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laire. Le souvenir des 45 centimes, et de l'effet qu'ils produisirent fera réfléchir tout gouvernement auquel on proposerait des mesures analogues et moins impérieusement commandées par les circonstances.

Le système proposé repose donc sur une base des plus contestables. Il reste à voir s'il présente, dans les facilités de son mécanisme, de quoi racheter ce vice originél.

M. de Lavergne, pour rendre son raisonnement plus saisissable, a divisé dans sa lettre les produits d'un octroi supposé en nombres abstraits. Mais en convertissant ses unités en millions, on y adaptera exactement les revenus de l'octroi de Paris, diminués seulement d'un cinquanteunième. Le débat peut donc s'engager aussi sur le terrain des faits sans aucune complication de calculs fractionnaires. Il faut reconnaître, pour être juste, que les arguments qu'on peut fournir contre le système n'auraient sans doute plus la même force s'il s'agissait des budgets des communes secondaires, et il en est un certain nombre pour lesquelles on peut admettre la possibilité et l'utilité d'une suppression prochaine de l'octroi. Mais ce n'est pas là ce qui préoccupe ses adversaires. Il faut rester sur Paris qui, avec quelques autres grandes villes, est évidemment le véritable objet du débat.

M. de Lavergne fait quatre parts égales des produits de l'octroi. Le premier correspondrait à une réduction à faire dans les dépenses communales. Elle serait d'environ 13 0/0, les 12 0/0 qui restent pour atteindre les 25 0/0 qui forment le quart étant obtenues par la suppression des frais de perception. Mais c'est une moyenne, et comme sur les 100 millions que produit l'octroi de Paris, ils ne peuvent en coûter 12, ni même rien d'approchant, il faudrait en prendre plus de 13 ailleurs. On irait probablement au delà de 20 millions. Le budget des dépenses comporte-t-il facilement un pareil retranchement? Il est difficile de le dire, et peut-être hasardeux de le penser.

Le second quart sera remplacé par un abandon équivalent que fera l'Etat par le produit de l'impôt foncier dans la commune. Mais comme la totalité de cet impôt n'atteint pas à Paris 11 millions, il faudra, pour en faire 25, prendre les 14 qui manquent sur les 26 que produisent les trois autres contributions directes. Il restera donc bien peu de choses à l'État qui perdra en même temps les droits d'entrée sur les boissons, perçus à son profit dans une proportion presque égale à celle de la ville, et qui disparaîtront aussi avec l'octroi. Le Trésor perdrait donc ainsi les quatre cinquièmes ou au moins les trois quarts des contributions que lui paye Paris. Ce sacrifice est-il possible, et, dans ce cas même, un pareil dégrèvement accordé à Paris ne soulèverait-il pas ailleurs des plaintes plus vives et plus fondées que celles qu'on forme

contre l'octroi.

Le troisième quart s'obtiendrait en ajoutant aux 6 millions que pro

duit la contribution personnelle et mobilière, 25 millions de centimes additionnels, ce qui ferait plus que de la quintupler; les petits loyers perdraient aussi le bénéfice de l'exemption que la ville leur procure aujourd'hui au moyen de l'octroi, et quant à ceux de la première classe, les 9 0/0 qu'ils payent aujourd'hui s'élèveraient au chiffre de 46 0/0! Tout commentaire devient ici inutile; les réflexions naissent d'ellesmêmes.

Ce serait d'ailleurs sur les logements encore que retomberait indirectement le dernier quart, consistant en 25 millions de centimes additionnels sur les 31 que produisent les trois autres contributions directes, augmentées ainsi de 80 0/0.

En supposant donc le système de M. de Lavergne mis en pratique, on cherche en vain quel intérêt pourrait s'en trouver satisfait.

La commune? Elle aurait sacrifié le quart de ses recettes. L'État ? En perdant d'une part ses droits d'entrée, il verrait encore de l'autre ses impôts directs réduits de 38 millions à 13. Les contribuables? ils subiraient au contraire une élévation du même impôt de 38 à 88 millions. Les campagnes? l'égalité des charges publiques serait rompue à leur détriment, puisque la ville gardant pour elle-même tout, ou presque tout son impôt direct, cesserait de fournir sa part légitime de contribution aux charges de l'État. On n'aurait donc réussi qu'à produire un mécontentement à peu près universel.

On répond à cela, il est vrai, par une théorie aussi commode que singulière. Les bons impôts, nous dit-on, sont ceux qui écorchent un peu le contribuable, parce que, alors, il est toujours en éveil et ne se laisse saigner que dans la mesure absolument nécessaire au bien général. Ceux au contraire qu'il paye sans les sentir, sont une sorte de chloroforme, sous l'action duquel il est trop facile de le tailler à merci. De là, les gros budgets avec leur cortège de dépenses abusives.

