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Parmi ceux de la bande était certain voleur,
Nommé le Févre, ayant jadis eu de l'honneur.
Il avait beau se voir de quoi vivre à son aise,
Il lui venait par fois certaine sinderese.
Cependant il n'osait demander son congé,
Et la peur, malgré lui, le tenait engagé.
Il avait eu déjà quelque légère envie
De les découvrir tous pour conserver sa vie,
Etant sur de sa grâce après cette action,
Et d'exercer après quelque profession.

Le pénétrant Cartouche, avec sa défiance,
Résolut, saus tarder, d'en obtenir vengeance,
Etant très convaincu que dans l'état présent,
Le plus léger soupçon devenait suffisant,

Et qu'il valait bien mieux, dans un doute semblable, Perdre cent innocens que sauver un coupable,

Revenant de souper, le pauvre malheureux,
Trouve en chemin Cartouche assez près des Chartreux:
Lequel, accompagné de Gripaut, de la Branche,
Et de Duchâtelet; au dessus de la hanche

Lui plonge son poignard; et, secondé des siens,
Le fait galopper vite aux champs élisiens.
Son âme en un instant de son corps se sépare.
Soudain Duchâtelet, d'une façon barbare,
Vous lui tire le coeur, l'attache sur son sein,
Puis met un écriteau griffonné de sa main,
Avec ces mots qu'avait dictés le capitaine :

« Qu'on ne nous taxe point de fureur inhumaine, » L'équité seule a fait ce que vous pouvez voir. » Pour apprendre à chacun à remplir son devoir. » De ses remords, le Févre a reçu le salaire; » Ainsi puisse périr tout traître, tout faux-frère. »

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Après cette action, le chef revint content. Il nous fallait, dit-il, ce supplice éclatant; Il importe au salut de notre république.

Or, un jour qu'il faisait chez lui leçon publique,
Certain jeune garçon se présente à ses yeux,
Qui, d'abord adressant la parole au plus vieux :
Est-ce là le seigneur Cartouche ? C'est lui-même.
Monsieur? je suis tout vôtre, et ma joie est extrême
De pouvoir saluer en toute humilité

Cet homme dont le nom est partout si vanté :
Je brûle dès longtems d'être de vos confrères,
Et de m'initier dans vos sacrés mystères.

Mon père jusqu'ici ( c'est un ladre, un vieux fou),
Ne m'a jamais, monsieur, lâché le moindre sou;
Mais j'espère avec vous gagner force pistoles.
Cartouche, à ce discours, répond par ces paroles:

C'est en vain, mon enfant, qu'un timide voleur Croit de l'art de voler atteindre la hauteur, S'il ne sent pas du ciel l'influence admirable, Si son astre, en naissant, ne l'en forma capable: Dans les moindres dangers il est toujours craintif ; Pour lui Laverne est sourde et Mercure est rétif.

O vous donc ! qui brûlant d'une ardeur périlleuse,
Courez des grands voleurs la carrière épineuse,
Ne venez pas ici ce bel art ravaler,

Ni prendre pour valeur une ardeur de piller;
Craignez, craignez du gain les trompeuses amorces;
Et consultez longtems votre cœur et vos forces,
Si vous prétendez être un voleur achevé:

Il y faut longue étude et travail cultivé,
Ce métier-ci n'est pas si facile qu'on pense,

Mon fils, la vie est courte, et longue est la science.

Pourquoi faut-il que l'homme, au trépas destiné, Pour devenir savant ait un tems si borné!

Pendant qu'un double siècle en ra vile nature,

Une corneille, un cerf, paît, vole, vit,

pâture. Vous avez, j'y consens, quelques sots détioussés Reçu quelques coups, soit, mais ce n'est pas assez : Détrompez-vous ; tel croit être homme de courage, Qui n'en a que le nom. Que c'est un rare ouvrage Qu'un voleur achevé ! qu'un héros tel que nous ! Mais on en voit si peu! je crève de courroux,

Quand je vois cent poltrons dans le siècle où nous sommes, Auprès de nos pareils se croire de grands hommes. Voyons si vous avez bonne vocation,

Et contez-nous un peu quelque rare action.

