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chercher 1° Pourquoi saint Bernard parlait à ses religieux plus souvent que ne l'exigeait la règle de son ordre : 2o En quel temps, à quels jours, à quelles heures il s'acquittait de cet emploi : 3o En quelle langue? 4° Enfin quels principes de la vie chrétienne et de la vie religieuse il inculquait de préférence à ses disciples. J'ajouterai quelques observations destinées soit à exposer certains points de doctrine, soit à distinguer les sermons authentiques du saint Docteur d'avec les sermons supposés.

Quels jours l'usage voulait-il qu'on fit un sermon dans le Chapitre? Les coutumes de Citeaux, au chapitre LXVII, indiquent Noël, l'Epiphanie, les Rameaux, Pâques, l'Ascension, la Pentecôte, toutes les fêtes de la sainte Vierge, la Nativité de saint Jean-Baptiste, saint Pierre et saint Paul, la Solennité de saint Benoît, la Toussaint, et le premier Dimanche de l'Avent. Il n'y est pas fait mention, que je sache, des fêtes ordinaires, ni des simples féries où saint Bernard prêchait cependant souvent. Aussi dans le premier sermon de la Septuagésime il dit : « Je vous parle fréquemment, et même contre l'habitude de notre Ordre. »

Il y a deux raisons de cette conduite d'un homme si religieux et si zélé d'ailleurs pour la discipline régulière. La première est le commandement des Abbés de l'Ordre qui avaient imposé ce travail spirituel à saint Bernard, incapable du travail manuel. Il le dit lui-même, à la fin de son 10° sermon sur le Psaume 90 1. Ce fut là pour lui l'occasion et le motif qui le portèrent à expliquer ce Psaume aux féries du Carême, explication qu'il poursuivit autant que les affaires et les visites le lui permirent. Ce double empêchement le détournait quelquefois de ces prédications que lui rendaient chères et l'autorité des Abbés de l'Ordre et son zèle pour l'avancement de ses religieux. (5° Serm. pour le Carême no 1.8 Serm. sur le Ps. 90.) Cependant malgré ces obstacles, les sermons étaient encore assez fréquents pour lui faire redouter que ses religieux ne les trouvassent fastidieux. «Je crains une chose, dit-il au 2 Serm. sur saint Pierre et saint Paul, c'est que la parole du salut si souvent entendue ne perde pour vous de son prix. » (Voir aussi Serm. 35 sur le Cant. des Cant. no 9.)

Saint Bernard nous indique lui-même en différents endroits le temps où il traitait ainsi des choses spirituelles. Il ne laissait guère passer un jour (à moins d'empêchement), sans avoir avec ses religieux une de ces

1 Nous avons cru devoir retrancher la plupart de ces citations, qu'on peut retrouver aisément.

conférences. La preuve en est dans ces sermons si nombreux du Temps, sur les Saints, sur Divers sujets; dans les remarquables sermons sur le Cantique, sans parler de ces petits discours, et de ces pensées qui étaient comme l'esquisse de ses grands discours. Les idées qui lui venaient à l'esprit et qu'il ne pouvait exposer aussitôt, il les notait sur des tablettes de cire, pour les développer à l'occasion et à loisir. C'est ce que nous rapporte Ernald au 2e livre de la Vie du Saint, n° 51. « L'homme de Dieu << dictait et quelquefois écrivait sur des tablet«tes de cire, pour ne pas laisser échapper les << choses que le ciel lui inspirait.

Il prêchait tantôt le matin, après Prime et avant le travail commun, ou avant la Messe; tantôt le soir. « Je crains d'être repris, dit-il dans le 10 sermon sur le psaume 90: Car notre grand et commun abbé saint Benoit n'a pas assigné cette heure à l'Instruction mais au travail des mains. » Et à la fin de son premier sermon sur saint Michel il indique que l'heure de la Messe approche: « Mais l'heure presse, et il nous faut aller à la Messe.» (Voir aussi sermon 1er sur la Toussaint, no 3.)—Que ces sermons aient souvent eu lieu le soir on en trouve la preuve dans le 1er Serm. sur saint Malachie no 8 : « Lejour baisse, et j'ai parlé plus longue«ment que je n'avais espéré le faire; » (38• serm. sur divers sujets no 3,) - « Il faut s'en aller : « Déjà nous avons entendu la cloche, et l'heure « de la prière du soir est venue. » (Voir aussi les Serm. sur le Cant. des Cant. passim.)

