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soigneusement, et l'ayant retrouvée au lieu de la ramener, il l'a rapportée. Avec elle, et à son sujet, il a célébré au ciel des réjouissances nouvelles, et invité la troupe des Anges à cette fête 1. Et quoi! il aura daigné la porter sur ses propre épaules, et il n'aura pas soin d'elle? Aussi dit-elle hardiment: Le Seigneur est plein de sollicitude pour moi 2, et elle ne croit pas se tromper quand elle ajoute: Le Seigneur répondra pour moi, et mille autres paroles qui expriment le soin que Dieu prend d'elle. C'est pour cela qu'elle nomme le Dieu des armées son bien-aimé, et qu'elle se glorifie de voir celui qui juge tout avec une souveraine tranquillité s'occuper d'elle 4. Comment ne s'en glorifierait-elle pas? Elle l'a entendu lui dire mère peut-elle oublier le fils de ses entrailles et n'en avoir pas pitié? Si elle l'oubliait pourtant, je ne l'oublierai pas 5. Les yeux du Seigneur reposent sur les justes 6. Et qu'est-ce que l'Epouse sinon l'assemblée des justes, sinon cette génération qui cherche Dieu, qui cherche le visage de l'Époux 2? Il ne peut pas s'occuper d'elle sans qu'elle de son côté soit occupée de lui. Aussi exprime-t-elle cette attention réciproque, en disant : Il est à moi, et moi à lui; il est à moi, car il est bon et miséricordieux; je suis à lui, car je ne suis pas ingrate. Il me prodigue grâces sur grâces; et moi je lui rends grâces pour les faveurs dont il me comble. Il travaille à ma délivrance, et moi à sa gloire; il a soin de mon salut, et moi de sa volonté ; il est à moi et non à un autre, car je suis son unique colombe; et moi je ne suis pas à d'autre qu'à lui; je n'écoute pas la voix des étrangers; et je n'obéis pas à ceux qui me disent Le Christ est ici, où il est là 7. Tel est le langage de l'Église.

4. Mais quel sera le nôtre? Est-il parmi nous, quelqu'un à qui ces paroles de l'Eglise puissent s'appliquer? Mais que dis-je, parmi nous? Il n'y a pas, je crois, dans l'Eglise, de fidèle dont on ne puisse demander cela justement. Car la raison qui plaide pour plusieurs ne milite pas pour un seul. Ce n'est pas pour une âme seule, c'est pour les rassembler toutes en une mème Église, en faire une Épouse unique que Dieu a tant fait et tant souffert, lorsqu'il a accompli ici-bas l'œuvre de notre salut. Cette unique Epouse est chère à son unique Époux, parce qu'elle ne s'attache qu'à lui, comme il ne se donne qu'à elle. Que ne doit-elle pas attendre d'un amant si passionné? Que ne peutelle pas espérer de celui qui est venu du Ciel,

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pour la chercher et qui l'a appelée des extrémités de la terre? Il ne l'a pas seulement cherchée; il l'a achetée et au prix de son sang. Ce qui accroît sa présomption c'est qu'en considérant l'avenir, elle sait que Dieu a besoin d'elle. Vous demandez pourquoi? Pour voir la bonté de ses élus, pour se réjouir de la joie de son peuple, pour être loué de ceux qui forment son héritage 1. Et ne croyez pas que ce soit là une œuvre peu considérable. Car, je vous l'assure, sans elle, tous ses autres ouvrages seront imparfaits. La fin de toutes choses n'était-elle pas subordonnée à l'état et à la consommation de l'Eglise? Otez l'Eglise, et c'est en vain que la création inférieure attend la révélation des enfants de Dieu. Otez l'Eglise, et ni les patriarches, ni les prophètes n'arriveront à leur perfection, puisque saint Paul assure que Dieu ne veut pas qu'ils soient parfaits sans nous 2. Otez l'Eglise, et la gloire des anges eux-mêmes sera défectueuse et incomplète, et la cité de Dicu n'aura pas l'intégrité de ses parties.

