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Et, sitôt que la mort nous a remis à Dieu,
Le souvenir de nous ici nous survit peu ;
Notre trace est légère et bien vite effacée;

Et moi, qui de ces morts garde encor la pensée,
Quand je m'endormirai comme eux, du temps vaincu,
Sais-je, hélas! si quelqu'un saura que j'ai vécu?
Et poursuivant toujours, je disais qu'en la gloire,
En la mémoire humaine, il est peu sûr de croire,
Que les cœurs sont ingrats, et que bien mieux il vaut
De bonne heure aspirer et se fonder plus haut,
Et croire en Celui seul qui, dès qu'on le supplie,
Ne nous fait jamais faute, et qui jamais n'oublie.

Juillet 1829.

IV.

A MON AMI ULRIC GUTTINGUER.

Dilata me in amore, ut discam interiori cordis ore quam suave sit amare et in amore liquefieri et natare.

DE IMIT. CHRISTI., lib. III, cap. 5.

Depuis que de mon Dieu la bonté paternelle
Baigna mon cœur enfant de tendresse et de pleurs,
Alluma le désir au fond de ma prunelle,

Et me ceignit le front de pudiques couleurs;

Et qu'il me dit d'aller vers les filles des hommes
Comme une mère envoie un enfant dans un pré
Ou dans un verger mûr, et des fleurs ou des pommes
Lui permet de cueillir la plus belle à son gré;

Bien souvent depuis lors, inconstant et peu sage,
En ce doux paradis j'égarai mes amours;

A chaque fruit charmant qui tremblait au passage,
Tenté de le cueillir, je retardais toujours.

Puis, j'en voyais un autre et je perdais mémoire : C'étaient des seins dorés et plus blonds qu'un miel pur; D'un front pâli j'aimais la chevelure noire;

Des yeux bleus m'ont séduit à leur paisible azur.

J'ai, changeant tour à tour de faiblesse et de flamme,
Suivi bien des regards, adoré bien des pas,

Et plus d'un soir, rentrant, le désespoir dans l'âme,
Un coup d'œil m'atteignit que je ne cherchais pas.

Caprices! vœux légers! Lucile, Natalie,
Toi qui mourus; Emma, fantômes chers et doux,
Et d'autres que je sais et beaucoup que j'oublie,
Que de fois pour toujours je me crus tout à vous!

Mais comme un flot nouveau chasse le flot sonore,
Comme passent des voix dans un air embauiné,
Comme l'aube blanchit et meurt à chaque aurore,
Ainsi rien ne durait... et je n'ai point aimé !

Non, jamais, non, l'amour, l'amour vrai, sans mensonge,
Ses purs ravissements en un cœur ingénu,

Et l'unique pensée où sa vertu nous plonge,
Et le choix éternel... je ne l'ai pas connu!

Et si, trouvant en moi cet ennui que j'évite,
Retombé dans le vide et las des longs loisirs,
Pour dévorer mes jours et les tarir plus vite,
J'ai rabaissé mon âme aux faciles plaisirs;

Si, touché des cris sourds de la chair qui murmure, Sans attendre, ô mon Dieu, le fruit vermeil et frais,

J'ai mordu dans la cendre et dans la pourriture,
Comme un enfant glouton, pour m'assoupir après;

Pardonne à mon délire, à l'affreuse pensée
D'une mort sans réveil et d'une nuit sans jour,
A mon vœu de m'éteindre en ma joie insensée;
Pardonne tout cela, ce n'était pas l'amour.

Mais, depuis quelques soirs et vers l'heure où l'on rêve,

Je rencontre en chemin une blanche beauté ;

Elle est là quand je passe, et son front se relève,

Et son œil sur le mien semble s'être arrêté.

Comme un jeune asphodèle, au bord d'une eau féconde,
Elle penche à la brise et livre ses parfums;

Sa main, comme un beau lis, joue à sa tête blonde;
Sa prunelle rayonne à travers des cils bruns.

Comme sur un gazon, sur sa tempe bleuâtre
Les flots de ses cheveux sont légers à couler;
Dans le vase, à travers la pâleur de l'albâtre,
On voit trembler la lampe et l'âme étinceler.

