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Pour près d'un mois je me sens tout perclus,

O mes amis, alors je prends un livre.

Non pas un seul, mais dix, mais vingt, mais cent;
Non les meilleurs, Byron le magnanime,

Le grand Milton ou Dante le puissant;
Mais tous Anas de naissance anonyme
Semés de traits que je note en passant.

C'est mon bonheur. Sauriez-vous pas, de grâce,
En quel recoin et parmi quel fatras
Il me serait possible d'avoir trace
Du long séjour que fit à Carpentras
Monsieur Malherbe; ou de quel air Ménage
Chez Sévigné jouait son personnage ?
Monsieur Conrart savait-il le latin

Mieux que Jouy? consommait-il en plumes
Moins que Suard? le docteur Gui Patin
Avait-il plus de dix mille volumes ?

Problèmes fins, procès toujours pendants,
Qu'à grand plaisir je retourne et travaille!
Vaut-il pas mieux, quand on est sur les dents,
Plutôt qu'aller rimailler rien qui vaille,

Se faire rat et ronger une maille?

En cette humeur, s'il me vient sous la main,
Le long des quais un vélin un peu jaune,
Le titre en rouge et la date en romain,
Au frontispice un saint Jean sur un trône,
Le tout couvert d'un fort blanc parchemin,
Oh! que ce soit un Ronsard, un Pétrone,
Un A-Kempis, pour moi c'est un trésor,
Que j'ouvre et ferme et que je rouvre encor :
Je rôde autour et du doigt je le touche;
Au parapet rien qu'à le voir couché,
En plein midi, l'eau me vient à la bouche;

Et lorsqu'enfin j'ai conclu le marché,
Dans mon armoire il ne prend point la place
Où désormais il dormira caché,

Que je n'en aie au moins lu la préface.

On est au bal; déjà sur le piano
Dix jolis doigts ont marqué la cadence;
Sur le parquet déjà la contredanse
Déroule et brise et rejoint son anneau.

Mais tout d'un coup le bon Nodier qui m'aime,
Se souvenant d'avoir, le matin même,
Je ne sais où, découvert un bouquin
Que souligna de son crayon insigne
François Guyet (c'est, je crois, un Lucain),
De l'autre bout du salon m'a fait signe;
J'y cours, adieu vierges au cou de cygne!
Et, tout le soir, je lorgne un maroquin.
On l'a bien dit; un cerveau de poète,
Après cent vers, a grand besoin de diète,
Et pour ma part j'en sens l'effet heureux.
Quand j'ai huit jours cuvé mon ambroisie,
Las de bouquins et de poudre moisie,
Je reprends goût au nectar généreux.
Pas trop pourtant; peu de sublime encore;
L'eau me suffit, qu'un vin léger colore.

Vers ce temps-là l'on me voit au jardip,
Un doigt dans Pope, Addison ou Fontane,
Quitter vingt fois et reprendre soudain,
Comme en buvant son sorbet la sultane;
Chaulieu m'endort à l'ombre d'un platane;
Vite au réveil je relis le Mondain.
Je relis tout; et bouquets à Climène,
Et Corilas entretenant Ismène,
Et l'Aminta chantant son inhumaine;
Mais la Chartreuse est surtout à mon gré;
Et, mieux refait, la troisième semaine,
Je puis aller jusqu'à Goldsmith et Gray.
Dès lors la Muse a repris sa puissance,
Et mon génie entre en convalescence.

Car si, le soir, sous un jasmin en fleurs, Édouard en main, je songe à Nathalie,

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Et que bientôt un nuage de pleurs
Voile à mes yeux la page que j'oublie ;
Car de Tastu si le luth adoré,

Au bruit d'une eau, sous un saule éploré,
Me fait rêver à la feuille qui tombe,
Et que non loin gémisse une colombe;
Si sur ma lèvre un murmure sacré,
Comme un doux chant d'abeille qui butine,
Trois fois ramène un vers de Lamartine,
Et qu'en mon cœur une corde ait vibré;
Oh! c'en est fait; après tant de silence
Je veux chanter à mon tour; je m'élance,
Les yeux au ciel et les ailes au vent,
Et me voilà rimeur comme devant.

LE CALME.