5. Comment se réalisera donc le dessein de Dieu, le mystère de sa volonté, le grand sacrement de sa miséricorde? Comment me donnerez-vous des enfants à la mamelle dont la bouche serve à louer Dieu 3? Le Ciel n'a pas d'enfants, et l'Église en a à qui elle dit: Je vous ai donné du lait et non une solide nourriture4. Et le prophète les invite à achever les louanges de Dieu, quand il dit : Enfants, louez le Seigneur 5. Croyez-vous que notre Dieu reçoive toute la louange due à sa gloire, avant que ne viennent ceux qui chanteront en présence des anges: Nous nous sommes réjouis pour ces jours où vous nous avez affligés et pour les maux que nous avons si longtemps soufferts 6? Les cieux n'ont connu ce genre de joie que par les enfants de l'Église. Ceux qui ont toujours été dans la joie ne se réjouissent pas de cette façon. La joie vient à propos après la tristesse, le repos après le travail, le port après le naufrage. La sécurité plaît à tout le monde, mais surtout à celui qui a senti des craintes plus vives. La lumière est agréable à tous les gens; mais elle l'est davantage à celui qui vient d'échapper à l'empire des ténèbres. Passer de la mort à la vie double le prix de la vie Ce sera, dans le banquet céleste, mon lot que les esprits célestes ne partageront pas. J'ose dire que la vie même bienheureuse sera privée de cette félicité, à moins qu'elle n'avoue la tenir de la charité, en moi et par moi. Il semble que j'ajoute quelque chose à sa perfection, et quelque chose de considérable. Car 1 Ps. cv. 5. 2 Hébr., x1, 40. 3 Ps. VIII, 3. - ' Į Cor., 111,2.-5 Ps. cxii, 1. — 5 Ps. Lxxxix, 13.

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les anges se réjouissent de la pénitence du pécheur. Si mes larmes sont délices pour les anges, mes délices que leur seront-elles? Toute leur occupation est de louer Dieu; mais elle ôte quelque chose à leur louange l'absence de ceux qui disent: nous avons passé à travers le feu et l'eau, et vous nous avez fait entrer dans un lieu de rafraîchissement1.

6. L'Église est donc heureuse dans son universalité, et sa reconnaissance est infiniment au-dessous de ce qu'elle doit à Dieu, non-seulement pour les grâces déjà reçues, mais encore pour celles qu'elle en doit un jour recevoir. Car pourquoi serait-elle en peine de les mériter? Elle a, de se glorifier, un motif plus solide et plus sûr, dans les desseins de Dieu sur elle. Dieu ne peut se renier lui-même, ne pas faire ce qu'il a déjà fait, comme il est écrit, lui qui a fait tout ce qui doit arriver2. Il agira donc, il agira, et il réalisera ses desseins. Ainsi ne demandez pas sur quels mérites nous fondons l'espoir de tant de biens, surtout quand vous entendez dire au prophète : Ce n'est pas pour vous, c'est pour moi que je ferai cela, dit le Seigneur. Pour les mériter, il suffit de connaître l'insuffisance de nos mérites. Mais, comme c'est assez pour mériter de ne présumer point de ses mérites, manquer de mérites c'est assez pour être condamné. Or, les enfants régénérés par le baptême ne manquent pas de mérites; ils ont ceux de Jésus-Christ, dont ils se rendent ensuite indignes en négligeant d'y joindre les leurs, lorsqu'ils ont atteint l'âge de raison, et c'est là le danger de cet âge. Ayez donc soin d'avoir des mérites, et sachez que ceux que vous avez vous sont donnés. Espérez en recueillir les fruits par la miséricorde de Dieu, et vous éviterez tout danger de pauvreté, d'ingratitude et de présomption. C'est une pauvreté bien fâcheuse que l'indigence de mérites; mais la présomption est une fortune trompeuse. C'est pourquoi le sage a dit: Seigneur ne me

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donnez ni les richesses, ni la pauvreté1. Que l'Église est heureuse! Elle peut unir la présomption aux mérites. Elle a sujet de présumer, mais ce n'est pas de ses mérites; elle a des mérites, mais pour mériter, mais non pour présumer d'elle-même. Et ne pas présumer, n'est-ce pas mériter? Elle présume donc des mérites de Jésus-Christ, avec d'autant plus de confiance, qu'elle ne présume pas des siens propres. En se glorifiant, elle n'a pas à craindre la confusion, elle qui a tant de motifs de se glorifier. Les miséricordes du Seigneur sont infinies, et sa vérité demeure éternellement.

