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l'octroi est aussi peu supportable qu'on nous l'assure, ce serait là un résultat éclatant qui trancherait la question par l'initiative individuelle sans aucun appel à l'intervention gouvernementale. Il n'y aurait plus besoin de supprimer l'octroi; il mourrait d'inanition.

Reste à savoir, il est vrai, si l'extension de la colonie n'amènerait pas la corruption des saines doctrines, et si par un désir impérieux de pavage, d'éclairage, de police, et d'autres raffinements de la civilisation, elle ne finirait pas par se donner un petit octroi ou quelque chose d'analogue. Mais cela est dans les futurs contingents: il ne faut pas prévoir les malheurs déjà loin.

M. JULES PAUTET, publiciste, n'a pas l'intention, vu l'heure avancée, d'entrer dans la discussion relative à la suppression des octrois, il veut seulement invoquer in extremis le principe invariable en vertu duquel le remplacement des ressources qu'ils produisent pour les communes peut être effectué. Les octrois qui sont des impositions indirectes, ou ce que nos pères appelaient des aydes, donnent un revenu qu'il faut s'attacher à remplacer; mais là, comme dans toute autre question économique, c'est le principe de la liberté qui doit dominer, c'est-à-dire qu'il n'est nullement besoin de l'intervention législative autrement que pour décider, en principe, que les communes seront désormais appelées à choisir elles-mêmes le mode de taxe qui leur conviendra le mieux pour subvenir aux besoins de la commune. Les aggravations des impôts directs que l'on propose lui paraissent malheureuses; car leur base n'est déjà que trop surchargée, comme l'a si bien démontré M. Pellat, les communes seules doivent être juges du mode de remplacement des octrois.

LA SUPPRESSION DE L'OCTROI.

Mon cher collègue,

Paris, 20 décembre 1866.

Il m'est impossible de ne pas répondre quelques mots à la lettre de M. Garbé insérée dans votre dernier numéro. Les termes en sont quelquefois un peu vifs, je ne répondrai que sur le même ton. La discussion n'y gagnerait rien, et la bonne confraternité qui doit régner entre nous y perdrait.

Je n'accepte pas la solidarité étroite que M. Garbé prétend établir entre les douanes et les octrois. Ces deux questions sont parfaitement distinctes, et ce qui le prouve, c'est que les États qui n'ont jamais eu d'octrois ou qui les ont supprimés, l'Angleterre, les États-Unis, la Belgique, ont conservé leurs douanes. Une partie des droits de douanes a même servi en Belgique à remplacer les octrois.

Nous traiterons à fond, quand on voudra, la question de savoir si les douanes, en disparaissant comme instrument protecteur, doivent être

maintenues comme ressource fiscale. En attendant, défenseurs et adversaires des douanes, nous pouvons nous mettre d'accord sur les octrois. Poursuivre à la fois l'abolition des octrois et celle des douanes, ce serait s'exposer avec certitude à n'obtenir ni l'une ni l'autre; est-ce là ce que veut M. Garbé?

Je reconnais très-volontiers que l'enquête agricole est pour beaucoup dans le parti que j'ai pris. Les enquêtes seraient inutiles s'il n'en devait rien sortir. A ce sujet, M. Garbé essaye de mettre aux prises les consommateurs et les producteurs; je crois pour mon compte qu'ils gagneront les uns et les autres à la suppression des octrois. Dans quelle mesure? Je n'en sais rien, et je ne m'en occupe pas; je me fie à la liberté des transactions pour faire la part équitable de chacun.

A la proposition de mettre à la charge de l'État un quart du produit actuel des octrois, M. Garbé répond: «Je n'examine pas si cette espèce de subvention serait bien vue par les campagnes et si elle ne porte pas atteinte au principe d'égalité. Je dois le rassurer à cet égard. Suivant moi, l'État devrait faire pour les campagnes ce qu'il ferait pour les villes, en leur remettant, pour leurs écoles et leurs chemins, la moitié au moins de l'impôt foncier. Je ne l'ai pas dit dans ma lettre, parce qu'on ne peut pas tout dire à la fois, mais je l'ai dit et répété ailleurs. Il s'est passé en Belgique quelque chose de pareil, et on s'en trouve bien. Quant aux économies à faire pour remplir ce déficit, je me contenterai de faire remarquer que la fin de l'expédition du Mexique va réduire nos dépenses d'une somme supérieure aux 80 ou 100 millions l'État devrait abandonner.

que

M. Garbé avoue qu'une réduction de moitié dans la charge actuelle faciliterait singulièrement ma combinaison,» mais il n'approuve pas que l'autre moitié soit demandée à des centimes additionnels aux quatre contributions directes. Puisqu'il veut, comme nous, abolir les octrois, qu'il trouve mieux pour les remplacer, je suis prêt à me rendre. Tant qu'on ne m'offrira pas un meilleur équivalent, je m'en tiens à celui-là. Mon honorable contradicteur paraît croire que la charge sera certaine et le bénéfice douteux ; il me semble pourtant que la réduction de moitié doit se retrouver quelque part. C'est un calcul à faire pour chaque ville en particulier.

