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jours, au bout d'une pique, et son corps fut suspendu au gibet. Quatre gentilshommes de la ville et un avocat, nommé Bassuel, furent exécutés avec lui, dans la plaine de St-Médard, près du quartier du duc de Bourbon. Des bourgeois, des militaires de la garnison, et parmi eux quelques Anglais furent pendus en divers endroits autour de la ville. Cinquante et un prisonniers, dont un seigneur du Plessis, furent conduits à Paris et exécutés aux halles; enfin on pendit à Laon, avec plusieurs de ses concitoyens, Jean Tiret, homme distingué par son mérite, et précédemment l'un des magistrats de Soissons. On ignore le nombre exact des individus mis à mort après le combat; mais on peut croire que les malheureux échappés au carnage furent décimés par la main du bour

reau.

Mais la victime la plus héroïque de cette sanglante catastrophe fut Pierre de Menau, capitaine de la ville, ou major de la bourgeoisie. Son vieux père, le seigneur de Menau, était accusé d'avoir été l'un des plus ardents moteurs de la révolte des Soissonnais; son arrêt de mort était prononcé, et déjà l'on s'apprêtait à le traîner au supplice,

quand son fils obtint, par ses instances et ses prières, de mourir à sa place: affirmant que lui seul s'était rendu coupable du crime reproché à son père. Son dévouement fut accepté, et sa tête tomba sous la même hache qui venait d'abattre celle de Bournonville.

Si Pierre de Menau n'avait pas été destiné au supplice, quoique sa qualité de major de la milice bourgeoise le signalât comme l'un des principaux révoltés, on ne peut attribuer l'indulgence des Armagnacs, à son égard, qu'à l'opposition qu'il avait mise au départ de Bournonville; avoir ainsi conservé à leur vengeance le représentant du duc de Bourgogne, et l'officier insolent qui les avait traités avec tant de hauteur pouvait être un titre de grâce à leurs yeux (6). Antoine de Craon, autre chef important, qui se trouvait dans le même cas, eut la vie sauve; il rentra même en faveur auprès du roi.

Plusieurs chefs de la garnison en furent quittes pour de grosses amendes; d'autres, mais en trèspetit nombre, furent encore plus heureux des amis qu'ils avaient dans l'armée royale leur procurèrent des moyens d'évasion. Quant aux gen

tilshommes et aux bourgeois de la ville qu'on avait épargnés, ils furent tous condamnés en masse à la misère, quelque fût d'ailleurs la part qu'ils avaient prise dans la révolte: on les frappa d'amendes énormes et de la confiscation de tous leurs biens, qui furent distribués, sur-le-champ, à des officiers de l'armée royale.

Ce dernier coup mit le comble à tous les maux qui avaient accablé Soissons. Le petit nombre de ceux qui avaient échappé à la mort, s'éloignèrent d'une patrie, où ils n'avaient plus de foyers, et qui ne leur offrait que les souvenirs déchirants de leur fortune passée, et des outrages dont on les avait si cruellement abreuvés dans leurs affections les plus chères. La plupart se réfugièrent en Flandre, dans les états du duc de Bourgogne.

Tant d'infortunes, et le spectacle d'une cité naguère florissante, changée tout à coup en un vaste champ de deuil, émut la pitié du roi. Il voulut réparer une partie des maux qu'on avait faits en son nom; il ordonna que les maisons particulières fussent réparées à ses frais, et qu'on y employât les matériaux des édifices publics et des

murs de la ville; mais la confusion qui régnait dans l'administration des affaires de l'État, empê

cha l'exécution de ces ordres. D'ailleurs, cet acte de générosité du monarque eût été tout à l'avantage de ceux qui avaient profité de la confiscation.

On devait aussi, selon la volonté du roi, rendre aux églises toutes les reliques et tous les objets précieux qui leur avaient été enlevés. La restitution se borna seulement à des ossements dont les pillards se souciaient fort peu sans doute. A l'égard des vases sacrés, reliquaires et autres objets, qui avaient de la valeur, ils les regardèrent comme étant de bonne prise, et ne craignirent pas, en les conservant, de braver les ordres du roi et les censures de l'Église. On ne peut expliquer l'acharnement des troupes royales à dévaster les édifices religieux, à l'égal des maisons des bourgeois, que par la soif du butin. La religion n'était cependant pour rien dans cette guerre, et les gens d'Église étaient, en général, demeurés étrangers à la révolte des Soissonnais, pour laquelle ils ne devaient avoir d'ailleurs aucune sympathie.

2me PERIODE COMPRENANT 375 ANS.

Depuis le sac DE LA VILLE, JUSqu'a la révolutION DE 1789.

LA BOURGEOISIE ANÉANTIE.

Le résultat le plus funeste du siége de 1414, fut l'anéantissement total de la bourgeoisie. Les hommes passent et les choses restent; mais quand la population d'une ville périt toute entière, il faut des siècles pour en recomposer une nouvelle qui possède cet esprit de cité, sans lequel on n'a qu'une agglomération d'individus, qu'aucun lien commun ne réunit les uns aux autres, que nul grand intérêt ne fait agir avec ensemble, et qui demeurent faibles et impuissants au milieu des corporations à priviléges. Ainsi, Soissons ne renfermait plus aucune de ces anciennes familles nobles ou bourgeoises, dans lesquelles l'amour

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