'il ne vint pas à pied, il vint à cheval. Corozet.

Les Députés de Marfeille, voulant haranguer Henri IV, & mettre leur érudition à profit, commençoient leur difcours par ces paroles: Annibal partant de Carthage. A ces mots, lePrince les interrompant, leur dit : » Annibal "partant de Carthage, avoit diné, & je vais en » faire autant".

Trois Députés des Etats de Bretagne, étant venus pour haranguer le Roi, l'Evêque, qui étoit le premier, oublia fa harangue, & ne put en dire un feul mot. Le Gentilhomme qui le fuivoit, fe croyant obligé de prendre la parole, s'écria Sire mon grand-pere, mon pere, & moi, fommes tous morts à votre service. Le Roi fe retourna en difant qu'il n'entendoit pas les harangues des morts. Menagiana.

Chriftine, Reine de Suede, ayant écouté une harangue, dont la longueur l'avoit ennuyée, M. Voifin la fupplia de témoigter fa fatisfaction à celui qui l'avoit faite. Cela eft jufte, dit-elle, quand ce ne feroit qu'à caufe qu'il vient de finir.

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Un Maire, chargé de haranguer Louis XIV à la porte de la ville, lui préfenta les clefs:» Sire, » lui dit-il, la joie que nous avons en voyant » Votre Majefté, eft fi grande, que "... Il fut alors fi interdit, qu'il rappella en vain fa mé moire. Un Seigneur, pour le tirer de ce mauvais pas, lui dit: » Oui, la joie que vous avez eft fi grande, que vous ne pouvez l'exprimer ".

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M. le Prince (le grand Condé ) devoit paffer par une petite ville de Bourgogne. Le jour venu, la ville s'étant mife fous les armes, le Maire, en robe à la tête des Echevins, alla recevoir M. le Prince à la porte: » Monfeigneur, lui dit»il, de toutes les villes qui ont l'honneur d'être » dans le Gouvernement de votre Alteffe Séré» niffime, la plus petite feroit ravie de vous » faire connoître qu'il n'y en a point qui ait un » fi grand zele. Elle fait qu'un moyen infaillible » de plaire au guerrier le plus grand de notre » fiecle, c'eft de le recevoir au bruit d'une nom» breuse artillerie; mais il nous a été impoffible » de faire tirer le canon, par dix-huit raisons. » La premiere, c'eft, Monfeigneur, qu'il n'y en » a point, & qu'il n'y en a jamais eu en cette » ville Je fuis fi content de cette raison, dit M. le Prince, que je vous quitte des dix-fept

autres.

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Ce même Prince paffant par la ville de Sens, fut harangué par l'Abbé Boileau, qui étant alors Doyen de la Cathédrale de Sens, fut chargé de porter la parole à la tête du Chapitre. M. le Prince voulant fe procurer le plaifir de déconcerter l'Orateur, affecta d'avancer la tête du côté du Doyen, comme pour le mieux entendre, mais en effet pour le faire manquer. L'Abbé Boileau, qui s'apperçut de la malice, feignit d'être étonné & interdit, & commença ainfi fon compliment avec une crainte affectée: » Mon» feigneur, votre Alteffe ne doit pas être fur» prife de me voir trembler en paroiffant devant » elle à la tête d'une compagnie d'Eccléfiafti» ques; car fi j'étois à la tête d'une armée de "trente mille hommes, je tremblerois bien davantage". M. le Prince, charmé de ce débat

qui annonçoit un homme d'efprit, embraffa l'Orateur; & quand on lui eut dit que c'étoit le frere de Defpréaux, il redoubla fes careffes, & le retint à dîner.

Le Maire d'une petite ville ne pouvant fortir d'une harangue qu'il avoit commencée, un de nos Rois qu'il haranguoit, las de le voir en peines, lui dit: Finiffez en trois mots. Le Maire s'arrêta tout court, puis il s'écria: Vive le Roi.

Louis XIV, paffant par Rheims en 1666, fut harangué par le Maire, qui, lui préfentant des bouteilles de vin avec des poires de rouselet se ches, lui dit : » Sire, nous apportons à Votre » Majefté notre vin, nos poires & nos cœurs; c'eft ce que nous avons de meilleur ". Le Roi lui frappa fur l'épaule, en lui difant : Voilà comme j'aime les harangues.

