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frappe. Quant à ce baiser supérieur d'un si grand prix et d'une si admirable douceur, je crois que Dieu ne le refusera pas à de pareilles dispositions. Et voici la voie et la marche pour l'obtenir. Nous nous prosternons d'abord à ses pieds, et là, devant le Seigneur qui nous a faits, nous pleurons les péchés que nous avons commis. En second lieu, nous cherchons la main qui nous relève et qui fortifie nos débiles genoux. Enfin, lorsque nos prières et nos larmes ont déjà obtenu ces faveurs, nous osons élever notre tête jusqu'à la bouche même tout éclatante de gloire, non-seulement pour la contempler, mais, je le dis en tremblant, pour l'embrasser, parce que JésusChrist notre vie est devant nous; nous lui sommes unis dans le saint baiser, et par sa bonté nous ne sommes plus avec lui qu'un seul esprit.

6. C'est donc à bon droit que mon cœur vous dit, ô Seigneur Jésus : Mes yeux vous ont cherché, je chercherai, Seigneur, votre visage; dès le matin vous m'avez fait sentir votre miséricorde : quand je gisais dans la poussière, quand je baisais vos adorables pieds, vous m'avez pardonné une vie criminelle. Puis, le

jour s'avançant, vous avez réjoui l'âme de votre serviteur, puisqu'au baiser de votre main, vous m'avez accordé la grâce de bien vivre. Et maintenant que reste-t-il, ô bon Sauveur, sinon qu'en m'admettant avec bonté au baiser de votre bouche dans la plénitude de la lumière et la ferveur du cœur, vous me combliez de joie par la vue de votre visage. Indiquez-moi, ô très-bon, ô très doux, indiquezmoi où vous paissez votre troupeau, et où vous vous reposez à midi. Mes frères, il fait bon d'être ici; mais voilà que la malice du jour vient nous troubler les hôtes, dont on nous annonce l'arrivée, nous obligentà interrompre, mais non à finir cet heureux entretien. J'irai donc au-devant d'eux, pour remplir fidèlement les devoirs de cette charité dont nous parlons: il ne faut pas qu'on nous adresse ce reproche : Ils disent et ils ne font pas. Pour vous, priez pendant ce temps-là, afin que les sacrifices volontaires que ma bouche lui offre soient agréable au Seigneur, qu'ils servent à votre édification et à celle de nos visiteurs, et qu'ils contribuent à la louange et à la gloire de Dieu et de son nom.

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Du triple progrès de l'âme qui se fait par le baiser du pied, de la main et de la bouche du Seigneur.

1. Notre entretien d'hier, il vous en souvient, a roulé sur trois progrès de l'âme, figurés par les trois baisers. Je vais continuer aujourd'hui le même sujet, selon que Dieu voudra bien, dans sa bonté, inspirer son pauvre ministre. Nous avons dit, vous le savez, que ces baisers se donnent au pied, à la main, à la bouche, et qu'ils mènent l'un à l'autre. Au premier commence notre conversion; le second est accordé au progrès, la perfection seule, et une rare perfection, mérite de goûter le troisième. Le livre que j'ai entrepris d'expliquer commence par ce baiser saint que j'ai mis le dernier, et ne parle que de celui-là. C'est moi qui, à son occasion, ai nommé les deux autres. Ai-je eu

raison? vous en jugerez ; et je pense que la suite du discours voulait qu'il en fût ainsi. Celui qui a dit : Qu'il me baise du baiser de sa bouche, a certainement voulu distinguer ce baiser d'un et même de plusieurs baisers, et je serais étonné si vous ne compreniez pas la nécessité de cette distinction. En effet, s'il avait suffi de dire simplement: Qu'il me baise, pourquoi ajouter expressément une formule contraire aux habitudes du langage, et dire : Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche, siuon pour montrer que le baiser sollicité était le plus élevé, mais non le seul? Ne disons-nous pas entre nous Baisez-moi, ou donnez-moi un baiser ? on n'ajoute jamais de votre bouche,

ou d'un baiser de votre bouche. Quand nous nous disposons à nous baiser, nous nous présentons réciproquement la bouche, sans cependant la mentionner nommément. Enfin, l'évangéliste, en racontant que le Seigneur a reçu du traître Judas un baiser, se borne à dire: Et il le baisa, sans ajouter sur sa bouche, ou d'un baiser de sa bouche. Telle est la façon ordinaire d'écrire ou de parler. Il y a donc trois sentiments ou progrès dans les âmes, qui ne sont bien connus et compris que de ceux qui en ont fait l'expérience, puisqu'il leur a eté donné de sentir, autant qu'il est possible dans ce misérable corps, et le pardon de leurs péchés passés, et la grâce pour faire le bien, et la présence même de Celui de qui descendent et ce pardon et ces bienfaits.

