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cer, Capito, Hédio et autres qui pour lors reluysoyent comme perles précieuses en l'église de Dieu; il y dressa une église françoise, y establissant mesmes la discipline ecclésiastique, ce que jamais toutesfois les Allemans n'ont peu obtenir jusques à présent pour leur église. Il lisoit aussi en théologie avec grande admiration d'un chacun, et lors il commença d'escrire sur sainct Paul, dédiant son Commentaire sur l'épistre aux Romains à M. Simon Grinée, tenu le plus docte des Allemans, et son grand amy. Il eut aussi cest heur, entre autres, qu'il ramena à la foy un fort grand nombre d'anabaptistes qu'on luy adressoit de toutes parts, et entre autres un nommé Jean Stordeur, de Liége, lequel, estant décédé de peste à Strasbourg quelque temps après, il print sa vefve à femme, nommée Idellette de Bure, femme grave et honneste, avec laquelle il a depuis paisiblement vescu, jusques à ce que nostre Seigneur la retira à soy, l'an 1548, sans avoir eu aucuns enfans(1). En ce mesme temps furent tenues en Allemagne quelques journées impérialles sur le faict de la religion, à Wormes, et à Ratisbonne, èsquelles Calvin fut esleu des premiers par l'advis de tous les théologiens allemans, où il se porta tellement que sa renommée se fit grande parmi les adversaires mesmes, et Philipe Melanthon, entre autres, le print dès lors en singulière amitié qui a tousjours duré depuis, et dès lors l'appeloit ordinairement le théologien, par un singulier honneur. Cependant le Seigneur exerçoit ses jugemens à Genève, punissant expressément ceux

(1) Calvin eut un fils qui mourut jeune, et que de Bèze ne paraît pas avoir connu. J. Chappeauville (Historia pontificum Tungrensium et Leodiensium, t. III, cap. 4) rapporte qu'un fils de Calvin, mordu d'un chien enragé en 1861, se rendit au tombeau de saint Hubert, dans les Ardennes, pour obtenir sa guérison par l'intercession de ce saint.

lesquels estans en estat de syndique, 1538, avoyent esté cause de déchasser Calvin et Farel, tellement que l'un d'iceux estant coulpable d'une sédition, et se voulant sauver par une fenestre, se creva soy-mesmes; un autre, ayant commis un meurtre, fut décapité par justice; les deux autres, convaincus de certaine desloyauté contre l'estat de la ville, s'enfuirent et furent condamnez en leur absence. Cest escume estant vuidée de la ville, Calvin commença d'estre regretté et fut redemandé, par plu sieurs ambassades de Genève et par l'intercession des seigneurs de Zurich, aux seigneurs de Strasbourg, qui en firent difficulté. Calvin, d'autre part, voyant le fruict qu'il faisoit à Strasbourg, n'y vouloit nullement consentir, combien que, pour tesmoygner l'affection qu'il portoit à la ville, dès l'an 1539, un an après son bannissement, il avoit maintenu la cause d'icelle, ou plustost de la vérité de Dieu, contre le cardinal Sadolet, par une longue et docte épistre qui se trouve imprimée parmi ses œuvres. Enfin il falut venir jusques aux menasses du ju gement de Dieu, s'il n'obéissoit à ceste vocation, de sorte qu'au grand regret desdits seigneurs de Strasbourg, et surtout de M. Bucer et de ses autres compagnons, il fut accordé à Genève pour quelque temps. Mais y estant arrivé et receu de singulière affection par ce povre peuple, recognoissant sa faute et affamé d'ouïr son fidèle pasteur, il fut retenu pour tousjours; à quoy s'accorderent enfin lesdits seigneurs de Strasbourg, à la charge toutesfois qu'ils le tenoient tousjours pour leur bourgeois. Ils vouloyent aussi qu'il retinst le revenu d'une prébende qu'ils luy avoyent assignée pour ses gages de professeur; mais comme il estoit un homme de tout eslongné de cupidité des biens de ce monde, jamais ils ne peurent tant faire qu'il en retinst la valeur d'un denier. Par ainsi il fut

