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Les deux martyrs n'avaient pas assez longtemps vécu à Soissons, pour y faire de nombreux prosélytes; et de la condition obscure où ils s'étaient placés, la lumière ne pouvait se répandre dans les hautes classes; mais leur supplice servit puissamment à propager la sainte doctrine. Les âmes compatissent naturellement aux victimes de la tyrannie on fut frappé du courage des deux chrétiens, on voulut connaître cette religion qui inspirait tant d'héroïsme à ses fidèles; la curiosité conduisit à l'admiration, l'admiration à l'amour, et le christianisme allait se développer, avec une merveilleuse puissance, sur ce sol fécondé par le sang de ses martyrs. Cependant la persécution n'en était que plus terrible. On poursuivit partout les disciples de Crépin et de Crépinien. Quelquesuns eurent le courage d'avouer hautement leur croyance et de persister dans la loi nouvelle; ils furent livrés aux bourreaux leurs noms sont restés ignorés (14).

Le départ de Maximien de Soissons et la mort de son cruel préfet, qui arriva sur ces entrefaites, avaient apporté quelque ralentissement à la fureur de la persécution; mais la condition des nouveaux

chrétiens était encore fort précaire : saint Crépin et saint Crépinien n'étant pas revêtus du sacerdoce, n'avaient pu instituer de prêtres pour continuer leur mission et développer l'instruction religieuse dont ils avaient répandu les premières semences. La foi naissante des fidèles avait besoin d'être fortifiée contre les périls dont ils étaient sans cesse menacés: concitoyens, amis, parents, tous ne voyaient en eux que des ennemis des dieux et de l'empire. Ils se trouvaient ainsi réduits à la triste nécessité de cacher leur croyance et leurs prières, ou de mentir à leur conscience; car, quelque ardente que fût la ferveur des néophytes, la nature n'avait doué qu'un très-petit nombre d'entre eux d'une trempe d'âme assez forte pour résister aux persécuteurs, et pour affronter l'horreur des supplices en témoignage de leur foi. Cet état d'abandon de la petite société chrétienne de Soissons ne pouvait se prolonger longtemps encore, sans danger pour son existence. Heureusement en l'année 291, arrivèrent à son secours saint Sixte et saint Sinice qui lui rendirent toute son énergie et la constituèrent enfin en église.

Ces deux missionnaires, dont le premier était

évêque et l'autre prêtre, avaient d'abord prêché l'évangile à Rheims, où ils avaient été mal accueillis. Ils reprirent avec succès, à Soissons, l'œuvre des deux premiers martyrs, et c'est de cette époque (291) que date l'établissement de l'église de Soissons et la suite de ses évêques, au nombre de quatre-vingt-douze, dont saint Sixte fut le pre

mier.

Cependant le christianisme faisait chaque jour de nouveaux progrès, mais il était encore bien loin d'une condition heureuse et tranquille. La persécution dévorait une foule de victimes sur toute la surface de l'empire. Les fidèles qui voyaient sans cesse le glaive des bourreaux suspendu sur leur tête n'osaient se réunir, que furtivement et pendant la nuit, pour prier en commun dans les lieux souterrains et dans les cimetières, où la tombe d'un frère leur servait d'autel pour la célébration des saints mystères.

Lorsque saint Sixte eut organisé l'église de Soissons, et acquis la conviction que la foi y avait poussé des racines assez profondes pour se soutenir contre les attaques de ses ennemis, il en confia la direction à Sinice, qu'il ordonna évêque.

Il se rendit ensuite à Rheims où il parvint, cette fois, à former aussi une église dont il fut encore le premier pasteur. A sa mort, Sinice alla le remplacer, laissant l'évêché de Soissons à Divitiac dont Rufin d'abord, et après lui, Filien, furent les successeurs. (15).

Il y a toute raison de croire que ce fut ce dernier qui vit enfin l'église de Soissons sortir de son douloureux enfantement. Constantin venait de monter au trône des Césars. Les Chrétiens n'eurent plus à redouter les supplices. Leur culte, devenu libre, prit un rapide essor, et leur premier soin fut de rendre les honneurs de la sépulture aux dépouilles mortelles de ceux qui avaient versé leur sang pour apporter la parole évangélique. Les restes des deux apôtres, enlevés du lieu où les avaient enterrés leurs bourreaux, furent transportés dans un caveau ou crypte construit, à ce desscin, à l'orient de la ville. La translation se fit, dit-on, par la rivière, dans une petite barque. On voulait probablement éviter de passer au travers de la ville, où les Chrétiens et leurs précieuses reliques auraient pu se trouver exposés aux insultes et à la violence des païens, plus nombreux

encore et plus influents. Peut-être le but de cette translation était-il de déposer les restes des martyrs dans un monument disposé dignement pour les recevoir, et destiné à attester en même temps la reconnaissance et la vénération des chrétiens de Soissons. Les lois romaines, comme on le sait, défendaient d'inhumer les morts dans l'intérieur des édifices, et les cimetières étaient placés hors des villes, le long des grandes voies publiques.

Divers motifs avaient pu engager les chrétiens à choisir le cimetière de l'orient. Longeant la grande chaussée de Rheims, à partir du bassin de la Crise jusque vers Milampart, cet emplacement était plus favorable à leurs réunions, attendu que la plupart d'entre eux, simples artisans, habitaient le vaste faubourg de Crise, auquel le cimetière faisait suite. Ce cimetière, d'ailleurs, était plus éloigné de la ville, et devait être, par conséquent, moins exposé à la jalousie inquiète des magistrats, encore tout dévoués au culte des faux dieux. Il est probable que les Romains, qui habitaient plus généralement le château d'Albâtre et ses environs, avaient leur cimetière à l'ouest de la ville.

Constantin, devenu, en 323, seul maître de

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