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Comptait dans un jardin les feuilles d'un figuier,
Tout d'un coup une voix, on ne sait d'où venue,
Que la vague apportait ou que jetait la nue,
Lui disait: Prends et lis! et le livre entr'ouvert
Était là, comme on voit la colombe au désert;

Ou c'était un buisson qui prenait la parole ;
Ou c'était un vieillard avec une auréole,

Qui d'un mot apaisait ces cœurs irrésolus,

Et qui disparaissait, et qu'on n'oubliait plus.

Et moi, comme eux, Seigneur, je m'écrie et t'implore, Et nul signe d'en haut ne me répond encore;

Comme eux j'erre incertain, en proie aux sens fougueux,
Cherchant la vérité, mais plus coupable qu'eux;
Car je l'avais, Seigneur, cette vérité sainte :
Nourri de ta parole, élevé dans l'enceinte
Où croissent sous ton œil tes enfants rassemblés,
Mes plus jeunes désirs furent par toi réglés;
Ton souffle de mon cœur purifia l'argile;
Tu le mis sur l'autel comme un vase fragile,

Et, les grands jours, au bruit des concerts frémissants,
Tu l'emplissais de fleurs, de parfums et d'encens.
Tu m'aimais entre tous; et ces dons qu'on désire,
Ce pouvoir inconnu qu'on accorde à la lyre,
Cet art mystérieux de charmer par la voix,
Si l'on dit que je l'ai, Seigneur, je te le dois;
Tu m'avais animé pour chanter tes merveilles,
Comme le rossignol qui chante quand tu veilles.
Qu'ai-je fait de tes dons? - J'ai blasphémé, j'ai fui;
Au camp du Philistin la lampe sainte a lui :
L'orgue impie a chassé l'air divin qui l'inspire,
Et le pavé du temple a parlé pour maudire.
Grâce! j'ai trop péché : tout fier de ma raison,
Plus ivre qu'un esclave échappé de prison,
J'ai rougi, j'ai menti des tiens et de toi-même,
Et de moi; j'ai juré que j'étais sans baptême;
J'ai tenté bien des cœurs à de mauvais combats;
Lorsque passait un mort, je ne m'inclinais pas.

- un jour qu'à l'ordinaire

Tu m'as puni, Seigneur :

Sans pudeur outrageant ta harpe et ton tonnerre,
Comme un enfant moqueur, sur l'abîme emporté,
Je roulais glorieux dans mon impiété,
Ta colère s'émut, et, soufflant sans orage,
Enleva mon orgueil ainsi qu'un vain nuage;
La glace où je glissais rompit sous mon traîneau,
Et le roc sous ma main se fondit comme une eau.
Depuis ce temps, déchu, noirci de fange immonde,
Sans ciel et sans soleil, égaré dans le monde,
Quand parfois trop d'ennui me possède, je cours
Comme les chiens errants qu'on voit aux carrefours.
Je ne respire plus l'air frais des eaux limpides;
Tous mes sens révoltés m'entraînent, plus rapides
Que le poulain fumant qui s'effraie et bondit,
Ou la mule sans frein d'un Absalon maudit.
Oh! si c'était là tout! l'on pourrait vivre encore
Et croupir du sommeil d'un être qui s'ignore;
On pourrait s'étourdir. Mais aux pires instants,
L'immortelle pensée en sillons éclatants,
Comme un feu des marais, jaillit de cette fange,
Et, remplissant nos yeux, nous éclaire et se venge.
Alors, comme en dormant on rêve quelquefois
Qu'on est dans une plaine aride, ou dans un bois,
Ou sur un mont désert, et l'on s'entend poursuivre
Par des brigands armés, et, plein d'amour de vivre,
De sentiers en sentiers, de sommets en sommets,
L'on va, l'on va toujours, sans avancer jamais,
De même, en ces moments d'angoisse et de détresse,
Par mille affreux efforts notre âme se redresse
Pour remonter à Dieu; mais son espoir est vain!
-Et pourtant, ce n'est pas, Maître bon et divin,
Sur des vaisseaux, des chars à la course roulante,
Ce n'est pas en marchant plus rapide ou plus lente,
Que l'âme en peine arrive au ciel avant le soir;
Pour arriver à toi, c'est assez de vouloir.

Je voudrais bien, Seigneur ; je veux; pourquoi ne puis-je ?
Je m'y perds, soutiens-moi; mets fin à ce prodige,

Sauve à mon repentir un doute insidieux,
O très-grand, ô très-bon, miséricordieux !
C'est sans doute qu'en moi la coupable nature
Aime en secret son mal, chérit sa pourriture,
Espère réveiller le vieil homme endormi,
Et qu'en croyant vouloir je ne veux qu'à demi.
Non, tout entier, je veux; sur mon âme apaisée
Verse d'en haut, Seigneur, ta manne et ta rosée ;
Couvre-moi de ton œil; tends-moi la main, et rends
Le silence et le calme à mes sens murmurants.
Repétris sous tes doigts mon argile odorante;
Que, douce comme un chant au lit d'une mourante,
Ma voix redise encor ton nom durant les nuits;
Ainsi de moi bientôt fuiront tous les ennuis;
Ainsi, comme autrefois, la prière et l'étude
De leurs rameaux unis cloront ma solitude;
Ainsi, grave et pieux, loin, bien loin des humains,
Je cacherai ma vie en de secrets chemins,