Saint Bernard a-t-il prononcé ses sermons en latin ou en langue vulgaire ? C'est une question difficile à décider. A ces entretiens assistaient des frères lais, illettrés, étrangers à la langue latine, qui ne connaissaient que la langue vulgaire, appelée langue romane dans les écrivains du temps, (histoire de Nithard: Vie de saint Adalard par Gérard : Chronographe de Saint-Trond 1,) et en teuton, langue wallonne. Pierre, clerc du roi Louis le Jeune, écrivant à l'abbé de Lagny 2: « On m'a envoyé d'Angleterre, dit-il, un enfant mon parent pour apprendre le roman, » c'està-dire le français vulgaire. Ceux qui savaient cette langue n'entendaient pas pour cela le latin, ni au neuvième siècle, encore moins au onzième preuve la vision de Flotilde ou Clotilde où on reproche à certains prêtres « de ne pas comprendre ce qu'ils lisaient 3. » Si donc ces frères illettrés assistaient aux sermons de saint Bernard il est invraisemblable qu'il les ait prononcés en latin. Il est 1 Abbaye dans le Limbourg. 2 Seine-et-Marne. 3 Duchesne, t. IV, p. 472.

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bien vrai qu'au couvent des Feuillants de Paris on trouve les sermons du temps écrits en français, et probablement à l'époque même du Saint, comme l'indiquent le manuscrit et l'ancienneté du langage. Dans sa 17° lettre à Pierre, cardinal-diacre, saint Bernard déclare que ses Sermons ont été recueillis dans le style de ses disciples, comme s'il voulait dire, qu'ils n'ont plus leur style primitif, mais qu'ils en ont reçu un autre. Voici ses paroles : Quelques frères ont recueilli dans leur style quelques-unes des choses que j'ai dites. Même langage à la fin de la lettre 18. D'où on infèrera peut-être que saint Bernard a parlé l'idiôme de son pays, pour se faire entendre des frères lais, et qu'ensuite ses disciples ont traduit ses discours en latins.

Que ces frères ignorassent, le latin il est facile de l'établir. Ils étaient admis au chœur, mais ne portaient pas la tonsure cléricale, et ils étaient complétement distincts des frères Convers. (Voir Vie de S. Ber., liv. VII, c. xxIII.) Il y en avait qui ne savaient pas même l'alphabet, au témoignage de Jean l'Ermite, dans sa lettre à Pierre de Tusculum, au sujet de la Vie de saint Bernard: Un moine, dit-il, ami sincère du vénérable abbé, se promenait avec un frère nommé Humbert, dans un petit bois près de Clairvaux: il tenait le livre des Miracles du saint Père, et les lui exposait en langue romane, pour son édification personnelle et pour celle du frère. Pourquoi cet emploi du roman ou français, si ce frère avait su le latin? Ce n'était pas seulement à Citeaux, mais chez tous les autres moines qu'on recevait ces sortes de frères. Aussi Geoffroy, abbé de Vendôme (liv. III, lettre 9°), parle d'un frère qui était laïc et qui ne parlait pas le latin qu'il n'avait jamais appris, mais qui ne parlait que sa langue maternelle. Nous ne nous occupons pas ici des frères Convers: les mêmes arguments qui militent en faveur des précédents, établissent aussi qu'ils étaient étrangers au latin. Ceci est confirmé par Herbert, au livre Ier des Miracles de Clairvaux, chap. XVI, et il y fait mention d'un Convers arrivé à la mort qui se mit à parler latin sans l'avoir jamais appris. On peut donc affirmer, en thèse générale, que l'usage du latin n'était pas vulgaire, bien que les actes publics fussent généralement rédigés dans cette langue. Pierre le Vénérable (liv. IV, lettre 18°) écrit au Pape Célestin qu'il a reçu la lettre relative à son élection, qu'il l'a lue en chapitre, et qu'il l'a expliquée aux lettres et aux illettrés que nous appelons Convers, dit-il, ce qui veut dire qu'il l'a expliquée en langue vulgaire, soin inutile si tous les religieux avaient entendu le latin. Du reste, chaque province avait son idiôme,