7. Pourquoi ne se glorifierait-elle pas avec sécurité, puisque en témoignage de sa gloire, la vérité et la justice se sont embrassées ?? Soit donc qu'elle dise: Mon bien-aimé est à moi; ott, j'ai attendu le Seigneur et il s'est occupé de moi; ou, le Seigneur est plein de sollicitude pour moi; soit qu'elle fasse entendre tout autre langage, expression de l'amour spécial et de la faveur singulière de Dieu; elle pourra parler hardiment, puisque Dieu lui-même lui donne cette hardiesse, et qu'elle ne voit pas d'autre Épouse, ni d'autre Église en qui puisse se réaliser ce qui doit nécessairement arriver. Il est donc clair que l'Église ne doit pas hésiter à s'approprier toutes ces paroles. Mais, on demande s'il est permis à une âme si spirirituelle et si sainte qu'elle soit, de se les attribuer en aucune façon. Car une âme isolée, quelle que soit sa vertu, ne s'attribuera pas les prérogatives de cette multitude fidèle et catholique pour laquelle tout arrive. C'est pourquoi je crois difficile d'en trouver une, à qui cela soit permis. Nous essayerons pourtant de le faire, mais dans un autre discours. Il ne faut pas s'engager dans un sujet si délicat, et dont l'issue est inconnue, avant d'avoir demandé l'intelligence de cette parole cachée à celui qui ouvre et ferme, à l'Époux de l'Église, notre Seigneur Jésus-Christ qui est Diet béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

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SERMON LXIX

Comment est abaissée toute hauteur qui se dresse contre la science de Dieu. De l'arrivée et du séjour du Père et du Verbe dans l'âme qui aime Dieu, et de la familiarité qui s'établit entre Dieu et l'âme.

1. Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui1. Dans le discours précédent, nous avons attribué ces paroles à l'Église universelle, à cause des promesses que Dieu lui a faites pour la vie présente et pour la vie future. Nous nous étions posé cette question: Une âme seule peut-elle s'approprier ce que toutes ensemble osent s'attribuer? Si elle ne le peut, il faut rapporter ces paroles à l'Église exclusivement, et non-seuleinent celle-ci, mais toutes les paroles analogues qui expriment de grandes choses, par exemple, ce TEXTE : J'ai attendu longtemps le Seigneur, et il s'est occupé de moi 2, et tous ceux que le discours précédent a touchés. Si l'on soutient au contraire que cela est permis, à quoi je ne contredis pas, à qui cela est-il permis? car ce ne peut être là un droit concédé à tout le monde. L'Eglise a aussi ses spirituels qui servent Dieu fidèlement et avec confiance, qui lui parlent comme à un ami; et leur conscience leur rend le témoignage que Dieu les autorise à le traiter ainsi. Mais qui sont-ils ces spirituels? Dieu seul le sait. Pour vous, écoutez ce que vous devez être si vous voulez compter parmi eux. Néanmoins, je ne dirai pas ce que j'ai éprouvé, mais plutôt ce que je désire sentir. Donnezmoi une âme qui n'aime que Dieu, et ce que l'on doit aimer pour Dieu, dont Jésus-Christ soit et depuis longtemps la vie, qui n'ait d'autre étude ni d'autre loisir que d'avoir Dieu toujours présent, dont la grande ou plutôt l'unique sollicitude, l'unique volonté soit de marcher avec lui; donnez-moi, dis-je, une âme de cette trempe, et je la déclare digne des soins de l'Époux, de la faveur du Monarque, de la sollicitude de la Providence; et si elle veut se glorifier, elle le pourra sans folie, pourvu qu'elle ne se glorifie qu'en Dieu. C'est ainsi qu'une seule âme ose ce qui n'appar1 Cantiq., 11, 16. 2 Ps. XXXIX, 2.

tient qu'à plusieurs; mais c'est par une autre raison.