Ce paradoxe, qu'on développe fort spirituellement, quand on fait de l'art pour l'art, n'a plus rien de sérieux dès qu'il faut arriver à la pratique, et si M. de Lavergne a voulu s'en inspirer, il n'a que trop réussi à le faire descendre dans l'application. La logique n'est bonne qu'autant que le point de départ est juste. Les questions d'impôts ne sont pas plus que la médecine des abstractions scolastiques. C'est en tâtant le pouls des populations qu'on voit ce qu'elles supportent le mieux et dans quelle mesure elles peuvent le supporter. Il ne sert de rien de leur dire qu'elles ont tort et de prétendre avoir raison contre elles à coup de théories. Or, il paraît incontestable que l'impôt indirect est beaucoup plus facilement accepté qu'un impôt direct, même moindre, et cela par beaucoup de bonnes raisons dont il suffit d'indiquer une seule, c'est qu'on allége un fardeau en le divisant.

Veut-on cependant ne faire ici que de la théorie pure, il restera à se

demander si même alors la réforme proposée est bien justifiée. La fenêtre qui nous donne l'air et le soleil n'est-elle pas d'une nécessité mieux prouvée que l'eau-de-vie qui abrutit et demoralise? Pourquoi dégrever celle-ci pour surtaxer la première ? Toutes les combinaisons de M. de Lavergne se résument à concentrer l'impôt sur l'habitation, au lieu de le laisser, comme aujourd'hui, réparti entre les divers éléments de la consommation journalière. Cela ne paraît ni juste ni praticable.

Quant aux résultats qu'on attend de cette substitution comme devant donner un accroissement de débouché pour les produits agricoles, on peut prédire que c'est une illusion. Un adversaire de l'octroi, M. Horn, a lui-même fourni la réponse dans la précédente assemblée de la Société. Réfutant l'observation que les étrangers de passage ne contribueraient plus aux charges communales une fois l'octroi supprimé, il a fort bien expliqué comment la note de l'hôtel n'en serait pas diminuée. En y songeant bien, il verra que les résidents peuvent s'attendre à un sort analogue.

Ces points établis, M. Garbé persiste dans ses critiques précédentes contre la forme de perception, qu'il ne confond pas avec l'assiette de l'impôt, dont il désire qu'on puisse retrouver les éléments essentiels par un autre mode que celui des barrières. C'est parce que M. de Lavergne a été bien au delà de cette réforme, et a transformé trop complétement la contribution, que l'orateur ne peut le suivre dans cette voie.

Il resterait à rechercher la vérité du principe énoncé par M. de La-vergne, que l'établissement de taxes d'octroi excède les pouvoirs des municipalités, parce qu'elles sont en réalité supportées par les producteurs du dehors. On a déjà dit la même chose au sujet des douanes, et c'est une question qui à elle seule demanderait une discussion spéciale. M. Garbé exprime donc le vœu qu'elle soit inscrite au programme de la Société.

Si cette opinion était fondée, ce qu'il ne croit pas, il ne faudrait pas dire en même temps que les populations urbaines bénéficieront de la suppression de l'octroi, puisqu'au contraire les nouveaux impôts reporteraient sur elles seules une charge tout au moins partagée aujourd'hui par le dehors.

Persuader à chacun que c'est lui qui paye, peut être de bonne tactique, mais cela ne fera pas qu'un franc retranché sur le produit de l'octroi en laisse deux dans la poche des contribuables. La question bien résolue aurait donc pour résultat de désintéresser immédiatement une bonne moitié des adversaires de l'octroi, et de mettre fin par là à une confusion d'idées qui complique le débat.

M. HORN, rédacteur de l'Avenir national, ne pense pas avoir à discuter les tendances protectionnistes ou libre-échangistes de l'enquête

agricole; elle n'est pas en cause dans ce moment. Il se bornera à faire observer que si réellement, comme l'estime M. Garbé, l'enquête a été sollicitée, dirigée et inspirée surtout par des protectionnistes, l'arrêt de condamnation contre les octrois qui ressort de presque toutes les dépositions n'en devient que d'autant plus significatif. Cet arrêt est doublement significatif; d'abord, parce qu'il vient d'une école économique à qui personne ne reprochera un parti pris d'exagérations dans le sens de l'affranchissement de la production et de la consommation; ensuite, parce que cette condamnation des octrois n'émane pas des villes qui souffrent directement de cet impôt, mais des campagnes qui seules ont eu la voix dans l'enquête. Autant dire que tous les partis économiques et toutes les classes de la population sont aujourd'hui contraires à l'impôt des octrois: voilà ce qui, en cette matière, ressort de plus clair de l'enquête agricole.