ainsi qu'aujourd'hui, comme il résulte de la lettre 67° de saint Bernard aux moines de Flay, au diocèse de Beauvais, et dans laquelle il dit qu'eux et les religieux de Clairvaux n'ont pas la même langue.

Tel était alors l'état des choses: cependant nous pensons que les Sermons de saint Bernard ont été composés, prononcés et recueillis en latin. La première preuve en est dans cette habitude continuelle de jouer sur les mots latins la seconde dans la ressemblance du style de ces Sermons avec celui des autres écrits et Traités du Saint. Ajoutez qu'à cette même époque les Chartreux, qui recevaient aussi des frères lais, se servaient du latin dans les Sermons qu'on leur adressait, usage qu'ils gardent encore aujourd'hui. D'ailleurs on doit juger des autres Sermons de saint Bernard comme de son exposition sur le Cantique: or, les Sermons qui forment cette exposition ont été écrits dans la langue où ils ont été prononcés. (Serm. 54, n° 1.) Le saint l'affirme en ces termes: Ceci a été écrit comme il a été dit et recueilli, ainsi que nos autres discours, afin de retrouver plus facilement ce qui aurait échappé à la mémoire.

Ce passage résout l'objection tirée plus haut de la lettre 18° et où il est dit, que quelques frères qui assistaient aux discours de saint Bernard les ont recueilli dans leur style; ce qui veut dire, avec la plume, par écrit et non pas à leur façon. Ainsi Nicolas de Clairvaux, (lettre 39) déclare que sa main ne peut plus tenir le stylet (la plume). Il faut entendre dans ce sens ce mot de la lettre 304: Que celui qui lit reconnaisse mon style, car j'ai dicté moi-même. Le style c'est ici l'écriture personnelle, et dicter se prend pour écrire. Ainsi on lit encore à la fin de la lettre 310o : J'ai dicté ces choses, afin que ma main bien connue vous soit une preuve de mon affection. Rien de plus clair, car ce n'est pas le style du discours, c'est l'écriture qui révèle la main. A ces raisons on peut encore ajouter l'autorité de Guillaume, au livre Ier de la Vie du Saint, no 72. C'est ce qu'attestent ditil, des écrits sortis de sa main, ou les choses que d'autres ont transcrites après les avoir recueillies de ses lèvres. Tout cela nous porte à croire que les Sermons de saint Bernard ont été prononcés dans la forme où il nous sont parvenus, et que le manuscrit des Feuillants n'est qu'une traduction et non un original. D'ailleurs ce manuscrit que je crois un autographe, n'est pas antérieur à la mort de saint Bernard; c'est ce qu'établit le titre où Bernard est qualifié de Saint. A plusieurs reprises s'adressant à ses 1 Aujourd'hui Saint-Germer.

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Ce sentiment n'est pas ébranlé, par l'objection tirée des frères lais: on leur adressait peut-être des instructions plus familières, s'ils n'assistaient pas avec les Convers à un chapitre particulier qui, d'après les usages de l'Ordre, se tenait tous les dimanches et en langue vulgaire. Cependant la lettre 24 de Nicolas de Clairvaux, dont on parlera plus bas, donne lieu à certaines difficultés.