Ma muse dort comme une marmotte de mon pays.... Comme il vous plaira, ma verve; ce qu'il y a de sûr, c'est que je ne ferai rien sans

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Souvent un grand désir de choses inconnues,
D'enlever mon essor aussi haut que les nues,
De ressaisir dans l'air des sons évanouis,
D'entendre, de chanter mille chants inouïs,
Me prend à mon réveil; et voilà ma pensée
Qui, soudain rejetant l'étude commencée,
Et du grave travail, la veille interrompu,
Détournant le regard comme un enfant repu,
Caresse avec transport sa belle fantaisie,
Et veut partir, voguer en pleine poésie.
A l'instant le navire appareille : et d'abord
Les câbles sont tirés, les aneres sont à bord,

La poulie a crié; la voile suspendue

Ne demande qu'un souffle à la brise attendue,
Et sur le pont tremblant tous mes jeunes nochers
S'interrogent déjà vers l'horizon penchés.

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Adieu, rivage, adieu! Mais la mer est dormante,
Plus dormante qu'un lac; mieux vaudrait la tourmente!
Mais d'en haut, ce jour-là, nul souffle ne répond;
La voile pend au mât et traîne sur le pont.
Debout, croisant les bras, le pilote, à la proue,
Contemple cette eau verte où pas un flot ne joue,
Et que rasent parfois de leur vol lourd et lent
Le cormoran plaintif et le gris goëland.
Tout le jour il regarde, inquiet du voyage,
S'il verra dans le ciel remuer un nuage,
Ou frissonner au vent son beau pavillon d'or;
Et quand tombe la nuit, morne, il regarde encor
La quille où s'épaissit une verdâtre écume,
Et la pointe du mât qui se perd dans la brume.

LE RENDEZ-VOUS.

A MON AMI ALFRED DE M.... (MUSSET.)

Séduite à mes serments, si la vierge innocente,
Après bien des combats, et de sa mère absente
Oubliant les leçons pour la première fois;
Si la veuve, à la fin de son deuil de six mois,
Qui le matin encor, se mirant sous la moire,
A cru voir à vingt ans jaunir son front d'ivoire;
Ou si la jeune épouse, au bras du vieil époux,
M'a du doigt pour minuit marqué le rendez-vous ;
Si j'y cours avant l'heure et que déjà j'y voie
La persienne entr'ouverte et l'échelle de soie,
Et du haut du balcon tapissé de jasmin

Une main qui descend au-devant de ma main;
Lorsqu'en mes bras ardents j'ai pris ma bien-aimée;
Que l'emportant au lit, blanche et demi-pâmée,
Après bien des fureurs, de longs efforts perdus,
Des baisers gémissants de moi seul entendus,
J'ai senti dans mon sein se cacher son visage,
Et que nos yeux mourants, pleins d'un vague présage,
Se confondent longtemps en un regard de miel,
Ou vont se rencontrer sur un même astre au ciel;
Non, je ne me dis pas: Demain ce regard tendre,
Ce son de voix si frais qu'on tressaille à l'entendre,
Ce long col arrondi, ce visage penché

Et comme sous une aile entre deux bras caché,

Et dans ces blonds cheveux ces blanches mains errantes
(Tels deux cygnes voguant sous des eaux transparentes),
Et ces gouttes de pleurs que j'aime à voir courir,
Et ce sein nu..., demain, tout cela doit mourir !
Non.... je me dis : Demain, en ces yeux moins timides,
Nageront au réveil des éclairs plus humides;
Plus de désirs vermeils embraseront ce teint;
Plus de langueur jouera dans ce sourire éteint;
Elle sera plus belle et plus touchante encore;
Sa voix en me nommant frémira plus sonore,
Et ce bras, aujourd'hui si rebelle à saisir,
Tombera de lui-même aux abords du plaisir.
Mais moi, demain, lassé d'un bonheur trop facile,
Retrouvant le dégoût en mon âme indocile,
Moi qui toujours poursuis en de vaines amours
Un même être rêvé qui m'échappe toujours,
Demain, le cœur saignant d'une plaie éternelle,
Malgré les doux serments relus dans sa prunelle,
Les baisers, les grands bras prêts à me relenir,
Demain, je sortirai pour ne plus revenir;
Car je foule la fleur sitôt qu'elle est ravie,
Et mon bonheur, à moi, n'est pas de cette vie.

Et, dès qu'il est éclos, ce penser odieux,

Comme un oiseau de nuit, vingt fois passe à mes yeux,

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