Je ne vous dirai point, répondit le jeune homme, Que j'aie encore atteint à quelque grosse somme. J'ai fait de petits vols que je compte pour rien ; Mais j'en crois mon courage, et j'en augure bien : D'une noble chaleur je sens ron âme atteinte. Jeune et dans l'âge heureux qui méconnaît la crainte, Je suis prêt d'affronter les périls les plus grands; Ma jeunesse, mon cœur, m'en sont de surs garants: Avant que deux moissons jaunissent les campagnes, Avant que deux hivers blanchissent les montagues, De tous vos ennemis je veux être l'effroi : Votre exemple est d'ailleurs une règle pour On dit, vous le savez, que votre destinée, Dans la Grève, en sa fleur, doit être moissonnée; Malgré le pronostic, on voit votre grand cœur Courir après la gloire. Ah! voulez-vous, monsieur, Que méprisant honneur, et valeur et richesse, J'attende chez mon père une obscure vieillessc?

moi.

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Je sais faire à propos un coup d'estramaçon,
C'est un mort bien complet qu'un mort de ma façon.
Mais vous pouvez périr voulant suivre Bellone:
Eh bien! je périrai, si le destin l'ordonne;

C'est un point résolu, l'on m'en détourne en vain,
Je ne saurais périr pour un plus beau dessein.

Vous promettez assez, repart le capitaine;

Mais chez vous, mon enfant, je veux qu'on vous ramène:
Allons chez le papa; s'il n'en use pas mieux,
Vous pourrez me venir retrouver en ces lieux.
Partons. Chemin faisant, le menant à son père,
Il tire de sa poche une somme légère,
Prenez ceci; prenez, et tâchez cependant

D'ê re, si vous pouvez, plus sage et plus prudent.
Monsieur, dit-il au père, approchant de sa couche,
Je ne suis pas connu de vous, je suis Cartouche,
Votre fils est venu me trouver aujourd'hui,
Grâce au bon naturel que vous avez pour lui:
Jamais il n'a de vous reçu la moindre obole!
Il faut aux jeunes gens donner quelque pistole,
S'entend avec prudence et mesure, autrement,
La jeunesse se perd indubitablement ;

Si j'avais, comme un autre, nue âme làche et basse,
Voyez quelle eût été, monsieur, votre disgrâce !
Ne le querellez point; il faut lui pardonner;
Il va vivre autrement, et se mieux gouverner;
J'en réponds. Que l'amour paternel vous touche:
Je suis, de tout mon cœur, votre valet, Cartouche.

Le pauvre vieux bonhomme, étendu dans son lit, A peine respirait, de fray eur interdit :

Il en eut tout au moins la fièvre trois semaines;
Il promet à son fils d'oublier ses fredaines.

Cartouche.

Cartouche ne songeait qu'à mettre à plein effet
Son important dessein touchant le Châtelet.
Il arrange si bien cette affaire secrète,

Qu'il compte que dans peu c'est une chose faite :
Le coup est grand, dit-il, mais pour
être approuvés,
De semblables projets veulent être achevés.

Son cadet vint un jour le trouver chez sa belle :
Ah! mon frère, apprenez une triste nouvelle,
Le pauvre Belle-Humeur vient d'être repassé
Par trois marauds d'archers; il est même blessé :)
S'il n'eût couru bien fort, c'était fait de sa vie.
Quoi! le coquin a fui? dit Cartouche en furie ;
Le poltron, le faquin montre si peu de cœur?
Ah! que m'apprenez-vous? ciel! où donc est l'honneur?
Le lâche a donc perdu tout le soin de sa gloire?
Fuir devant trois archers! non, je ne le puis croire.
Hélas! il fallait bien malgré lui qu'il courût ;

Que vouliez-vous qu'il fit contre trois?-Qu'il mourût.
Qu'il tentat tout, du moins, pour avoir l'avantage :
On vient à bout de tout avec un grand courage.
Un jour il m'en souvient, attaqué seul par trois,
J'en laissai deux sans vie, et mis l'autre aux abois.
Le perfide mourra de mes mains, je le jure;

Me punisse le ciel, si je deviens parjure:

Oui, je le jure encor; ces mains, ces propres mains, Effaceront l'affront de nos Cartouchiens.

Cartouche se sentant suffoquer par la bile,

Descend pour prendre l'air, va jusques hors la ville,
Où cherchant sur quelqu'un à passer son chagrin,
Sur différens passans il fait quelque butin.
Enfin, las, fatigué de battre la campague,
Il voit une maison au bas d'une montagne,

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