Dans ces exhortations, soit aux Convers, soit aux étrangers, soit aux séculiers, le saint Docteur usait certainement de la langue vulgaire. Au nombre des premiers était ce convers mourant, que saint Bernard exhortait à la confiance et qui lui répondit: Je suis assuré de la miséricorde de J.-C. Repris par le Saint il ajouta Si ce que vous nous avez si souvent inculqué est vrai, à savoir que le royaume de Dieu s'obtient, non par la noblesse du sang, ni par les richesses terrestres, mais par la seule vertu de l'obéissance. J'ai retenu cette maxime comme un abrégé venu de Dieu même 1. Saint Bernard prêchait donc les Convers, le dimanche, en un chapitre particulier, selon les antiques définitions de Citeaux. (Distinct. 14, chap. iv.)

Il ne refusait pas sa parole aux séculiers ni aux étrangers, quand l'occasion ou la charité le demandaient. Il s'efforça toujours d'être utile au peuple de Dieu, dit Geoffroi (Vie de s. Bern. liv. III, no 8), mais ne voulut jamais lui commander. Il ne sortit que rarement pour prêcher, et encore dans les lieux voisins du monastère. Mais quand la nécessité l'y engageait, il semait son pain sur les eaux, annonçant en particulier et en public la parole de Dieu. Ce qu'il faisait souvent sur l'ordre du souverain Pontife, et sur le désir des Evêques qu'il rencontrait. Le même historien raconte ce qui lui arriva en Allemagne, lorsque sur l'ordre d'Eugène III, il y prêcha la croisade. Le lait et le miel étaient sous sa langue : c'est pourquoi les Allemands l'écoutaient avec un attachement admirable: et ses discours, qu'ils ne pouvaient entendre, puisqu'ils appartenaient à une autre langue, édifiaient leur dévotion, mille fois mieux que les discours les plus intelligibles, comme le prouvaient et les poitrines meurtries, et les larmes répandues. (Geoff., ibid. n° 7.)

Si les Germains, hommes d'une autre langue, ne pouvaient entendre saint Bernard, c'est 1 Vie de saint Bernard, liv. VII, ch. xxvi,

qu'il parlait la langue maternelle, la langue française. Le moine Philippe (Miracles de saint Bernard, liv. VI, no 16) dit en effet qu'il parlait aux Allemands, en roman, c'est-à-dire, en français. Ekkehard le jeune, dans son livre des Événements du couvent de Saint-Gall, parlant d'un moine illettré du neuvième siècle dit : Tutilon s'adressa à ses compagnons en latin, afin de n'être pas compris de celui qui ne l'entendait pas. Il en était de même des Anglais, puisque pour eux, au neuvième siècle, Alfred fit traduire en Saxon, le Pastoral de saint Grégoire et l'Histoire de Bède. On fit, à la même époque, et pour la même raison, des versions de l'Evangile et de la Règle de saint Benoît, en langue allemande.

Mais je m'arrête peut-être trop longtemps sur ces questions. Je le regrette d'autant moins, que ces détails relèvent le zèle et les services apostoliques de notre Saint. Dans ses Sermons, au rapport de Geoffroi, il employait les écritures avec tant de facilité et d'à-propos, qu'on aurait cru qu'il en devinait le texte au lieu de le suivre; il les pliait comme il le voulait, obéissant à la seule inspiration de l'Esprit-Saint, leur auteur.

Maintenant il n'est peut-être pas inutile de rechercher les principes relatifs à la vie religieuse que saint Bernard puisait dans les Écritures et recommandait à ses religieux. Un des plus importants, c'était de se considérer, avec l'Apôtre, comme des étrangers ici-bas. C'est ce que prouvent deux passages, l'un tiré du 1er Sermon sur l'Epiphanie (no 1), l'autre du 4° Sermon sur le Carême. (n° 1.)

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Un autre principe de saint Bernard, c'est qu'il importe aux moines, et à toutes les âmes désireuses d'arriver à la vertu, d'oublier le passé, comme l'Apôtre, et de marcher en avant. (Serm. 2o, sur la Purific. Serm. 4, sur le Ps. 90, no 3.) Il aimait à répéter qu'il était important pour la perfection, quand on avait rempli tous ses devoirs, de s'estimer des serviteurs inutiles, ce qui équivaut à oublier ce qu'on a laissé derrière soi. Un troisième principe, c'est de craindre sans cesse de perdre la grâce. (Serm. 5, pour la Touss. no 1:- Serm. 1er, pour l'Epiph. n° 5; 8-9: Serm. 54, sur le Cant. n° 9.)

