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Des plus fortes. Malgré les soins qu'on apporta,
Au bout de quatre mois la fièvre l'emporta.

Je voulus vivre alors avec magnificence;
Enfin, je fais si bien par ma folle dépense,
Que je vois tout mon bien s'éclipser chaque jour;
Il venait de la flûte, il retourne au tambour;
C'est l'ordre. Je reprends mes premières allures ;
Il m'arrive par fois de bonnes aventures;
Par fois aussi les tems et la nécessité

Me font à juste prix prodiguer ma beauté.

Mon fils se faisait grand : dès sa quinzième année, Il fit voir qu'il avait l'âme noble et bien née; I jaspinait argot encor mieux que français, Il volait joliment, il avait du succès. Peut-être il me sied mal de tenir ce langage, Mais à la vérité je dois ce témoignage. Il avait des vertus, et si de ses beaux jours, La justice, à Paris, n'eût abrégé le cours, Sans doute aux grands exploits son âme accoutumée, Eût de Cartouche un jour atteint la renommée.

Je continuai donc pendant un fort long tems Et mon train ordinaire, et mes doux passe-tems. Un jour, des jeunes gens chez moi firent tapage, Ce qui scandalisa très fort le voisinage; La justice l'apprit par certain animal, Et voulut, sans pitié, me mettre à l'hôpital.

Jà la brunette nuit développant ses voiles, Conduisait par le ciel le grand bal des étoiles. Je vois entrer le guết daus ma chambre, en vertu D'un pouvoir souverain dont il est revêtu.

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Trois de mes protecteurs s'arment pour me défendre, Mais le nombre l'emporte, et les force à se rendre,

Que les archers sont fiers quand ils sont les plus fortst
Je dis au caporal: Monseigneur le recors,
Pourrais-je vous toucher avec ces dix pistoles?
Son âme s'attendrit à mes douces paroles.
Allez-vous en, dit-il, sauvez-vous promptement,
Mais sortez de Paris dès ce même moment.
Je dirai que dès hier vous êtes délogée.
A suivre ce conseil j'étais trop engagée;

Je prends sans balancer ce que j'avais d'argent,
De papiers, de bijous, et d'un soin diligent,
Tous quatre de Thémis appréhendant les pattes,
Sans bruit nous faisons Gille avec nos dieux pénates,
Ou, pour parler plus juste, avec nos nos dieux pénaux,
Je fis à mes amis présent de trois anneaux :
C'est-à-dire à chacun d'une bague assez belle;
Je les quitte, et depuis n'en ai point eu nouvelle.
Je me trouvais en fonds par mes soins, dieu merci ;-
Laverne m'inspira de m'établir ici;

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De bien d'autres faveurs je lui suis redevable,
Depuis longtems j'y mène une vie agréable ;
L'âge, tous mes desirs a su moriginer.
Dit-on moriginer, ou bien morigéner,

Dit Cartouche? Ma foi, dit l'autre, peu m'importe.
Je passe, mon enfant, mes jours de cette sorte.
A votre tour, daignez m'apprendre maintenant
Ce que vous avez fait de beau, de surprenant;
J'en sais déjà beaucoup. L'agile renommée
De vos faits valeureux m'a souvent informée ;
Mais sa maudite langue en sa légèreté,
Barbouille le mensonge avec la vérité.

Déesse des voleurs.

1

Jasez-donc : faites-moi cette faveur extrême ; :
Vous seul pouvez parler dignement de vous-même,
Par avance mon cœur se sent d'aise émouvoir.
Vous avez, repliqua Cartouche, tout pouvoir;
Et puisque vous voulez un récit de ma vie,
Je vais, si je le puis, contenter votre envie.
Là dessus, il se met à rêver un petit,
Et puis d'un air aisé, commence son récit,
Comme nous l'allons voir dans le champ quatrième
De ce très véridique et merveilleux poëme.

CHANT QUATRIÈME.