2. Au reste, comprenez mieux encore pourquoi j'ai nommé ici le premier et le second baiser. Le baiser, nous le savons tous, est le signe de la paix. Si donc, comme le dit l'Écriture, nos péchés ont établi une séparation entre Dieu et nous ', enlevons la séparation et la paix régnera. Or, en satisfaisant à Dieu pour obtenir notre réconciliation, après avoir détruit le péché qui nous séparait de Dieu, nous obtenons un pardon qui est un vrai baiser de paix. Mais nous ne devons le chercher qu'aux pieds du Sauveur; car notre satisfaction doit être accompagnée d'une humilité et d'une confession qui expient l'orgueil de la transgression.

3. Mais comme pour vivre d'une vie plus pure et agir d'une manière plus digne de lui, Dieu par une grâce plus grande a daigné nous admettre à une sorte de familiarité, nous levons avec confiance la tête de la poussière, pour baiser, selon la coutume, la main de notre bienfaiteur, à la condition toutefois de chercher dans le bienfait reçu, non pas notre gloire personnelle, mais celle du Créateur; et de ne point nous attribuer ses dons, mais de les lui rapporter. Autrement, si vous vous glorifiez en vous et non en Notre-Seigneur, vous montrez clairement que vous baisez non sa main, mais la vôtre, ce qui, dans la pensée de Job, est un crime et une négation de Dieu2. Si donc, au témoignage de l'Écriture, chercher sa propre gloire, c'est se briser la main, il est vrai de dire que c'est baiser la main de Dieu que de chercher sa gloire. C'est ce qui a lieu dans le monde : les serviteurs, voulant demander pardon à leurs maîtres qu'ils ont offensés, leur baisent les pieds, et les pauvres baisent

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la main des riches dont ils reçoivent l'aumône. 4. Mais, comme Dieu est esprit1, et qu'une substance spirituelle n'a aucune partie corporelle qui tombe sous les sens, il se trouvera peut être des gens, qui n'ayant jamais reçu de lui de pareilles faveurs, me demanderont de leur montrer les mains ou les pieds de Dieu et de leur prouver ce que je dis du baiser de ces pieds ou de ces mains. Eh! que me répondrait mon interlocuteur, si je lui demandais de me prouver que le langage de l'Écriture touchant le baiser de la bouche, se rapporte, en effet, à Dieu ? Il me répondra, sans doute, qu'avec une bouche il a aussi des pieds et des mains, ou qu'il n'a ni l'un ni l'autre ; mais assurément Dieu a une bouche, avec laquelle il enseigne toute science à l'homme; il a une main qui distribue la nourriture à toute créature; il a des pieds, dont la terre est l'escabeau, des pieds devant lesquels les pécheurs de la terre, convertis et humiliés, viennent apporter leurs expiations; Dieu, dis-je, a ces membres, non pas en nature, mais dans leurs opérations. L'âme peut donc s'humilier et s'anéantir devant Dieu, par l'aveu de ses fautes, se ranimer et se renouveler par une ardente dévotion, se retirer et se reposer dans une délicieuse contemplation. Celui qui gouverne tout, est tout à tous, et il n'est proprement rien de tout cela, car l'Etre qui existe par lui-même habite une lumière inaccessible; la paix dont il jouit surpasse tout ce qu'on peut sentir 3, sa sagesse est sans mesure, sa grandeur sans bornes et nul homme ne peut le voir sans mourir. Ce n'est pas qu'il soit loin de nous Celui qui est la Vie de tous les êtres, et sans qui rien n'existe au contraire (et quel sujet d'admiration!) rien n'est ni plus présent ni plus incompréhensible. Qu'y-a-t-il de plus présent à chaque être que son essence même ? Et qu'y a-t-il de plus incompréhensible pour lui, que l'essence de toutes choses? Or, Dieu est l'essence de tous les êtres, non pas que ces êtres soient ce que Dieu est, mais parce qu'ils existent, de lui, par lui et en lui". Dieu est donc l'Etre de tout ce qui est, l'Etre causal et non l'être matériel. Ainsi, cette haute Majesté daigne être à ses créatures ce qu'elles sont: aux êtres animés, la vie; aux êtres raisonnables, la lumière; à ceux qui usent bien de la raison, la vertu; à ceux qui triomphent dans les luttes de la vertu, la gloire.