A ces principes de saint Bernard, ajoutonsen un quatrième fréquemment recommandé par lui, c'est de fuir l'ingratitude envers Dieu, et de le remercier vivement de nous avoir arrachés aux orages du siècle. (Serm. sur les sept Miséricordes, pour le 6 Dim., après la Pentec., no 2-Serm. 27, sur div. sujets, n° 6.) La Doctrine contenue dans tous ces Sermons,

n'est pas seulement pieuse; elle est encore claire, accessible à tous, facile à pratiquer. Si on y rencontre quelques points capables d'arrêter un lecteur moins instruit, ils seront expliqués en temps et lieu. Je me contenterai d'examiner ici l'opinion de saint Bernard sur l'état des saintes âmes sorties du corps, qu'on trouve aux second, troisième et quatrième Sermons pour la Toussaint, au quatrième pour la Dédicace, et ailleurs encore. Après avoir prêché le triple état des âmes qui sont toutes ou dans un corps corruptible, ou dans un corps glorifié, il expose son sentiment sur le second de ces états. 1° Les âmes saintes délivrées du corps sont admises sur-le-champ au ciel (4 Serm. sur les saints nos 1 et 2 :) et dans la société des Anges (2° Serm. sur s. Malach. n° 5.) 2° Là ces âmes sont au sein d'une abondante lumière. (Ibid. Serm. 4, n° 1.) 3o Elles voient l'humanité de J.-C. (ibid. n° 2), mais non sa divinité, faveur qui ne leur sera accordée qu'après la Résurrection. En attendant, les Saints se reposent sous l'autel, c'est-à-dire, à l'ombre de l'humanité de J.-C. 4° Enfin, ils goûtent une joie profonde, bien qu'imparfaite encore (2 Serm. sur les Saints, n° 4, ibid. 3° n° 2), car ils désirent reprendre leurs corps. (Voir aussi le Traité de l'Amour de Dieu no 32.) Telle est la Doctrine de saint Bernard, qu'il expose comme une opinion. (De la Considér. liv. V, ch. iv, no 9.)

Malgré cette opinion sur les âmes saintes, saint Bernard, en certains passages, leur accorde la vision de Dieu. (2° Serm. sur S. Malach. n° 5.) Il nous montre les martyrs plongés dans l'heureux océan de la lumière divine. (De l'Am. de Dieu, à la fin.) Il dépeint saint Victor entré aux cieux et contemplant sans voiles la gloire célestes. (2o Serm. sur S. [Victor, no 4.) Comment concilier cela avec le sermon 4, sur les saints, où il affirme expressément qu'après la résurrection, le Fils offrira à ses élus des délices nouvelles et inconnues, délices qui consisteront à le contempler face à face? S'est-il rétracté et a-t-il modifié son sentiment? Il est difficile de le préciser, puisqu'on ne peut fixer la date de ces sermons qui semblent se contredire.

Nous rencontrons ici Thomas l'Anglais et son livre de l'état intermédiaire des âmes où il émet l'opinion que saint Bernard est le premier des Pères qui ait donné, dans le ciel, aux âmes saintes sorties du corps, une place que les Pères plus anciens ne leur donnaient qu'après le jugement dernier, et qui leur refuse, avant la Résurrection la vision divine, que les Pères leur accordaient. Sur le premier point, Thomas se trompe, et voici trois témoins de son erreur,