MON père est tonnelier, nous sommes trois enfans Je suis l'aîné de tous. Dès mes plus jeunes ans Mon père ayant de moi la plus haute espérance, Avec un soin extrême éleva mon enfance; Heureux, si de ses soins j'avais su profiter ! Mais le mauvais exemple ayant su m'emporter, Ruisseau sale et bourbeux d'une si pure source, Dès l'âge de onze ans, je fus coupeur de bourse, Par deux petits fripons je fus embabouiné; Sans presque le vouloir, je me trouve entraîné ; Faute de résister, je tombe dans le piège. J'allais assidûment néanmoins au collége. On apprit de mes tours. Quoiqu'ils fussent gentils, On me fouetta de peur qu'il ne m'arrivât pis; Je m'enfuis de Paris', je quitte père et mère, Trouve des bohémiens qui me font grande chère,

Me disent que je dois m'enrôler avec eux,

Et qu'étant de leur corps, je vivrai trop heureux.
Nous menous, disaient-ils, une agréable vie,

Nous mangeons, nous dormons au gré de notre envie ;
Nous sommes, par notre art, maîtres de l'univers,
Nous jouissons des fruits, des fleurs, des arbres verts,
Des plus riches moissons nos mainssont toujours pleines
Nos maisons sont les bois, nos jardins sont les plaines;
Occupés du présent, et peu de l'avenir,

La nature prend soin de nous entretenir;
Le ciel, pour nos besoins, rend la terre féconde;
Nous rappelous le tems de l'enfance du monde ;
Bref, nous possédons tout, et riches nous vivons,
Sachant nous contenter de ce que nous trouvons.
Le récit des plaisirs d'une si douce vie,

De marcher sur leurs pas me fit naître l'envie ;
Saps tarder plus longtems, je me lie avec eux,
Nous courons le pays pendant un an ou deux;
Pillons Orléannais, Champagne, Picardie;
Mais nos gains les plus grands furent en Normandie :
Ce fut là que j'appris cent tours que j'ignorais;
Enfin, vers ma fortune, à grands pas je courais,
Deux ou trois ans encore, elle eût été bien grande,
Mais certain parlement vint dissiper la bande,

Je me sauve à Rouen ; que j'étais peu sensé !
Pauvre cervelle! A-t-on jamais plus mal pensé ?
Chercher parmi l'effroi, la guerre et les ravages,
Un
In port au même lieu d'où partaient les orages!
A Rouen cependant je trouvai mon salut

Un oncle que j'avais, et qui me reconnut,

Sut tant prêcher, qu'enfin il me mène à mon père,
Après s'être fait fort d'apaiser sa colère.

6

Nous partons pour Paris. Mon oncle fait ma paix ;
Je dis que je voulais vivre mieux désormais.
A changer tout de bon j'applique mes pensées ;
J'avais quelques remords de mes fäutes passées ;
Je voulus rappeler l'honneur, la probité,
Et j'admirais du ciel quelle était la bonté,
De m'avoir retiré du bord du précipice.
Le destin de Cartouche est de suivre le vice,
Mais son cœur était fait pour aimer la vertu.
Chez mon père j'étais bien nourri, bien vêtu,
Je travaillais sous lui d'une ardeur sans seconde,
Mon assiduité ravissait tout le monde :

Mais las! vous le dirai-je! un accident fatal,

En moins d'un tourne-main, changea ce bien eu mal; Adieu mes beaux projets, que jeunesse est légère! Dans notre rue était une jeune lingère ;

Ah! quelle était gentille, et que son air vainqneur,
Par une douce force.assujettit mon cœur !

Elle avait l'œil fripon, la mine un peu coquette.
La bouche bien garnie, et la gorge bien faite,
Le teint assez uni, et les cheveux blondins,
Le pied assez petit, le geste assez badin,

Un gracieux sourire, une humeur gaie et franche,
Un minois enchanteur, une peau douce et blanche;
Ces
yeux charmans, ces yeux de feu tout pétillans;
Quand la friponne veut, qu'elle les a brillans!
Un dimanche, voyant la boutique entr'ouverte,
J'entre;
elle était bras nus, gorge assez découverte,
Couverte assez pourtant pour faire désirer ;
Je sentais trop d'amour pour pouvoir différer.
Que ne fis-je point lors pour vaincre tant de charmes
Je soupirai, pleurai : car j'ai le don des larmes.

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