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la société. Le doute avait pénétré dans les esprits; on commençait à vouloir porter l'analyse et la critique jusque dans le sein des traditions religieuses, dont un assez grand nombre, nées dans des temps de ténèbres, heurtaient les lumières de la raison; la foi n'était plus tenue pour inviolable, et les nobles et les bourgeois, naturellement jaloux de la richesse et de la prépondérance du clergé, embrassaient avec ardeur la Réforme, où ils trouvaient, outre l'attrait de la nouveauté, véhicule toujours puissant en France, la sanction religieuse de cet esprit d'indépendance qui tourmentait la nation depuis longtemps, et auquel la renaissance des lettres donnait encore plus d'énergie et une direction plus déterminée. Des moines, enfin, abandonnaient, en assez grand nombre, la paix et l'oisiveté du cloître, pour rentrer dans un monde agité, que beaucoup d'entre eux n'avaient jamais connu, ou qu'ils n'avaient quitté qu'à regret et par contrainte.

Charles IX, âgé seulement de onze ans, avait succédé à son frère (décembre 1560), et la régence du royaume fut confiée à sa mère, Catherine de Médicis. D'abord elle favorisa les

Réformés, dont le prince de Condé s'était déclaré le chef, afin de les opposer à la faction des Guises, devenue trop puissante pour l'indépendance de la couronne et la tranquillité de l'État. Cet appui apparent, mais hypocrite, rendit les Calvinistes plus entreprenants à mesure que leur nombre allait en grossissant; et ils s'étaient tellement multipliés durant l'année 1561, dans la ville de Soissons et les villages voisins, qu'ils formèrent le dessein de faire une Cène générale en commun, dans la ville, le 28 décembre, à l'occasion de la fête de Noël. Les Catholiques, voulant s'opposer à cette manifestation publique de l'existence de la Réforme à Soissons, s'étaient emparés des portes de la ville, pour en interdir l'entrée aux Calvinistes des environs; mais ces derniers, aidés de leurs co-religionnaires de l'intérieur, les contraignirent à céder le passage, et la cérémonie eut lieu dans une maison particulière.

Peu de temps après parut le fameux édit de janvier, qui accordait la liberté de conscience et l'exercice public de la religion Réformée. Les Protestants de la ville, s'appuyant de cette au

torisation de la royauté, et enhardis d'ailleurs par leur succès du 28 décembre, voulurent avoir un prêche dans l'intérieur même de la cité. On rapporte qu'ils portèrent leurs prétentions jusqu'à vouloir le tenir dans l'église cathédrale. S'ils eurent, en effet, cette prétention, ce serait une preuve positive que les nouvelles doctrines comptaient alors, dans Soissons, un nombre considérable de partisans, comparativement à la force de la population. Quoiqu'il en soit, leur projet rencontra une très-vive opposition de la part des Catholiques, et donna lieu à une rixe assez sérieuse; mais sur l'intervention de M. d'Estrées, seigneur de Cœuvres, homme fort considéré dans les deux partis, on convint que le prêche se tiendrait à Belleu, bien que ce village appartînt à l'évêque, qui aima mieux y voir le culte de l'hérésie établi, que dans sa ville épiscopale. Ainsi les Réformés n'eurent point de temple à Soissons; mais ils n'en pratiquaient pas moins, dans l'intérieur de leurs maisons, toutes les cérémonies des baptêmes, mariages, funérailles. Les convois se faisaient aussi ostensiblement que ceux des Catholiques.

Ces progrès si rapides de la Réforme à Soissons, malgré tous les efforts et tout le zèle du clergé pour l'en tenir éloigné, furent dus, en grande partie, à la présence du prince de Condé à la tête du parti calviniste. Ce prince, fils puîné de Charles, duc de Vendôme, l'un des hommes les plus distingués de son époque, avait hérité du comté de Soissons. Sa haute naissance, la mémoire de son père, chère aux Soissonnais, son mariage avec Eléonore de Roye, qui lui avait apporté les seigneuries de Muret, de Nantheuil, de Buzancy, d'Espagny, de Germiny, de Blé et de Breteuil, toutes situées aux environs de Soissons; enfin l'acquisition qu'il fit, vers ce même temps, des justices seigneuriales des corporations religieuses de la ville, tout concourait à lui donner une très-grande influence. Ses officiers, et les personnes qui lui appartenaient, à titre quelconque, s'étaient empressés de se ranger de son parti, qui semblait être aussi celui de la reine régente, et d'embrasser la religion nouvelle. L'exemple donné par les familles attachées au prince, et c'étaient les plus considérables du

pays, avait trouvé un grand nombre d'imitateurs.

La réunion de toutes les justices des corporations religieuses à celle du comte était sans doute une mesure avantageuse, puisqu'on pouvait attendre plus d'uniformité dans l'administration de la justice; mieux eût valu pourtant qu'elles eussent été réunies à celle du prévôt. Mais cette réunion n'eut qu'une trèscourte durée. L'aliénation de ces justices ayant été faite par ordre du roi, pour subvenir aux besoins de l'État, le clergé ne s'y était pas opposé, dans la persuasion que les fonds qu'elle produirait, serviraient à faire la guerre aux Huguenots. Peu d'années après, il les reprit, en versant une somme au trésor du roi.

L'édit de janvier, qui accordait la liberté de conscience, fut révoqué par un autre édit du 26 mai suivant. Par ce dernier, l'exercice de la religion Réformée était défendu dans l'intérieur des villes, avec ordre formel aux ministres Calvinistes, et même à tous les Réformés, en général, d'en sortir. Dès que le nouvel édit fut publié, les magistrats de Soissons mandèrent le ministre en leur présence et lui signifièrent im

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