Sous un bois, près des eaux; et là, dans ma pensée,
Regardant par delà mon ivresse insensée,

Je reverrai les ans chers à mon souvenir

Comme un tableau souillé qu'on vient de rajeunir;
Et, soit que la bonté du Maître que j'adore,
Un matin de printemps, sur mon seuil fasse éclore
Une vierge au front pur, au doux sein velouté,
Qui me donne à cueillir les fruits de sa beauté;
Soit que jusqu'au tombeau, pèlerin sur la terre,
J'achève sans m'asseoir ma traite solitaire;
Que mon corps se flétrisse, avant l'âge penché,
Et que je sois puni par où j'ai trop péché,

Qu'importe, ô Dieu clément! ta tendresse est la même;

Tu fais tout pour le bien avec l'enfant qui t'aime;

Tu sauves en frappant;·

- tu m'auras retiré

Du profond de l'abîme, et je te bénirai.

Juin 1829.

III.

A M. AUGUSTE LE PRÉVOST.

Quis memorabitur tui post mortem et quis orabit pro te?

DE IMIT. CHRISTI, lib. I, cap. 23.

Dans l'île Saint-Louis, le long d'un quai désert,
L'autre soir je passais; le ciel était couvert,
Et l'horizon brumeux eût paru noir d'orages,
Sans la fraîcheur du vent qui chassait les nuages;
Le soleil se couchait sous de sombres rideaux;
La rivière coulait verte entre les radeaux;
Aux balcons çà et là quelque figure blanche
Respirait l'air du soir; - et c'était un dimanche.
Le dimanche est pour nous le jour du souvenir;
Car, dans la tendre enfance, on aime à voir venir,
Après les soins comptés de l'exacte semaine
Et les devoirs remplis, le soleil qui ramène
Le loisir et la fête, et les habits parés,

Et l'église aux doux chants, et les jeux dans les prés;
Et plus tard, quand la vie, en proie à la tempête,
Ou stagnante d'ennui, n'a plus loisir ni fête,
Si pourtant nous sentons, aux choses d'alentour,
A la gaîté d'autrui, qu'est revenu ce jour,
Par degrés attendris jusqu'au fond de notre âme,
De nos beaux ans brisés nous renouons la trame,
Et nous nous rappelons nos dimanches d'alors,
Et notre blonde enfance, et ses riants trésors.
Je rêvais donc ainsi, sur ce quai solitaire,

A mon jeune matin si voilé de mystère,

A tant de pleurs obscurs en secret dévorés,
A tant de biens trompeurs ardemment espérés,

Qui ne viendront jamais,... qui sont venus peut-être !
En suis-je plus heureux qu'avant de les connaître ?

Et, tout rêvant ainsi, pauvre rêveur, voilà
Que soudain, loin, bien loin, mon âme 's'envola,
Et d'objets en objets, dans sa course inconstante,
Se prit aux longs discours que feu ma bonne tante
Me tenait, tout enfant, durant nos soirs d'hiver,
Dans ma ville natale, à Boulogne-sur-Mer.
Elle m'y racontait souvent, pour me distraire,
Son enfance, et les jeux de mon père, son frère,
Que je n'ai pas connu; car je naquis en deuil,
Et mon berceau d'abord posa sur un cercueil.
Elle me parlait donc, et de mon père, et d'elle;
Et ce qu'aimait surtout sa mémoire fidèle,
C'était de me conter leurs destins entraînés
Loin du bourg paternel où tous deux étaient nés.
De mon antique aïeul je savais le ménage,
Le manoir, son aspect et tout le voisinage;

La rivière coulait à cent pas près du seuil;

Douze enfants (tous sont morts!) entouraient le fauteuil ; Et je disais les noms de chaque jeune fille,

Du curé, du notaire, amis de la famille,

Pieux hommes de bien, dont j'ai révé les traits,
Morts pourtant sans savoir que jamais je naîtrais.

Et tout cela revint en mon âme mobile,
Ce jour que je passais le long du quai, dans l'île.

Et bientôt, au sortir de ces songes flottants,
Je me sentis pleurer, et j'admirai longtemps
Que de ces hommes morts, de ces choses vieillies,
De ces traditions par hasard recueillies,
Moi, si jeune et d'hier, inconnu des aïeux,
Qui n'ai vu qu'en récits les images des lieux,
Je susse ces détails, seul peut-être sur terre,
Que j'en gardasse un culte en mon cœur solitaire,
Et qu'à propos de rien, un jour d'été, si loin
Des lieux et des objets, ainsi j'en prisse soin.
Hélas! pensai-je alors, la tristesse dans l'âme,
Humbles hommes, l'oubli sans pitié nous réclame,

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