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JE chante les combats et ce fameux voleur,
Qui, par sa vigilance et sa rare valeur,
Fit trembler tout Paris, arrêta maint carrosse,
Vola, frappa, tua, fit partout plaie et bosse.

Muse, raconte-moi par quels heureux hasards
Il trompa si souvent les exempts, les mouchards,
Et comme enfin, après tant de vaines poursuites,
Il reçut le loyer de ses rares mérites.

Dans Paris, ce beau lieu toujours si fréquenté,
Personne ne pouvait marcher en sureté;
Cartouche et ses suppôts, de richesses avides,
Remplissaient la cité de vols et d'homicides.
Les archers les plus fiers et les plus valeureux,
Abattus, consternés, n'osaient marcher contre eux.
Cartouche était pour lors à la fleur de son âge,
Brun, sec, maigre, petit, mais grand par le courage ;
Entreprenant, robuste, et rempli de valeur,
A travers les périls il courait sans frayeur;
Il avait de vigueur provision très ample.

Marchait toujours devant, montrait à tous l'exemple,
S'il se faisait en tout vingt vols sur le Pont Neuf,
Cartouche, pour sa part, en rapportait dix-neuf.
Heureux si ce grand coeur détestant l'injustice,
Eût fait pour la vertu ce qu'il fit pour le vice.

Ses compagnons savans à faire un digne choix,
L'avaient élu pour chef d'une commune voix,

Aussi méritait-il cette honorable place.

Quoique jeune, il avait cette ardeur, cette audace,
Qui sait conduire à fin les plus hardis projets.
Il avait l'oeil à tout, ne reposait jamais :
Soutenant tout le poids de la cause commune,
Et contre la justice et contre la fortune:
Chéri dans son parti, des exempts respecté,
Cédant selon les tems, mais toujours redouté;
Vaillant dans les combats, savant dans les retraites,
Ferme dans le malheur, sobre dans les guinguettes,
Fidèle à ses pareils, tranquille, modéré,

Et des traîtres surtout ennemi déclaré.

Jouait-il quelquefois dans une académie??
Tout le monde admirait sa physicnomie,

Sa douceur, son parler, son air, son doux maintien,
Bref, chacun le prenait pour un homme de bien.
Faut-il que sur le front d'un gibier de galère,
Brille de la vertu le sacré caractère !

Et ne devrait-on pas, à des signes certains,
Reconnaître le cœur des pendards, des coquins?
Mais poursuivons. Un jour, pour eux jour d'assemblée,
La troupe au cabaret par son ordre appelée,
Après que dans son rang chacun se fut placé,

Il leur parle en ces mots, après avoir toussé :

O vous! dont la valeur fut toujours non commune, Vous, qui courant ma bonne et mauvaise fortune, Recherchez le butin avec avidité,

Salut, bou appétit, argent, joie et santé.

Quand j'examine ici, mes très chers camarades,
A combien de périls, à combien d'embuscades
Le destin tous les jours expose nos pareils,
Je ne vous puis trop tôt demander vos conseils.

La

guerre a ses faveurs ainsi que ses disgrâces;
Déjà plus d'une fois retournant sur mes traces,
Tandis que l'ennemi par ma fuite trompé,
Dans ses faibles filets me croyait attrapé,
On m'a vu revenir, chassant cette canaille,
Frapper à droite, à gauche, et d'estoc et de taille.

Mais tous les jours, dit-on, ne se ressemblent pas.
Rien n'est plus incertain que le sort des combats;
J'ai trouvé jusqu'ici le destin favorable,
Je suis encore impris, mais non pas imprenable;
L'histoire nous fournit plus d'up fameux revers;
Tel croyait tout dompter qui fut chargé de fers.
Faut-il quitter Paris pour éviter la griffe,
Et sur le grand trimard aller battre l'antiffe ?
Ou dans la ville enfin ayant tant de réduits
Faut-il dormir les jours et travailler les nuits:
Dois-je fuir de ces lieux? dois-je y braver la foudre?
C'est sur quoi, compagnons, nous avons à résoudre.
Que chacun donc gardant son rang d'ancienneté,
Dise son sentiment en pleine liberté.