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5. Or, Celui qui d'une seule parole a tout fait, les corps et les esprits, n'a besoin d'aucun organe corporel pour créer, gouverner, administrer, mouvoir, changer, renouveler, et affermir ses œuvres. Les âmes ont besoin de corps et de sens corporels, pour se connaître les unes les autres et pour agir: il n'en est pas ainsi du Tout-Puissant. De sa seule volonté, prompte et efficace, il crée, il coordonne selon son bon plaisir. Celui qui veut, peut autant qu'il veut, et cela sans l'aide des choses corporelles, et sans le secours des membres.

Et quoi ! croyez-vous donc que, pour voir les choses qu'il a faites, il lui soit nécessaire de recourir aux sens corporels ? Rien, non rien absolument ne lui est caché; rien n'échappe à sa lumière partout présente ; et pour connaître, le ministère des sens lui est superflu. Non-seulement sans corps, il connaît tout; mais sans corps, il est lui-même connu de ceux qui sont purs de cœur. La brièveté de ce discours n'en demande peut-être pas encore la fin; mais la sagesse nous conseille d'en renvoyer la continuation à demain.

SERMON V

De quatre genres d'Esprits. L'esprit de Dieu, l'esprit de l'ange, l'esprit de l'homme et l'esprit de la bête.

1. Quatre genres d'esprits vous sont connus: l'esprit animal, l'esprit humain, l'esprit angélique, et l'Esprit divin qui a créé les autres. De tous ces esprits, il n'en est pas qui, soit pour lui-même, soit pour d'autres, soit pour ces deux motifs réunis, n'ait besoin ou d'un corps, ou d'une apparence de corps, excepté pourtant Celui dont toute créature tant corporelle que spirituelle publie les louanges, en disant: Vous êtes mon Dieu, vous n'avez pas besoin de mes biens 1. Au premier un corps est si nécessaire qu'il ne peut subsister sans lui. En effet, l'esprit cesse et de vivifier et de vivre quand l'animal meurt. Pour nous, nous vivons, il est vrai, après notre corps, mais ce n'est qu'avec son aide que nous pouvons atteindre aux moyens de vivre heureusement. C'était l'avis de celui qui disait : Ce qu'il y a de visible en Dieu, est devenu visible par la connaissance que ses créatures en donnent 2; car les créatures, c'est à dire les choses corporelles et visibles, ne nous sont connues qu'autant qu'elles sont perçues par l'intermédiaire des corps. En tant que créatures spirituelles, nous avons donc besoin d'un corps pour acquérir cette science qui nous est comme un degré pour arriver à la connaissance qui rend

1 Psal. XV, 2. 2 Rom., 1, 20.

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heureux. Si l'on m'objecte ici les petits enfants baptisés, dont l'âme quitte le corps avant de connaître les choses corporelles et qui néanmoins entrent dans la vie bienheureuse, je répondrai en deux mots, qu'ils tiennent cette faveur de la grâce et non de la nature. Pourquoi m'alléguer les miracles de Dieu, quand je ne traite ici que des choses naturelles?

2. Que les anges aient besoin de corps, j'en ai la preuve dans cette parole certaine et divine: Tous les anges ne sont-ils pas esprits qui tiennent lieu de serviteurs et de ministres, étant envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut1? Comment, en effet, pourraient-ils autrement remplir leur ministère, surtout auprès d'êtres corporels? Enfin, il n'appartient qu'à des êtres corporels d'aller de côté et d'autre, de passer d'un lieu à un autre; ce que fout fréquemment les anges, comme nous le prouvent des autorités bien connues. C'est ainsi qu'ils se sont montrés aux patriarches, les ont visités, ont mangé, et se sont lavé les pieds: ainsi les esprits célestes, tant supérieurs qu'inférieurs, ont besoin de corps, non pas pour leur utilité propre, mais pour rendre service.

