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trouve un moyen de faire revivre la haine contre la France en provoquant une guerre sous un prétexte quelconque.

Nous ne pouvons ni ne voulons rien prévoir: il nous suffit de constater les passions, les préjugés, les intérêts en lutte et de présenter en regard les intérêts de la civilisation. Ceux-ci tendent bien à triompher à la longue et par la nature des choses, mais ils peuvent être contrariés et combattus avec succès pendant un certain temps. Ainsi, par exemple, il peut survenir en Orient des complications qui mettent la Russie en présence de l'Autriche et de l'Angleterre et qui fassent de la Prusse l'alliée et l'avant-garde de la Russie. Ces événements peuvent être de telle nature qu'ils montrent clairement aux Anglais l'erreur de leurs vieux préjugés antifrançais en leur faisant voir la situation dans son vrai jour. Il ne s'agit plus ni pour l'Angleterre ni pour la France de combattre pour la dominatiou et le premier rang: il s'agit de conserver le rang actuel, s'il se peut, et, en tout cas, l'indépendance.

Quoi qu'il en soit et quels que soient les événements, que doit faire la France? Elle a deux politiques devant elle: celle de la tradition, qui consiste à équilibrer l'Europe, de manière à y conserver la plus grande position possible; la seconde, qui consiste à servir l'intérêt un peu plus éloigné, mais très-effectif de la France et de la civilisation.

La première de ces politiques semble avoir fait son temps. Jamais, en effet, elle n'a rencontré une occasion aussi magnifique qu'au lendemain de Sadowa, lorsque l'Autriche renonçait à la Vénétie. Alors une intervention française, appuyée sur près de 200,000 Allemands armés, pouvait sans peine arrêter les envahissements de la Prusse, conserver l'indépendance des États allemands et même donner à la France, si elle l'eût désiré, un agrandissement territorial. Cette politique qu'auraient suivie sans hésiter tous les hommes d'État qui, depuis Henri IV jusqu'à la fin du siècle dernier, ont gouverné notre pays, a été conseillée, mais elle n'a pas été adoptée.

Reste l'autre politique. Elle consiste à désintéresser la France de toute action extérieure pour appliquer son énergie au service de son développement intérieur. Il y a dans cette politique un double avantage, celui d'effacer les préjugés haineux de l'Europe, et celui d'assurer à la France un agrandissement positif et considérable.

Peut-être, il est vrai, la politique de la plupart des États européens, dirigée par routine depuis deux siècles contre l'ambition de la France, serait-elle un peu désappointée et sans but le jour où la France disparaîtrait en quelque sorte de la scène. Mais le mal ne serait pas grand.

Quant à la France, elle ne saurait qu'y gagner, car il n'y aurait dès lors nul motif raisonnable à invoquer en faveur des armées permanentes et de la centralisation administrative: on devait revenir à la liberté telle que la voulurent les hommes de 1789. Ce serait là certainement une magnifique conquête.

Supposez que la France, ayant terminé au commencement du siècle les guerres révolutionnaires, eût appliqué paisiblement les principes de 1789, liberté du travail, de la parole, de la presse, liberté de se réunir et de s'associer, liberté des cultes et de l'enseignement, et instruction primaire partout répandue, n'est-il pas évident pour quiconque réfléchit, que la population s'élèvera aujourd'hui de 50 à 60 millions d'hommes, et que ces hommes seraient plus éclairés, plus sensés, plus unis que les Français actuels? Oui, sans aucun doute. Eh bien! Quelle conquête aurait pu donner d'aussi beaux résultats, non-seulement pour la France, mais pour le monde civilisé ?

Si l'on ne peut revenir sur le temps perdu, on peut au moins et on doit tâcher de n'en pas perdre davantage et d'abandonner des errements qui ont fait passer en soixante ans notre pays du premier au quatrième rang.

Il est vrai que maintenant on parle de dangers plus grands, du système militaire prussien et des millions d'hommes qui peuvent en quelques jours être jetés sur un pays. N'exagérons rien et remarquons d'abord que la France, en paix avec l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie et la Suisse, alliée au besoin avec la Belgique et la Hollande, n'a qu'une très-petite frontière à défendre.

Remarquons ensuite que si l'agression de la Prusse a été heureuse en 1866, c'est tout simplement parce que ses ennemis, divisés de toute façon, ne lui ont pas opposé un système défensif sérieux. Pour qu'une invasion tentée avec un million d'hommes échoue, il suffit de faire durer la guerre six mois, ce que la France unie pourra toujours faire. Enfin il faut évidemment substituer un système de milices sérieuses au système actuel de l'armée permanente, de manière à pouvoir opposer, sur le territoire national, des millions

d'hommes à des millions d'hommes. Ce sont là des problèmes pratiques dont la solution ne présente pas de sérieuses difficultés.