restabli derechef à Genève l'an 1541, le 13 de septembre, là où incontinent il dressa l'ordre et la discipline ecclésiastique qui y est tousjours demeuré ferme depuis, nonobstant que Satan et ses adhérans ayent fait tous leurs efforts pour l'abolir. Or, qui voudroit ici déclarer par le menu tous les travaux que cest excellent personnage a depuis soustenus par l'espace de vingt et trois ans, et par dedans et par dehors, il y auroit matière d'un bien gros vollume; car s'il y eut jamais ville rudement assaillie de Satan et courageusement défendue durant ce temps, ç'a esté Genève; l'honneur en appartient à un Dieu seul, mais il se peut et doit bien dire que Calvin a esté l'instrument de la force et vertu d'iceluy. S'il est question de vigilance, jamais Satan et les siens ne le prindrent à despourveu, et qu'il n'en ait ou adverti le troupeau devant le coup ou préservé sur-le-champ. S'il faut parler d'intégrité, il est encores à naistre qui luy a veu faire faute en son office, fléchir tant soit peu pour homme vivant, avoir varié en doctrine ni en vie, ni jamais calomnié personne. S'il faut mettre en avant le travail, je ne croy point qu'il se puisse trouver son pareil; outre ce qu'il preschoit tous les jours de sepmaine en sepmaine, le plus souvent et tant qu'il a peu il a presché deux fois tous les dimanches; il lisoit trois fois la sepmaine en théologie, il faisoit les remonstrances au consistoire et comme une leçon entière tous les vendredis en la conférence de l'Escriture que nous appelons congrégation, et a tellement continué ce train sans interruption jusqu'à la mort que jamais il n'y a failli une seule fois, si ce n'a esté en extrême maladie. Au reste, qui pourroit raconter ses autres travaux ordinaires et extraordinaires? Je ne sçay si homme de nostre temps a eu plus à ouïr, à respondre et à escrire, ni de choses de plus grande importance. La

seule multitude et qualité de ses escrits suffit pour estonner tout homme qui les verra et plus encores tous ceux qui les liront. Et ce qui rend ces labeurs plus admirables, c'est qu'il avoit un corps si débile de nature, tant atténué de veilles et de soubriété par trop grande, et qui plus est subjet à tant de maladies, que tout homme qui le voyoit n'eust peu penser qu'il eust peu vivre tant soit peu. Et toutesfois pour tout cela n'a cessé de travailler jour et nuict après l'œuvre du Seigneur, et n'oyoit rien moins volontiers de ses amis que les prières et exhortations qu'on luy faisoit journellement, afin qu'il se donnast quelque repos. J'en alléguerai seulement deux exemples. L'an 1559, estant assailli et merveilleusement pressé d'une fièvre quarte, il a, ce nonobstant, basti sa dernière Institution chrestienne au plus fort de ceste maladie, et qui plus est traduite en françois d'un bout à l'autre. Pareillement, en ses dernières maladies, qui estoyent la pierre, la goutte, les hémorrhoïdes, une fièvre phthysicque, difficulté d'haleine, outre son mal ordinaire de la migraine, il a traduit luy-mesmes de bout en bout ce gros volume de ses Commentaires sur les quatre derniers livres de Moyse, reconféré la translation du premier, fait ce livre sur Josué, et reveu la plus grand part de la translation des annotations du NouveauTestament, de sorte qu'il n'a jamais cessé de dicter que huict jours devant sa mort, la voix mesme luy défaillant. Outre les peines innumérables et propres à sa charge, en toutes les difficultez et périls où s'est trouvée ceste povre citée, assaillie par dedans par plusieurs mutins et désespérez citoyens, tormentée par dehors en cent mille sortes, menacée des plus grands Rois et princes de la chrestienté, d'autant qu'elle a tousjours esté le refuge et la désence de tous les povres enfans de Dieu, affligez

en France, Italie, Espagne, Angleterre ou ailleurs, il a falu que Calvin ait soustenu le plus pesant fardeau. Brief il pouvoit bien dire avec saint Paul: Qui est celuy qui est troublé que je n'en brusle? Et n'estoit point sans cause que chacun avoit son refuge à luy; car Dieu luy avoit tant départi de prudence et bon conseil que jamais homme ne se trouva mal de l'avoir suivi, mais bien en ay-je trop veu qui sont tombez en extremes inconvéniens pour ne l'avoir voulu croire. Cela s'est ainsi trouvé par infinies expériences, mais surtout ès séditions advenues l'an 48, 54 et 55, pour rompre la discipline de l'église, èsquelles s'estant mis tout nud au travers des espées desgainées, , par sa seule présence et parole il a tellement effrayé les plus désespérez mutins qu'ils estoyent contraints de donner gloire à Dieu. Le pareil se monstra en la conspiration catilinaire qui fut faite la mesme année 55, pour meurtrir en une nuict tous les François, par le capitaine de la ville nommé Amied Perrin et ses complices (1.); laquelle conjuration ayant attiré une infinité de dangers et travaux, à la fin le Seigneur, par sa grande grace et par la prudence de son serviteur, a conduite à telle issue qu'on la voit, c'est-à-dire en la plus grande tranquillité et félicité qu'ait jamais sentie ceste cité.

Quant à son vivre ordinaire, chacun sera tesmoin qu'il a esté tellement tempéré que d'excès il n'y en eut jamais, de chicheté aussi peu, mais une médiocrité louable, horsmis qu'il avoit par trop peu d'esgard à sa santé, s'estant contenté par plusieurs années d'un seul repas pour le plus en vingt-quatre heures et jamais ne prenant rien entre deux ; tellement que tout ce que les médecins luy ont peu per

(1) La vie de Calvin par Bolsec, imprimée dans ce volume, donne de grands détails sur cette affaire.

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