Laissant de côté ce hors-d'œuvre pour amener de plus près le sujet même du débat, M. Horn, il est vrai, se trouve arrêté par la question de compétence : l'honorable préopinant est d'avis que nous manquons de compétence pour discuter sur la suppression des octrois; la question, suivant lui, n'est pas de notre domaine. M. Horn avoue ne rien comprendre à cette dénégation; il trouve, lui, que la question est souverainement économique. Comment donc ! Il s'agit d'un impôt dont ses rares partisans eux-mêmes n'osent pas défendre le principe, que tous reconnaissent passablement vexatoire dans la pratique, et qui entrave inévitablement la production et la consommation dans les plus forts centres de population; et l'économie politique pourrait se désintéresser dans le maintien, la réforme ou la suppression de cet impôt ?

Tout aussi injustifiable paraît à M. Horn cette autre affirmation de M. Garbé, suivant laquelle la réduction des dépenses publiques, que nécessiterait la suppression des octrois, serait une presque impossibilité, et, en tout cas, ne serait pas du domaine économique. Comment! soulager les populations surchargées, assurer une répartition et un emploi meilleur des revenus du pays, réagir contre les dépenses improductives, ne serait pas du domaine économique ? Mais à peine y a-t-il des questions qui lui appartiennent d'une manière plus intime, plus entière ! De même pour les chapitres où auraient à s'opérer les réductions de dépenses, au cas où, suivant la proposition de M. L. de Lavergne, la suppression des octrois devrait entraîner de ces réductions pour l'État. M. Horn ne citera que l'armée. Tout le monde presque est convaincu que ce budget est susceptible de larges réductions, et que, même en ne prenant la question qu'au point de vue économique, le dégrèvement pécuniaire ne serait pas le seul avantage de la mesure qui réduirait l'appareil militaire.

Tout cela est tout à fait du domaine économique. Et lorsque M. Garbé

nous demande d'exhiber nos pouvoirs, nous sommes parfaitement en droit de dire que c'est au nom de la science économique que nous réclamons contre les octrois. Nous pourrions encore dire que nous réclamons au nom de la raison et de l'équité, blessées à un égal degré par un impôt qui, d'une part, rétablit à l'intérieur du pays les barrières de douanes supprimées (ou à peu près) aux frontières, et, d'autre part, demande le plus à ceux qui sont le moins en état de payer. Mais nous réclamons de plus, au nom des populations intéressées qui, presque partout, se prononcent contre les octrois. Le fait qu'ils existent pourtaat ne saurait être invoqué sérieusement comme une preuve d'approbation; qui ignore la force du statu quo ? M. Garbé oublie encore que dans les villes, précisément où l'octroi atteint sa plus formidable hauteur (Paris, Lyon, etc.), les contribuables n'ont guère voix au chapitre.

En réclamant contre l'octroi, nous nous faisons donc, jusqu'à un certain point, l'organe même des communes, mais nous n'allons assurément pas, comme M. Garbé nous le reproche, attenter à leurs prérogatives. Nous reconnaissons que les communes sont en droit de s'imposer telles charges que bon leur semble; mais, comme économistes, nous avons à examiner - et à conseiller ensuite quel est l'impôt le plus conforme ou le moins conforme à l'intérêt des diverses classes, à l'intérêt général, à la raison, à la justice. C'est le résultat de cet examen qui nous fait condamner l'octroi.

Nous le chargeons trop, suivant M. Garbé. Cet honorable membre croit nous mettre en contradiction avec nous-mêmes, parce que nous disons tantôt la consommation urbaine, tantôt la production campagnarde atteinte par la charge de l'octroi. M. Garbé pense que les deux affirmations s'excluent si c'est le consommateur urbain qui paye l'octroi, le producteur campagnard n'a pas à le supporter, et vice versa. M. Horn fait remarquer d'abord que dans le cours naturel des choses il y aura alternation. Quand l'offre de tel ou tel article (vin, viande, charbon, huile, etc.) à fournir à une ville à octroi surabonde, le producteur, pour trouver des acheteurs, sera forcé de prendre sur lui la charge de F'octroi; dans les moments, au contraire, où la demande presse, l'acheteur devra se résigner, lui, à supporter la charge de l'octroi. La production et la consommation étant ainsi exposées également à avoir à påtir de cet impôt, nous sommes parfaitement en droit de dire que villes et campagnes sont également intéressées à la suppression. Mais ce n'est pas tout que l'alternation. Il peut arriver et il arrivera immanquablement que producteur et consommateur supportent l'un et l'autre toute la charge de l'octroi, et bien au delà. L'octroi, par exemple, qui frappe le vin dans telle commune et le renchérit outre mesure, commence par empêcher les vignerons avoisinants d'y apporter ou d'y écouler leurs produits ils sont les premières victimes de l'octroi et perdent beaucoup

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