2. Les motifs allégués plus loin inspirent cette confiance à la multitude des Saints, et deux raisons la communiquent à l'âme sainte. Premièrement l'Époux, en tant que Dieu, étant d'une nature très-simple, il peut ne voir qu'une personne dans une multitude, ou en voir plusieurs en une seule, sans être multiplié par la multitude, ni diminué par le petit nombre, ni divisé par la diversité des objets, ni resserré par leur unité, ni agité de soins, ni troublé par les inquiétudes. L'application qu'il donne à un objet ne l'empêche pas de s'étendre à plusieurs; et il s'occupe de plusieurs sans être moins attentif à un seul. D'ailleurs (ce qui est aussi doux à éprouver que l'expérience en est précieuse), la bonté du Verbe, et la bienveillance du Père du Verbe est si grande envers une âme bien réglée et bien disciplinée (ce qui est un don du Père et l'œuvre du Verbe), qu'après l'avoir prévenue et préparée, ils l'honorent de leur présence; et ils ne se bornent pas à venir en efle; ils y fixent leur demeure 1. Il ne leur suffit pas de se présenter à ses yeux; ils se donnent à elle. Mais qu'est-ce donc pour le Verbe que venir en une âme? C'est l'instruire dans la sagesse. Et pour le Père qu'est-ce aussi que venir à l'âme? C'est la pénétrer de l'amour de la sagesse, afin qu'elle puisse dire: Je suis éprise de sa beauté 2. L'amour appartient au Père; aussi reconnaît-on sa venue par l'infusion de l'amour. Que ferait la science sans l'amour? Elle enflerait. Ils s'égaraient ceux dont saint Paul disait Je leur rends ce témoignage: ils ont le zèle de Dieu, mais ce zèle n'est pas selon la science 3. Il ne convient pas que l'Épouse du Verbe s'égare, et le Père ne saurait permettre qu'elle s'enfle d'orgueil. Car le Père 1 Jean, XIV, 23. 3 Rom., x, 2. Sagesse, viii, 2.

2

aime son Fils, et il abat toute hauteur qui s'élève contre la science du Verbe, soit en allumant dans l'âme un zèle vrai, soit en lui donnant plus d'intensité; il y a, ici, un effet de la miséricorde et là, un effet de la justice. Ah! que Dieu abaisse, détruise, anéantisse en moi toute élévation, non dans le déchaînement de sa fureur, mais par l'infusion de son amour! Puissé-je apprendre à ne m'enorgueillir jamais sous l'onction de la grâce, et non sous les coups de la vengeance! Seigneur, ne me reprenez pas dans votre fureur, comme l'ange qui fit du ciel le théâtre de son orgueil; ne me chatiez pas dans votre colère, comme l'homme dans le Paradis. Tous deux ont médité l'injustice en rèvant l'élévation, l'un de la puissance, l'autre de la science. La femme cut la folie de croire le serpent qui la séduisait en lui disant : Vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal 1. Et l'ange ne s'était-il pas déjà séduit lui-même en se persuadant qu'il deviendrait semblable au Très-Haut 2? Car celui qui n'étant rien s'imagine être quelque chose, se séduit 3.

3. Ces deux élévations ont été abattues, mais plus doucement dans l'homme, celui qui fait tout avec poids et mesure ayant jugé à propos d'agir ainsi. L'ange a été puni, ou plutôt condamné dans la fureur de Dieu; l'homme n'a senti que sa colère, et non sa fureur. Et Dieu, irrité contre l'homme, s'est souvenu de sa miséricorde. Aussi la postérité de l'homme est encore appelée aujourd'hui enfant de colère, et non de fureur. Si je ne naissais pas enfant de colère, je n'aurais pas besoin de renaître ; et si je naissais enfant de fureur, ou je ne renaîtrais pas, ou cette régénération ne me servirait de rien. Voulez-vous voir un enfant de fureur? Regardez Satan tombant du ciel, comme la foudre, c'est-à-dire, précipité par l'impétueuse fureur de Dieu, et vous aurez l'idée de cette fureur. Il ne s'est pas souvenu de sa miséricorde; il ne s'en souvient que dans sa colère, et non lorsque cette colère va jusqu'à la fureur. Malheur aux enfants de l'infidélité! Je n'excepte pas ceux qui sont issus d'Adam, qui, nés enfants de colère, ont, par une diabolique obstination, changé la colère en fureur, la verge en bâton, ou plutôt en marteau. Ils s'amassent un trésor de colère pour le jour de de la colère 4. Or, la colère accumulée est-elle autre chose que la fureur? Ils ont commis le péché du démon; ils seront donc frappés de la sentence réservée au démon. Malheur aussi, quoique en un sens adouci,

1 Gen., III, 5. - Isaïe., xiv, 14. 3 Galat., VI, 3. + Rom., 11, 5.

à certains enfants de colère, qui, nés dans la colère, n'ont pas trouvé dans la grâce une seconde naissance! Morts aussitôt que nés, ils resteront enfants de colère; je dis de colère, je ne dis pas de fureur. Car, comme la piété et l'humanité nous portent à le penser, leurs peines seront très-douces, parce qu'ils tirent d'une source étrangère la corruption qui est en eux (A).