saint Cyprien, Alcuin et Florus, diacre de l'Église de Lyon, tous antérieurs à saint Bernard. A la fin de son exhortation au martyre, le premier s'écrie: Quelle dignité! quelle sécurité de fermer un moment des yeux qui voient les hommes et le monde, et de les ouvrir aussitôt pour voir le Christ-Dieu! Vous êtes arraché à la terre, mais c'est pour être placé dans le royaume céleste.-Alcuin, dans sa lettre 81'; atteste que de son temps un doute s'était élevé sur ce sujet, dans quelques esprits, mais doute caché et non public, comme si on craignait de mettre au jour une opinion contraire au sentiment gé néral. Alcuin la désapprouve, et la range parmi les hérésies venues d'Espagne. Florus, dans son exposition de la messe, sur ces paroles du canon Souvenez-vous, Seigneur, de vos serviteurs, etc., donne ce commentaire : Il est plus clair que le jour que les âmes des justes parfaits, ayant franchi ces barrières de la chair, sont reçues dans les demeures célestes. Rien de plus net que ces témoignages pour combattre Thomas et défendre saint Bernard, ou plutôt le sentiment de l'Église elle-même.

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Quant au second point relatif à la vision de Dieu, les anciens Pères qui ne placent les âmes au ciel, qu'après le jugement dernier, leur accordent-t-ils avant ce temps la vision divine? je ne sais. Mais ne nous engageons pas dans une question superflue. Saint Bernard n'accorde aux âmes sorties du corps que la seule vue de l'humanité de Jésus-Christ. En cela, du moins, il s'écarte du sentiment de Jean XXII et de ceux qui sont venus après lui. Mais en réalité il ne s'éloigne guère des théologiens qui concèdent aux bienheureux une vue de la Divinité moindre pourtant que celle qui suivra la Résurrection; et la raison de saint Bernard est précisément celle qui porte ces théologiens à renvoyer après la Résurrection la vision parfaite de Dieu. C'est le désir véhément que l'âme éprouve de reprendre son corps. Ils pensent avec lui, que la parfaite contemplation de la divinité doit avoir la force et la vertu d'absorber et d'éteindre toutes nos affections; état dont les saints ne jouiront qu'après la Résurrection. Lisez saint Augustin au sermon 280, no 5 et ser. 318, nos 5 et 6. Il faut remarquer, comme elles le méritent, les paroles de saint Bernard au sermon 19 sur divers sujets et les paroles par lesquelles il explique les prérogatives des bienheureux : C'est donc la troisième fois, dit-il, qu'ils puisent les eaux de la joie aux sources du Sauveur, et qu'ils contemplent, à œil nu, si j'ose dire, l'essence divine, n'étant plus trompés par aucun fantôme corporel. S'il parle ainsi de l'état présent des saints, il

leur accorde donc la vision intuitive de Dieu, même avant la Résurrection.

J'arrive au dernier objet de cette préface, qui est la critique et la détermination des ouvrages authentiques de saint Bernard. Je ne serai pas long, puisqu'on est d'accord sur les sermons du temps admis par Horstius. Nous rejetons comme n'étant pas du saint le second sermon pour le jeudi saint sur les mots : Vous êtes assis à la table d'un riche, sedisti ad mensam divitis: il n'est pas de la manière du saint Docteur; on ne le rencontre dans aucun des vieux manuscrits, que j'ai vus, pas même dans l'ancienne édition de Lyon de 1514.

Après le sermon venait une méditation sur la vie ou la passion de Notre-Seigneur, commençant par les mots: Jésus de Nazareth, etc. Jesum Nazarenum, qui manque aussi dans ces manuscrits et dans l'édition de Lyon, et que Trithemius et Bellarmin attribuent plus justement à saint Anselme, sous ce titre l'Aiguillon de l'Amour.

Le sermon sur le combat de David avec Golia (on écrivait ainsi) pour le 4o dimanche après la Pentecôte, se trouve après les sermons de Nicolas de Clairvaux, dans le manuscrit dont s'est servi Bertrand Tissier, auteur de la Bibliothèque Cistercienne. Mais comme il se trouve dans les bons manuscrits, ceux de Clairvaux, d'Anchin, des Blancs-Manteaux de Paris, etc., et comme il est loué dans les fleurs de saint Bernard, compilées il y a quatre cents ans, on a cru devoir le laisser parmi les œuvres du

saint Docteur.