1 Hébr. 1, 14.

3. L'animal par sa destination est esclave et ne peut servir qu'à des besoins corporels et temporels. Voilà pourquoi l'esprit qui est en lui, passe avec le temps et finit avec le corps ; car le serviteur ne reste pas éternellement dans la maison, encore que les maîtres qui en usent bien, profitent de cette servitude passagère pour gagner les biens éternels. Mais l'ange, esprit libre, exerce un ministère de piété; il travaille avec une joyeuse ardeur à procurer les biens à venir aux mortels en qui il voit de futurs concitoyens et des cohéritiers de l'éternelle félicité. Or, tous deux ont certainement besoin de corps, celui-là, pour son service obligatoire, l'autre pour son ministère de bienveillance. Je ne vois pas quels secours ils en pourraient retirer pour l'éternité. Quoique l'esprit irraisonnable saisisse les choses corporelles au moyen d'un corps, est-il capable, à l'aide de ces choses corporelles et sensibles, d'arriver jusqu'à ce qui est spirituel et intellectuel? Nous savons cependant qu'il y amène les hommes, prêtant un secours matériel et passager à ceux qui subordonnent l'usage des biens temporels aux éternels et qui usent de ce monde comme n'en usant pas.

4. L'esprit de l'ange, sans le ministère d'un corps et sans le secours des choses qui ne se perçoivent que par lui, doit à sa seule pénétration et à sa nature si rapprochées de la divinité, d'atteindre les choses les plus relevées et de découvrir les plus cachées. N'est-ce pas ce que l'Apôtre comprenait, quand après avoir dit: Ce qu'il y a d'invisible en Dieu est devenu visible par la connaissance que ses créatures nous en donnent, il ajoute aussitôt : Depuis la création du monde ? C'est qu'il n'en était pas ainsi depuis la création du ciel. Car les vérités qu'un être revêtu de chair et habitant cette terre atteint dans ses progrès et sa marche lente et graduelle, par la considération des choses sensibles, l'esprit qui habite les cieux les saisit rapidement et facilement par la sublimité et la pureté de sa nature, sans le secours d'aucun sens corporel et sans l'aide d'aucun objet matériel. Pourquoi chercheraitil les choses spirituelles dans les choses corporelles, celui qui les trouve et les saisit sans obscurité et sans difficulté dans le livre de vie? Pourquoi celui qui nage dans l'abondance tirerait-il à la sueur de son front, la graine de la paille, le vin du raisin et l'huile de son enveloppe ? Qui s'en ira mendier son pain à la porte des étrangers, s'il en a chez lui à profusion? creusera des puits, s'épuisera à cher

cher jusque dans les entrailles de la terre un filet d'eau, si une riche fontaine lui fournit largement les eaux les plus limpides? Ainsi, ni l'esprit de la brute, ni l'esprit de l'ange n'empruntent de leurs corps aucun secours pour rendre heureuse la créature spirituelle. Le premier en est incapable, puisqu'il est naturellement privé de raison, et le second doit à l'excellence de sa gloire de n'avoir pas besoin de ce concours.

5. A l'esprit de l'homme, placé entre l'esprit le plus élevé et l'esprit inférieur, un corps est manifestement indispensable: sans lui il ne peut ni progresser, ni être utile. Car, sans nommer ici tous les autres membres du corps, ni leurs usages divers, comment sans langue pourriez-vous instruire vos auditeurs ? et comment, sans oreilles, vos auditeurs pourraientils entendre vos instructions?

6. Ainsi donc, puisque sans le secours d'un corps, ni l'esprit animal ne peut payer sa dette de servitude, ni la créature spirituelle et céleste remplir son ministère de piété, ni l'âme raisonnable pourvoir tant à son salut propre, qu'à celui du prochain, il est évident que tous les esprits demandent un corps, soit pour rendre des services, soit pour en recevoir et en rendre en même temps. Mais que répondre, si on demande pourquoi il se trouve des animaux qui ne sont d'aucune utilité et qui sont même nuisibles? Ils sont certainement utiles pour la vue, s'ils ne le sont pour l'usage. Ils sont plus utiles à l'âme de ceux qui les voient qu'aux corps de ceux qui s'en servent. Nuisibles et pernicieux à la santé de l'homme, ils peuvent cependant avec leurs corps coopérer au bien de ceux que les desseins de Dieu appellent à la sainteté; si ce n'est pas en leur servant de nourriture, ou en leur prêtant leur ministère, c'est au moins en stimulant le génie des êtres raisonnables et en les faisant avancer dans cette science qui connaît ce qu'il y a d'invisible en Dieu par les créatures visibles. Le diable et ses satellites, dans leur infernale méchanceté, cherchent toujours à nuire et surtout aux âmes zélées dont il est dit : Qui sera capable de vous nuire, si vous êtes ardents pour le bien ? Mais loin d'y réussir, contre leur propre volonté, ils aident les bons dans leurs bonnes œuvres.