4. Le démon a donc été jugé dans la fureur de Dieu, qui a abhorré son iniquité, et l'homme dans sa colère, et c'est pourquoi il est repris dans la colère. Ainsi toute élévation a été brisée, et celle qui enfle et celle qui précipite, car le Père est plein de zèle pour le Fils. Il y a en effet un outrage au Fils, et dans l'usurpation de la puissance contre la force de Dieu, qui est lui-même, et dans la science puisée à une autre source que la sagesse divine, qui est encore en lui. Seigneur, qui est semblable à vous? Qui, sinon celui qui est la splendeur et la figure de votre substance, et votre image? Seul il a votre essence; seul le Fils du Très-Haut, Très-Haut lui-même, a pu, sans injustice, s'égaler à vous 1. Et comment ne vous serait-il pas égal, puisque vous n'êtes qu'un? Il est assis à votre droite et non sous vos pieds. Qui peut oser s'emparer de la place du Fils unique? Ah! qu'il soit précipité, cet audacieux! Il met son trône dans les hauteurs; renversez cette chaise de pestilence. Qui enseigne la science à l'homme? N'est-ce pas vous, ô clef de David, qui ouvrez et fermez à qui vous voulez? Comment donc, sans cette clef, oser entrer, ou plutôt, faire irruption dans les trésors de la sagesse et de la science? Celui qui n'entre pas par la porte est un voleur et un larron. Pierre entrera, lui qui a reçu les clefs. Il n'entrera pas seul; car, s'il le veut, il m'introduira et excluera peut-être un autre, en vertu de la science et du pouvoir qui lui ont été donnés d'en haut.

5. Et quelles sont ces clefs? C'est la puissance d'ouvrir et de fermer; c'est le discernement entre ceux qu'il faut exclure ou admettre. Les trésors ne sont pas dans le serpent; ils sont en Jésus-Christ. Aussi le serpent n'at-il pu donner une science qu'il n'avait pas. Celui qui la possède l'a donnée. Le serpent pouvait-il avoir une puissance qu'il n'avait pas reçue; celui qui l'a reçue l'a eue. Le

(A) C'est aussi la doctrine de saint Augustin au livre des mérites des pécheurs, ch. XVI: où il écrit: « Les enfants qui meurent sans baptême seront dans une damnation trèsdouce.» Voir encore son livre contre Julien, ch. x11 : Saint Fulgence, liv. Ier. De la vérité de la prédestination, ch. xiv, et de l'Incarnation, ch. xxx.

Philipp., 11, 6.

Christ l'a donnée 1, Pierre l'a reçue, et comme la science ne l'a pas enflé, il n'a pas à craindre d'être précipité de sa puissance. Pourquoi? C'est que, ni d'un côté, ni de l'autre, il ne s'élève contre la science divine, puisqu'il n'a cherché dans ces biens que la science de Dieu même, bien différent de celui qui a agi artificieusement en sa présence, et dont le crime lui a été en exécration 2. Comment aurait-il désiré autre chose que la science divine, puisqu'il s'intitule Apôtre de Jésus-Christ, selon la prescience de Dieu le Père 3? Tout ceci soit dit au sujet du zèle que Dieu a déployé contre l'ange et l'homme coupables, car, en tous deux, il a trouvé la dépravation : et il a abattu, dans sa fureur et sa colère, tout ce qui s'élève contre la science de Dieu.