Souvent, en vous parlant, quelque rêveuse image
Tout à coup sur son front et dans ses yeux voilés
Passe, plus prompte à fuir qu'une ombre de nuage
Qui par un jour serein court aux cimes des blés.

Ses beaux pieds transparents, nés pour fouler la rose,
Plus blancs que le satin qui les vient enfermer,
Plus doux que la senteur dont elle les arrose,
Je les ai vus... Mon Dieu, fais que je puisse aimer!

Aimer, c'est croire en toi, c'est prier avec larmes
Pour l'angélique fleur éclose en notre nuit,
C'est veiller quand tout dort, et respirer ses charmes,
Et chérir sur son front ta grâce qui reluit;

C'est, quand autour de nous le genre humain en troupe
S'agite éperdument pour le plaisir amer,

Et sue, et boit ses pleurs dans le vin de sa coupe,
Et se rue à la mort comme un fleuve à la mer,

C'est trouver en soi seul ces mystiques fontaines,
Ces torrents de bonheur qu'a chantés un saint Roi;
C'est passer du désert aux régions certaines,
Tout entiers l'un à l'autre, et tous les deux dans toi;

C'est être chaste et sobre, et doux avec courage;
C'est ne maudire rien quand ta main a béni;
. C'est croire au ciel serein, à l'éclair dans l'orage;
C'est vouloir qu'ici-bas tout ne soit pas fini;

C'est, lorsqu'au froid du soir, aux approches de l'ombre, Le couple voyageur s'est assis pour gémir,

Et que la mort sortant, comme un hôtelier sombre, Au plus lassé des deux a crié de dormir,

C'est, pour l'inconsolé qui poursuit solitaire,
Être mort et dormir dans le même tombeau;

Plus que jamais c'est vivre au delà de la terre,
C'est voir en songe un Ange avec un saint flambeau.

Juillet 1829.

V.

A MADAME V. H.

Un nuage a passé sur notre amitié pure; Un mot dit en colère, une parole dure

A froissé votre cœur, et vous a fait penser

Qu'un jour mes sentiments se pourraient effacer;

Pour la première fois, Vous, prudente el si sage,
Vous avez cru prévoir, comme dans un présage,
Qu'avant mon lit de mort, mon amitié pour vous,
Oui, Madame, pour vous et votre illustre époux,
Amitié que je porte et si fière et si haute,

Pourrait un jour sécher et périr par ma faute.
Doute amer! votre cœur l'a sans crainte abordé;
Vous en avez souffert, mais vous l'avez gardé ;
Et tantôt là-dessus, triste et d'un ton de blâme,
Vous avez dit ces mots, qui m'ont pénétré l'âme :
«En cette vie, hélas ! rien n'est constant et sûr;
« Le ver se glisse au fruit, dès que le fruit est mûr;
« L'amitié se corrompt; tout est rêve et chimère ;
« On n'a pour vrais amis que son père et sa mère,
<< Son mari, ses enfants, et Dieu par-dessus tous.
« Quant à ces autres biens qu'on estime si doux,
«S'entr'aider, se chérir, croire à des cœurs fidèles,
« Voir en des yeux amis briller des étincelles,
« Ce sont de faux semblants auxquels je n'ai plus foi;
«La vie est une foule où chacun tire à soi. »
Oui, vous avez dit vrai; l'amitié n'est pas sûre;
Mais, en me le disant, pourquoi me faire injure?
Pourquoi, lorsqu'ici-bas, à l'ennui condamné,
Las de soi-même, on s'est à quelque autre donné;
Qu'en cet autre on a mis son âme et sa tendresse,
Ses foyers, son orgueil et toute sa jeunesse;
Qu'assis sur le tillac, à demi défailli,

Comme un pauvre nageur en passant recueilli,
On a juré de suivre aux mers les plus profondes
Le noble pavillon qui nous sauva des ondes;
Lorsqu'autre part qu'en nous notre espoir refleurit ;
Lorsque pour l'être aimé, pour tous ceux qu'il chérit,
Pour leur salut, leur gloire ou pour leur moindre envie,
A toute heure, on est prêt à dépenser sa vie;
Pourquoi venir alors nous dire que la foi

Est morte aux cœurs humains; que chacun tire à soi;
Qu'entre les amitiés aucune n'est durable;

Et pour un tort léger parler d'irréparable?

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