7. Les corps angéliques sont-ils naturels à ces esprits, comme les corps humains le sont aux hommes? Sont-ils de chair, mais immortels, ce que ne sont pas encore les nôtres ? Les 1 I Pierre, III, 13.

anges peuvent-ils changer ces corps, les présenter sous toute forme et sous toute apparence, les condensant et les solidifiant à leur gré, et les gardant impalpables, comme il convient en effet à la simplicité de leur nature et de leur substance, et inaccessibles à nos regards? ou bien les anges qui sont une substance simple et spirituelle, prennent-ils des corps seulement lorsqu'ils en ont besoin? Leur ministère rempli, les rendent-ils au milieu d'où ils les avaient tirés et où ils se dissolvent? Ne me le demandez pas. Les Pères sont partagés sur ces questions, et je ne vois pas clairement si je dois enseigner une opinion plutôt que l'autre. Je suis indécis, je l'avoue; d'ailleurs, je ne crois pas la connaissance de ces sortes de choses très-importante à votre profession. 8. Sachez cependant ceci : Aucun esprit créé ne peut par lui-même arriver à nos âmes; il ne peut non plus, sans le concours de nos corps ou du sien, s'unir à nous ou se glisser en nous, au point de nous rendre par sa participation savants ou plus savants, bons ou meilleurs. Ni ange, ni âme n'est capable de semblable rapprochement, et je me sens moi-même en une pareille incapacité. Les anges eux-mêmes ne communiquent pas ainsi entre eux. Laissons donc ce privilége à l'Esprit souverain et infini, qui pour donner toute science aux anges et aux hommes, n'a besoin ni d'avoir une bouche, ni de s'adresser aux oreilles corporelles. Il s'insinue par sa propre volonté, il se fait connaître par lui-même; esprit pur, il est compris par les âmes pures. Il n'a besoin de personne. Il se suffit à lui-même et il suffit à tous les êtres par sa seule toute-puissance.

9. Dieu opère cependant d'immenses et d'innombrables choses par le ministère des créatures soit corporelles, soit spirituelles, qui sont à ses ordres; mais c'est en leur commandant et non en les priant. Par exemple, en ce moment, il prend ma langue pour opérer son œuvre, c'est-à-dire pour vous instruire. IlI

pourrait, sans doute, le faire par lui-même et plus facilement et plus doucement: c'est certainement ici indulgence, mais non nécessité de sa part. Votre perfection sera pour moi mérite, mais non soulagement pour lui. Ainsi doit penser tout homme qui fait le bien, afin de ne se point glorifier en lui des dons de Dieu, au lieu de se glorifier en Dieu. Il arrive quelquefois qu'un méchant homme, ou un mauvais ange, opèrent le bien malgré eux; il est clair que ce qu'ils font ne leur est d'aucun avantage, puisqu'aucun bien ne profite à qui n'en veut pas. Dans ce cas, l'agent n'est qu'un instrument; mais je ne sais pourquoi le bien qui nous vient d'un mauvais dispensateur nous cause une émotion plus agréable et plus délicieuse. Voilà pourquoi Dieu se sert des méchants pour faire du bien aux bons, sans avoir toutefois besoin d'eux pour bien faire.

10. Comment douter que les êtres privés de sens et de raison sont les moins nécessaires à Dieu? En les voyant concourir eux-mêmes au bien, on comprend que tout est au service de Celui qui a le droit de dire: Tout l'univers m'appartient1. Peut-être aussi Dieu, qui sait ce qui convient le mieux à chaque être, exige moins des créatures corporelles un service efficace qu'une harmonie, et veut que les êtres corporels concourent souvent par leurs opérations aux opérations divines; par exemple, que les pluies vivifient les semences, ou qu'elles multiplient les moissons ou qu'elles hâtent la maturité des fruits. Dieu aurait-il besoin d'avoir un corps à lui, lui à qui sont docilement soumis les corps célestes et les corps. terrestres? Il n'a que faire d'un corps spécial, puisque aucun corps ne lui est étranger. Mais, si je voulais traiter, dans ce discours, tout ce qui se rattache à ce sujet, il dépasserait les bornes, peut-être même les forces de quelquesuns d'entre vous. Réservons donc ce qui nous reste à dire pour le traiter sous un autre titre. 1 Ps. XLIX, 12.

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