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sastre, et notre territoire fut bientôt envahi par les soldats de toutes les nations. Napoléon, pour résister à tant d'ennemis, qu'avaient soulevés son ambition et l'or de l'Angleterre, ordonna la formation de quatre corps de réserve, dont l'un devait se rassembler à Soissons; mais sa volonté resta, cette fois, impuissante. Le prestige produit par vingt ans de victoires et de conquêtes s'était évanoui plus de jeunesse pour recruter nos bataillons délabrés : la conscription l'avait dévorée avant l'âge. Plus de libertés publiques pour retremper l'esprit national, en présence des dangers de la patrie : elles étaient étouffées sous la pourpre impériale. Les vieux compagnons d'armes du vainqueur de Montenotte, des Pyramides, de Marengo; ces valeureux Français que 1792 avait vus voler, avec tant d'enthousiasme, à la défense de leurs frontières, n'apportaient plus au combat, ni la même énergie, ni la même confiance. Usés par les fatigues, couverts de blessures, comblés d'honneurs, rassasiés de gloire, ils aspiraient à goûter enfin quelque repos à l'ombre des lauriers gagnés sur cent champs de bataille. Pouvaient-ils voir d'ailleurs, sans déplaisir et sans regret, que celui

qui avait été leur égal, poussât la soif du pouvoir jusqu'à faire presque revivre de nos jours, et au mépris de tout le sang versé pour la cause de la liberté, ce mot célèbre de Louis XIV : l'État c'est moi! et que, non content d'avoir posé sur sa tête une double couronne, il eût encore sacrifié tant de fois des milliers de braves soldats pour pourvoir de trônes tous les membres de sa nombreuse famille ?

Cependant les armées ennemies s'avançaient avec lenteur et circonspection. Le 12 février, le général Winzingerode s'empara de Laon, sans coup férir. Le corps de réserve rassemblé à Soissons, ne présentait qu'une masse d'environ quatre mille hommes. A l'exception des cadres de six bataillons et d'une centaine de gendarmes à cheval, c'étaient des conscrits de la classe de 1815, appelés par anticipation, et des gardes nationales mobiles des départements de l'Eure et de Seine et Oise, composées d'hommes mariés ou de jeunes gens de quinze à dix-huit ans que la conscription n'avait point encore osé atteindre. Le commandement supérieur était confié au général de division Rusca, qui avait sous lui les généraux de bri

gade Berruyer, commandant la place, DanloupVerdun et Longchamps.

La force et la composition de cette masse étaient peu propres à inspirer de la confiance. On avait affaire à des troupes aguerries et pleines de cette audace que donne une longue suite de succès. En face d'un si grand péril, on négligea presque toutes les mesures de précaution: la place n'était armée que de huit pièces de campagne. Les remparts, depuis longtemps changés en promenades, se trouvaient entièrement dépourvus de parapets et de tout abri contre les coups tirés du dehors; on y était vu de la tête aux pieds Le mur d'escarpe avait à peine, sur plusieurs points de son pourtour, 4 mètres de hauteur; le fossé était sans contrescarpe et la gorge de la place ouverte sur le Mail; enfin, aux abords des trois portes, s'élevaient des maisons dont les combles dominaient tout le terre-plein de l'enceinte. Par une fatalité à peu près inexplicable, les seuls travaux entrepris pour remédier à tant de défauts, eurent lieu à la porte de Rheims, où la hauteur de la muraille était assez considérable pour ne pas avoir à craindre d'escalade. On couvrit cette porte d'un réduit palissadé.

A la nouvelle de la prise de Laon, on s'empressa de compléter, tant bien que mal, l'armement de tous les hommes de la garnison. Le lendemain 13, on envoya un bataillon prendre position à la ferme de la Perrière, en avant du village de Crouy. Mais il en fut promptement délogé, le même jour, avec une grande perte, par l'avantgarde russe sous les ordres du général Czernitzchew. Les débris de ce bataillon se sauvèrent à la faveur des ravins et des bois qui avoisinent la ferme, et rentrèrent la nuit dans la place, harcelés par les Cosaques, qui s'avancèrent jusque sur le bord des fossés. Cet échec qu'on devait prévoir, et qu'il eût fallu éviter avec de mauvaises troupes qu'il démoralisait encore davantage, était d'un fàcheux augure pour le jour suivant.

Le général Winzingerode dont l'intention était de se rallier à l'armée de Blucher, sur les bords de la Marne, n'était que trop bien instruit de toute la faiblesse de Soissons. Il avait formé le dessein d'enlever cette ville, chemin faisant, par une attaque de vive force. Lorsqu'il eut rejoint son avant-garde, dans la matinée du 14 février, ses colonnes, formées entre le village de Crouy et le hameau de St-Paul, s'avancèrent, vers les onze

heures, avec la plus grande résolution, sans s'inquiéter de l'artillerie de la place, ni ralentir leur marche. Arrivées à 200 mètres des remparts, vingt pièces de canon, sorties de leurs flancs, ouvrirent un feu terrible à mitraille. Le général Rusca tomba des premiers, frappé d'un biscaïen à la gorge. Il avait pris poste dans le bastion de la porte de Laon, autant pour relever, par sa présence, le moral de ses soldats, que pour observer les mouvements de l'ennemi. Au même instant, l'avant-garde russe se précipite sur la porte de Laon, qu'elle enfonce à coups de hache, tandis que ses tirailleurs dirigent sur le rempart, par les croisées et les toits de l'auberge du Point du Jour, située presqu'à l'entrée du pont de cette porte, une fusillade très-meurtrière qui en chasse les Français, que la mort du général a jetés dans la stupeur et dans la plus grande confusion.

Pendant que la porte de Laon était emportée d'emblée, une autre colonne ennemie, passant derrière St-Médard, se dirigeait rapidement sur la petite porte, placée en amont du pont et servant à communiquer avec le chemin de halage. A la vue de la cavalerie venant au galop, le détache

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