M. Garbé élève enfin un singulier fantôme pour se donner le plaisir de le combattre. << Sans doute, dit-il, la loi nouvelle sera promulguée d'autorité par un concile d'économistes; nous tournons trop aux procédés à la Louis XIV, et ces nouveaux édits bursaux, avec ou sans lit de justice, ne sont que faiblement de mon goût. »

Ai-je besoin de répondre qu'il ne s'agit ici ni de lit de justice ni d'édits bursaux? Il s'agit tout simplement d'obtenir une loi rendue dans la forme ordinaire par les pouvoirs publics, après libre discussion, conformément à ce qui s'est passé en Belgique et en Hollande, deux pays renommés par leur respect pour les libertés municipales. Agréez, etc.

L. DE LAVERgne.

Mon cher collègue,

Paris, le 8 janvier 1867.

Je vous demande pardon de vous adresser une seconde lettre sur le même sujet, surtout quand il vient de fournir la matière d'une discussion à la Société d'économie politique, mais il m'arrive aujourd'hui une brochure qui me paraît jeter une nouvelle lumière sur la question, en nous apportant des chiffres positifs pour une des grandes villes de France, Rouen. L'auteur, M. H. Courcelle, se prononce pour le maintien des octrois, et nous mène fort mal, M. Frédéric Passy et moi. Je passe sur les aménités de langage qui ne font rien à l'affaire, et je vais droit aux chiffres.

D'après M. Courcelle, l'octroi a rapporté, à Rouen, en 1865, 2 millions 675,000 fr., ce qui, sur une population évaluée à 105,000 âmes, donne une moyenne de 25 fr. 50 par tête. Examinons ce qui arriverait si l'octroi de cette ville était supprimé conformément à mon projet.

10 Les frais de perception s'élèvent, toujours d'après M. Courcelle, à 455,000 fr. ou 17 0/0, ce qui prouve qu'en les évaluant en moyenne à 12 0/0 je n'avais rien exagéré. Reste pour parfaire le premier quart, 213,000 fr. seulement à économiser sur les dépenses municipales. Les habitants de Rouen peuvent seuls savoir si une pareille réduction est possible sans toucher à aucune dépense utile; on ne doit pas avoir beaucoup de peine à la trouver, pour peu que le conseil municipal se soit laissé gagner par la manie du luxe.

30 L'État perçoit à Rouen 655,000 fr. pour le principal de l'impôt foncier; il suffirait donc qu'il abandonnât cette somme pour remplacer le second quart du produit actuel de l'octroi, moins 13,000 fr. Le peut-il ? Le Corps législatif a seul qualité pour répondre efficacement, mais il est permis d'exprimer à cet égard un vœu et une espérance. L'impôt foncier n'est pas par sa nature, quoi qu'en dise M. Courcelle, un impôt général, comme les contributions indirectes; c'est un impôt naturellement local qui retournerait à son origine en passant de l'État aux communes.

3o Le montant de la contribution personnelle et mobilière est, à Rouen, de 273,000 fr. ou 2 fr. 60 c. par tête; il faudrait y ajouter, pour faire le troisième quart, 6 fr. 40 c. C'est presque le triple, s'écrie M. Courcelle; sans doute, mais c'est toujours beaucoup moins que l'octroi; à quoi il faut ajouter que les uns payeraient plus et les autres moins, en proportion de leur aisance, tandis que l'octroi porte à peu près également sur les uns et sur les autres.

4o Les trois autres contributions directes s'élèvent ensemble à 1 million 760,000 fr., soit un peu moins de 17 fr. par tête. Il suffirait d'y ajouter 6 fr. 60 c. par tête pour remplacer le dernier quart, accru d'une petite somme complémentaire (25,000 fr.) pour payer les frais de perception sur 1,360,000 fr. de centimes additionnels.

En résumé, les habitants de Rouen payeraient 13 fr. par tête au lieu de 25 fr. 50 c. et ils seraient en outre débarrassés des vexations et des pertes de temps qu'entraîne l'octroi. Quant aux producteurs qui y ven

dent leurs denrées, leur condition deviendrait bien meilleure, puisque l'accès de ce grand marché leur serait ouvert sans entraves. Il me semble que ces chiffres sont démonstratifs, et si j'étais habitant de Rouen ou des environs, je n'hésiterais pas.

Il est vrai que M. Courcelle répond par le fameux argument de la population flottante: « Vous feriez, dit-il, porter tout le fardeau de l'impôt sur la population sédentaire, et la population flottante en serait exempte.>> Cela serait vrai qu'il n'en résulterait rien; l'impôt total étant réduit de moitié, la population sédentaire gagnerait dans tous les cas. Mais l'assertion elle-même n'est pas exacte, en ce sens que ceux qui font l'avance de l'impôt ne sont pas toujours ceux qui le payent. On peut s'en fier aux maîtres d'hôtel et aux marchands et propriétaires de tout ordre pour faire payer à la population flottante au moins sa part de l'impôt, en élevant comme aujourd'hui leur prix en conséquence. Agréez, etc.