Pusqu'il est question des sermons de Nicolas de Clairvaux, il est bon de rappeler que, devenu moine de Clairvaux après l'avoir été de Montier-Ramey1, secrétaire de saint Bernard, qu'il quitta ensuite, il dédia à Henri, comte palatin de Troyes, dix-neuf sermons composés par lui, et qui ont été imprimés au troisième volume de la Bibliothèque Cestercienne indiquée plus haut, avec une préface de Nicolas luimême au comte Henri, où il est dit : J'envoie à Votre Excellence dix-neuf sermons de la fête de saint Jean-Baptiste à celle de saint Jean l'Évangéliste, quelques autres sermons et quelques versets du psautier arrangés à ma façon, et écrits par moi en quelques endroits j'ai emprunté à autrui, c'est-à-dire à saint Bernard son Maître, dont il a imité le style. Voici ce qu'il en dit en effet dans le sermon sur Noël : J'emprunterai mes pensées au trésor de celui dont les conseils sont ceux de Dieu à celui dont la religion, la discrétion, la sagesse, l'éloquence, la vie et la réputation ont justement parcouru 1 Aube.

le monde latin. C'est là un bel éloge de saint Bernard. Si Nicolas de Clairvaux en parle si froidement dans la préface précédemment mentionnée, c'est qu'il l'adressait après sa désertion au comte de Troyes. Du reste après ces dixneuf sermons on en trouve, dans le manuscrit, quatre autres que Nicolas indique clairement dans sa préface: le premier sur les paroles de la sagesse le Seigneur a conduit le juste, etc.; le second sur les cinq pierres lancées contre Golia; le troisième sur la chair, la peau et les os; le quatrième sur la triple gloire, à propos de ces paroles de l'apôtre, Que celui qui se glorifie se glorifie en Dieu. Tous sont attribués à saint Bernard le second est placé au 4e dimanche après la Pentecôte; les trois autres sont rangés parmi les sermons sur divers sujets, dans la première édition de Lyon, et dans tous les manuscrits: j'ai donc cru devoir les attribuer au saint, d'autant plus que Nicolas de Clairvaux aurait bien pu se les attribuer à luimême; il se montra assez peu délicat d'ailleurs, à propos d'autres sermons, comme on en a fait la remarque dans les notes sur la lettre 298.

Dans les sermons sur les saints, le second sur la conversion de saint Paul manque dans la plupart des manuscrits, même celui des Feuillants. On le trouve cependant dans celui du Vatican, no 663, et je ne doute pas qu'il ne soit de saint Bernard. Le sermon pour la fête de sainte Madeleine, qui est un des dix-neuf de Nicolas de Clairvaux, est rejeté au tome VI après avoir été retranché du V où se trouvent et le 5 sermon pour l'Assomption, et les panégyriques de la sainte Vierge autrefois rangés dans les œuvres de saint Bernard. Nous avons omis à dessein quelques sermons qui lui étaient attribués, et dans la nouvelle édition de Cologne, et dans le supplément des Pères, et dans quelques manuscrits; nous les avons trouvés trop différents du style et de la manière du saint; nous n'avons pas même cru devoir les ranger parmi ses œuvres apocryphes.

Ceux des sermons sur divers sujets intitulés en quelques manuscrits: Extraits des paroles de saint Bernard, sont attribués les uns à Guerric, abbé d'Igny, les autres à Nicolas de Clairvaux; trois, le 6, le 7 et le 21, à celui-ci; et six, (8, 28, 71, 13, 76, 79) à l'autre. Mais, au témoignage d'Horstius, les sermons n'étant pas dans le manuscrit de Cologne parmi les sermons de Guerric, et se trouvant dans la plupart des exemplaires de saint Bernard, on a cru devoir les conserver parmi les sermons sur divers sujets : ce sont des ruisseaux sortis de la source même de saint Bernard : c'est ce qu'on lit à la fin du manuscrit du collège de Navarre à Pa

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