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Un bourg connu dans la Province par une foire d'ânes qui s'y tient tous les ans, avoit député for Magiftrat au-devant d'un Prince, pour le haranguer. Un Courtifan, de la fuite de ce Prince, s'appercevant que la harangue commençoit à l'ennuyer, crut devoir faire diverfion à l'ennui, en demandant à l'Orateur, combien les ânes valoient dans fon pays? Celui-ci s'arrêta, & après avoir regardé depuis les pieds jufqu'à la tête celui qui faifoit cette demande déplacée : » Quand ils font, lui répondit-il, de votre » poil & de votre taille, ils valent dix écus". Et it reprit le fil de fa harangue.

Les harangeres de la halle à Paris, ont quelquefois eu la liberté de complimenter la famille Royale. Lors de la convalefcence de Monfeigneur, après une maladie qui faifoit beaucoup craindre pour les jours, les harangeres députerent quatre de leur troupe à Versailles, pour lui

faire compliment fur fa convalefcence. Ces Ambaffadrices, fe préfenterent à la porte de fon appartement; mais l'huiffier ne jugea pas à propos de les faire entrer: ainfi elles s'en retourne→ rent fort mécontentes. Le foir on rendit compte au Roi du concours de monde qui étoit venu pendant le jour, & l'on ne manqua pas de lui parler des harangeres. Sa Majesté dit qu'on avoit eu tort de leur refufer la porte, & que leur zele méritoit qu'on leur laiffât voir Monfeigneur. Les harangeres furent, le lendemain matin, ce que le Roi avoit dit ; elles affemblerent leur confeil, & une nouvelle députation fut réfolue. Auffi-tôt que leurs Excellences furent arrivés à Versailles, & qu'elles fe préfenterent à la porte de Monsei. gneur, on les introduifit en cérémonie dans fon appartement, & l'on fut en avertir le Roi, qui s'y rendit pour entendre leur harangue. Sa Majefté les trouva à genoux devant Monfeigneur, qui étoit tout debout, en robe-de-chambre. L'une lui baifoit les pieds, l'autre le bord de fa. robe: ce Prince fouffroit cela patiemment. Pendant que les unes s'occupoient à lui baiser les pieds, une autre difoit fort cordialement : Que ferions-nous devenues, fi notre cher Dauphin fût mort? nous aurions tout perdu. · Oui, répliqua la quatrieme; tu as raifon, nous aurions tout perdu; car notre bon Roi n'auroit jamais pu furvivre à son fils, & il feroit fans doute mort de douleur. On admira la politique de cette femme, qui redreffoit fa compagne, de peur que le Roi ne fût jaloux de l'affection qu'elle témoignoit à Monfeigneur. Sa Majesté ordonna qu'on leur donnât un de fes carroffes pour les promener par-tout, & qu'on leur fis voir tout ce qu'il y a de beau à Versailles. Elles

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fouhaiterent d'aller entendre Vêpres à la Chapelle, & on les placa toutes les quatre dans un banc de Ducheffes. Monfeigneur leur fit donner vingt louis, & le Roi autant. Après quoi, comblées de biens & d'honneur, le carroffe du Roi les ramena à Paris. On leur fit traverser la ville d'un pas d'Ambassadeur, & on les conduifit de ce train-là à la halle, où elles furent rendre compte à tout leur corps de l'heureux fuccès de leur voyage. On les conduifit enfuite chacune dans fa maifon. Le lendemain elles s'affemblerent encore pour voir à quoi elles employeroient les quarante louis qu'on leur avoit don nés, & elles délibérerent de les employer à faire chanter un Te Deum pour la convalefcence de Monfeigneur : ce qui fut exécuté dans l'Eglise de Saint-Eustache. Lettres de Madame Dunoyer.

HISTOIRE.

L'HISTOIRE eft le livre des Rois : c'est leur confeiller le plus fidele; mais il faut qu'elle foit écrite par des hommes libres & amis de la vérité. Il a toujours exifté, & il existe encore en Chine, un tribunal hiftorique, chargé par une loi fondamentale, de configner dans les faftes de l'Empire les vertus & les vices du Monarque régnant. L'Empereur Tui-t-fong ordonna un jour à ce Tribunal de lui montrer l'histoire de fon regne. Tu fais, lui dit le Préfident, que nous donnons un récit exact des vertus & des vices de nos Souverains; & nous ne ferions plus libres de dire la vérité, fi tu jettois les yeux fur nos dépôts. Quoi! reprit l'Empereur, tu veux transmettre à la postérité l'histoire de ma vie?

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