L. DE LAVERgne.

BIBLIOGRAPHIE

Une année de voyage dans l'Arabie centrale (1862-1863), par M. WILLIAM GIFFORD PALGRAVE. Ouvrage traduit de l'anglais, avec l'autorisation de l'auteur, par ÉMILE JONVEAUX. 1866. 2 vol. in-8. Hachette.

Le voyage de M. Palgrave dans l'Arabie centrale n'est pas seulement un grand événement géographique, mais il pourra avoir des conséquences économiques importantes, si le commerce européen parvient à entrer dans la voie que M. Palgrave a ouverte pour la première fois, et se mettre en rapport avec les populations qu'il a visitées, et sur lesquelles nous n'avions jusqu'ici que des renseignements confus. M. Palgrave est le premier Européen, en effet, qui ait traversé obliquement toute l'Arabie, en partant de la pointe orientale de la mer Rouge, pour aboutir à Mascate, et les notions qu'il a su recueillir offrent autant d'intérêt qu'elles étaient inattendues.

Accompagné d'un jeune Syrien chrétien, M. Palgrave, qni se donnait lui-même pour médecin syrien, et qui avait, de plus, emporté une pacotille pour pouvoir au besoin prendre la qualité de marchand, partit de Maan le 16 juin 1862. Après une traversée de huit jours dans un désert brûlant et presque complétement dévourvu de puits, les voyageurs arrivèrent à la vallée de Djowf, première grande oasis, renfermant 40,000 habitants environ, où ils se débarrassèrent rapidement de toutes leurs marchandises. Une seconde traversée du désert, plus pénible et plus dangereuse encore que la première, les conduisit dans le royaume du Shomer dont le Djowf est une dépendance. Le Shomer est un massif de montagnes divisé en plusieurs chaines parallèles qui courent du sudOuest au nord-est, et forment le premier échelon du Nedjed ou pays

haut, nom donné à toute l'Arabie centrale. A Hayel, capitale du Shomer, M. Palgrave trouva un prince éclairé et libéral, Télal, qui maintenait une sécurité parfaite dans ses États, et faisait tous ses efforts pour favoriser le commerce et l'industrie. A partir de Hayel, le voyage au Nedjed proprement dit, centre de la puissance Wahabite, ne présente plus de difficultés naturelles. On rencontre des pâturages et des cultures, des maisons et des hameaux, on respire l'air pur de la montagne, et on trouve de l'eau en abondance. La sûreté des chemins est aussi complète dans le Nedjed que dans le Shomer, et notre voyageur arriva sans graves accidents à Riad, capitale des Wahabites. Il y séjourna pendant plus de six semaines, exerçant la médecine comme à Hayel, et en rapports suivis avec les personnages les plus notables, y compris le roi Feysul et ses fils. L'un de ces derniers lui ayant demandé de la strychnine pour empoisonner son frère, M. Palgrave, qui avait refusé avec hauteur d'obtempérer à cet ordre, dut quitter Riad précipitamment, en prenant les mesures nécessaires pour que sa trace fût perdue. Il parvint, en traversant de nouveau le désert, dans la province de l'Hasa, située sur le golfe Persique, dont il visita les villes les plus importantes. Il se proposait, en dernier lieu, d'explorer l'Oman, et se rendait par mer à Mascate, quand un naufrage, où périrent la plupart des personnes embarquées avec lui, mit subitement fin, le 3 mars 1863, à son expédition. Pris de la fièvre typhoïde à Mascate, il revint malade à Bassora, d'où il retourna en Syrie.

Le sec itinéraire que je viens de retracer ne peut donner aucune idée du vif intérêt que présente le livre de M. Palgrave. Observateur habile et narrateur plein d'esprit, l'auteur a semé son récit, rempli par luimême de nombreux incidents, d'une foule de renseignements historiques et ethnographiques, d'anecdotes, de détails curieux sur les mœurs et les coutumes, qui donnent à cet ouvrage tout le charme d'un roman. L'Arabie, quand on l'a lu, apparaît sous un aspect tout nouveau.

Au lieu d'une immense plaine de sable, interrompue seulement par quelques oasis, comme le Sahara africain, l'Arabie offre, entre le 28° et 24° degré de latitude, un plateau montagneux s'étendant du nord-ouest au sud-est, présentant à peu près la surface du quart de la France, parfaitement cultivé et bordé, de toutes parts de déserts. Tout le midi cependant, depuis le 24 degré jusqu'à proximité des côtes, est une vaste mer de sable, sans routes certaines, mais que les Bédouins parviennent à traverser.

Au lieu de tribus purement pastorales, de Bédouins nomades, nous trouvons une population sédentaire, cultivant la terre, habitant des villages et des villes dont quelques-unes comptent jusqu'à 40,000 âmes. Les Bédouins eux-mêmes sont dépouillés de tout le prestige dont l'imagination de quelques voyageurs se plaisait à les revêtir. Ignorants, brutaux, et complétement démoralisés, ils le cèdent, même sous le rapport des vertus du sauvage, de la générosité et des mœurs hospitalières, aux habitants des villes qui sont aussi civilisés qu'on peut l'être aujourd'hui en Orient.

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