6. Il faut maintenant recourir au zèle de miséricorde, c'est-à-dire, au zèle qui ne s'enflamme pas, mais qui est envoyé en nous; car celui qui s'embrase est un zèle de justice, comme nous l'avons déjà dit; et il nous a assez effrayés par les exemples des châtiments qu'il a exercés. C'est pourquoi je chercherai un lieu de refuge contre la fureur du Seigneur j'irai à ce zèle de bonté, dont les douces ardeurs expient avec tant d'efficacité. La charité n'a-t-elle pas une vertu expiatrice? Oui et une vertu souveraine, car j'ai lu qu'elle couvre la multitude des péchés 4. Mais n'est elle pas capable aussi d'abattre et d'humilier l'orgueil des yeux et du cœur? Assurément, car elle ne s'élève point, elle ne s'enfle pas. Si donc le Seigneur Jésus daigne venir à moi, ou plutôt en moi, non dans le zèle de sa fureur, ni même dans celui de sa colère, mais dans un esprit d'amour et de douceur, animé envers moi d'une jalousie toute divine, (qui convient plus à Dieu que la charité :) à cette marque, je reconnaîtrai qu'il n'est pas seul, mais que son père est venu avec lui. Car qui a plus de tendresse qu'un père? Aussi n'est-il pas seulement appelé le Père du Verbe, mais encore le Père des miséricordes 5. Car pardonner, faire grâce sont ses attributs naturels. Si je sens mon esprit s'ouvrir à l'intelligence des écritures, ou des paroles de sagesse s'échapper avec abondance du fond de mon cœur, une infusion lumineuse me révèle des mystères, si le ciel m'ouvre son large sein pour verser en moi les pluies fécondes de la méditation, je ne doute plus de l'arrivée de l'Époux. Ce sont là les richesses du Verbe, et nous les recevons de sa plénitude. En outre, si je me sens tout pénétré de l'onction d'un zèle hum1 Math., xvi, 19. 2 Ps. xxxv, 3.-3 I Pierre, 1, 1, 2. -I Pierre, iv, 8. -5 II Cor., 1, 3. TOM. III.

S. BERN.

si

ble et dévot, si l'amour de la vérité connue engendre en moi la haine et le mépris de la vanité, la crainte que la science ne m'enfle, ou que les visites de Dieu ne m'élèvent; alors je reconnais la conduite paternelle de Dieu sur moi, et je ne doute plus de la présence du Père. Mais si je persévère à correspondre à une si grande bonté, par des sentiments et des actes dignes d'elle, en sorte que la grâce de Dieu ne me soit pas inutile, j'ai alors l'assurance que le Père et le Verbe font en moi leur demeure, l'un en me nourrissant, et l'autre en m'instruisant.

7. Quelle familiarité cette demeure doit engendrer entre l'âme et le Verbe! Et quelle confiance en résulte! Cette âme ne craindra pas, à mon avis, de s'écrier: Mon bien-aimé est à moi puisque sentant qu'elle aime Dieu, et qu'elle l'a aimée avec passion, elle ne doute plus qu'elle n'en soit à son tour fortement aimée et à l'application, le soin, la vigilance, avec lesquels elle cherche sans cesse à lui plaire, elle reconnaît, avec certitude, que tous ses mouvements se font en lui, se ressouvenant de sa promesse : On vous mesurera avec la mesure dont vous aurez usé envers les autres 1. Toutefois, en épouse prudente, elle a soin de reconnaître la grâce qui lui a été accordée, car elle sait que son bien-aimé l'a prévenue. C'est pourquoi elle exprime d'abord et en premier lieu le soin qu'il a pris d'elle. Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui. Par les propriétés qui sont en Dieu, elle reconnaît sans hésiter, que l'aimant elle en est aussi aimée. Et il en est ainsi. L'amour de Dieu produit l'amour de l'âme, et le soin qu'il a d'elle fait qu'elle s'occupe aussi de lui. Car, par je ne sais quel rapport naturel, lorsque l'âme peut une fois contempler la gloire de Dieu à découvert, elle lui devient aussitôt conforme, et se transforme aussitôt à son image. Dieu sera donc pour vous ce que vous serez pour lui. Avec le saint, il sera saint, et innocent avec l'innocent 2. Pourquoi ne serait-il pas aussi aimant avec celui qui aime, en repos avec celui qui se repose, appliqué avec celui qui s'applique, empressé avec celui qui s'occupe?

8. Car il dit: J'aime ceux qui m'aiment, et ceux qui veilleront dès le matin pour me chercher, me trouveront 3. Voyez-vous comme il ne vous assure pas seulement son amour, si vous l'aimez, mais aussi sa sollicitude, s'il vous voit occupé de lui? Si vous veillez, il veille aussi. Levez-vous au milieu de la nuit, devancez même les veilles, vous le trouverez et vous ne 1 Math., VII, 2.-2 Ps. XVII, 26. Prov., viii, 17.

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