Alors, Duchâtelet, fameux soldat aux gardes, Grand mangeur de dindons, grand croqueur dé poulardes, Dit: Puisqu'il est permis de parler librement, Je vais, sans nul détour, dire mon sentiment.

Sachez donc, grand guerrier, sachez, grand capitaine, Que restant dans Paris, votre perte est certaine. On vous guette; on n'entend à chaque carrefour Que: Cartouche est-il pris? Depuis quand? Dequel jour? On ne sait : mais s'il est une fois dans la trape, li sera bien rusé, bien fin, s'il en échappe. Quittez, quittez seigneur, cette ingrate cité, Qui vondrait vous voir mort à perpétuité :

Fartez, et dérobez par une prompte faite,
Votre vie aux fureurs d'une ardente poursuite,
Ce n'est que pour un tems. Vous ne pouvez douter
Des pleurs que ce départ à tous nous va coûter;
Mais si pour vous sauver il n'est que ce remède,
Cette vie est pour nous d'un prix à qui tout cède:
Nous devons craindre tout, nous devons tout prévoir,
Plutôt que perdre en vous notre dernier espoir.
Vous savez qu'on a fait sur vous mainte entreprise,
Tant va la cruche à l'eau qu'enfin elle se brise.
Il faut céder au tems, il faut céder au sort;
Je ne donnerais pas deux liards d'un homme mort.
Que votre cœur fléchisse et se rende à nos larmes ;
Ici votre séjour nous cause trop d'alarmes ;
Le peril est certain, si vous ne vous hâtez,'
Murmurez, plaignez-vous, plaignez-nous, mais partez.
Alors, voulant montrer toute sa réthorique,
Balagny se levant, en ces mots lui réplique :
Ami, tant de prudence entraîne trop de soin.
Je ne sais point prévoir les malheurs de si loin.
Puisqu'enfin notre chef a besoin d'un asile,
En est-il de plus sur que cette grande ville ?
De plus, comment sortir ? Où fuir? Par quel secret?
Tout est gardé; d'ailleurs, on a vu son portrait
Dans les mains des prévôs et des maréchaussées :
On a posté partout des gardes avancées.

Mais, peigneur, les exempts vous sont-ils inconnus?
Non, non, dans les dangers ils sont plus retenus,
Vous les verrez toujours, retournant en arrière,
Laisser entre eux et nous une large carrière.
En quels lieux ferions-nous d'aussi grands coups qu'ici??
Nos projets, grâce au ciel, n'ont-ils pas réussi ?

Pourquoi tenter dehors des courses inutiles,
Quand ces vastes remparts sont pour nous si fertiles?
Chaque nuit, même aux yeux du guet en faction,
Nous mettons tout Paris à contribution.

1

Seigneur, ne craignez point de tristes destinées,' Un trop puissant démon veille sur vos années; On a dix fois sur vous attenté sans succès, Et parmi tant d'exempts il n'est plus de Desgrès. Restez ; de plus en plus rendez-vous formidable; Soyez toujours fameux, et toujours imprenable: Que les archers, pressés de l'un à l'autre bout, Doutent où vous serez, et vous trouvent partout. Allez au bal, au cours, au spectacle, à la foire; Plus grands sont les périls, et plus grande est la gloire. La pousse trouve en vous un fatal ennemi, Plus conjuré, plus craint què ne fut Guilleri* : Bravez tous les revers, forcez tous les obstacles ; Il n'appartient qu'à vous d'enfanter des miracles; Marchez à notre tête, avec ce camp volant, Vous serez redoutable à l'égal de Roland.

Le vaillant Rodomont, cet homme infatigable, Limosin, la Valeur, furent d'avis semblable ; Le beau Pelissier, si conuu dans Lyon, Belle-Humeur, Bras-de-Fer, ce hardi champion, Tous donnèrent leur voix pour rester dans la ville. Cartouche alors se lève, et dit d'un air tranquille: N'en délibérons plus, c'en est fait, mes amis, Je passe au plus de voix, demeurons dans Paris; Remplissons-y ses murs du bruit de notre gloire, Ou, s'il y faut périr (ce que je n'ose croire),

Famenx voleur da 16° siècle,

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