Ce qui est plus difficile, c'est de ramener l'opinion à la politique nouvelle, de convaincre les Français qu'ils ne sont pas divisés en partis irréconciliables, que la Révolution de 1789 a fait naître une société nouvelle fondée sur des principes radicalement opposés à ceux de l'ancien régime; qu'il y a puérilité à vouloir diffamer cette révolution, lorsqu'on vit sur ses conquêtes, et danger à vouloir imposer à la société nouvelle des institutions empruntées à l'ancien régime et dans lesquelles elle ne peut se développer.

Ce qui est difficile aussi, c'est d'habituer les gens à juger les hommes de la révolution comme on juge tous les autres personnages historiques, en tenant compte des circonstances, des idées et doctrines régnantes, des caractères, du bien et du mal que chacun a fait, sciemment ou par erreur, à ne pas les diviser en anges et en diables, en saints et en réprouvés, et à se persuader surtout que, la Révolution ayant été faite, il faut, bon gré, mal gré, la prendre pour point de départ et savoir qu'on ne peut la renier sans renier la France elle-même.

Il faut compter pour cet enseignement sur le temps et sur l'expérience, mais il convient que chacun y aide de son mieux en s'efforçant d'apprécier les faits tels qu'ils sont et d'oublier les passions et préjugés du jour pour se mettre au service de la vérité et des intérêts de la civilisation.

COURCELLE-SENEUIL.

LETTRE A M. WOLOWSKI, MEMBRE DE L'INSTITUT,

SUR

LA LIBERTÉ DES BANQUES

Mon cher et honoré confrère,

Depuis 1789, la liberté du travail, qui se traduit, dans la pratique, par le libre exercice des professions, est de droit en France. Elle est le fondement même de notre organisation industrielle et l'origine de mille perfectionnements. Par conséquent, il semble que chacun devrait avoir la faculté d'ouvrir une banque complète, je veux dire ayant les trois attributs bien connus: 1° de faire l'escompte et les avances sur valeurs; 2o de recevoir des dépôts en compte courant; 3° d'émettre de ces titres au porteur et à vue et d'une somme ronde, appelés billets de banque.

Mais sous le Consulat, alors que la liberté, sous quelque forme qu'elle se présentât, était en discrédit dans le monde officiel, la libre fondation des banques fut retirée aux citoyens par un éclat d'autorité, toutes les fois que ces banques émettraient des billets; et, en l'an XI, une loi sommairement délibérée consacra cette restriction. Depuis cette époque, la création des banques a cessé d'être libre dès qu'il s'agit des banques d'émission. Cependant la loi de l'an XI n'eut garde d'établir un monopole pour la totalité de la France. Elle posa même en principe la multiplicité des banques d'émission, sous la réserve qu'il n'y en aurait qu'une par localité.

Aujourd'hui, comme pour renchérir sur ce régime si peu libéral, il s'est formé un parti formidable pour soutenir que le meilleur système est celui du monopole absolu, en faveur d'une banque unique, qui seule aurait le droit d'exercer sur la totalité de l'empire français.

Partisan convaincu de cette dernière opinion, vous vous êtes, dans votre zèle infatigable pour ce que vous croyez être la vérité, vaillamment constitué l'organe permanent du parti qui se refuse à reconnaître, sur ce point important, le grand principe de la liberté du travail. Le sol français ne suffit pas à votre activité; vous combattez à la fois en France. et en Angleterre pour la cause qui a vos sympathies, c'est-à-dire ici pour le privilége exclusif de la Banque de France, là pour la préroga

tive semblable dont vous voudriez voir investir la Banque d'Angleterre, et vous exaltez le régime restrictif imposé aux banques du RoyaumeUni, y compris la Banque d'Angleterre elle-même, par la loi de 1844 et par les lois de 1845, compléments de celle-ci pour l'Écosse et l'Irlande. De l'autre côté du détroit vous obtenez, c'est vous qui voulez bien nous l'apprendre, les plus grands succès, et le Club d'économie politique de Londres, dans un dîner qu'il vous a donné, aurait applaudi unanimement à vos efforts. Vous ne recueillez pas les mêmes palmes de ce côté-ci de l'eau et vous ne rencontrez pas autour de vous la même majorité à la Société d'économie politique de Paris, car vous y êtes à peu près seul de votre opinion; mais vous luttez avec la constance la plus digne d'éloges. Si vous êtes vaincu, vous aurez la satisfaction d'entendre répéter par tout le monde la célèbre parole d'un grand homme: Honneur au courage malheureux!

Je suis du nombre de ceux qui croient, mon honoré confrère, que vous faites fausse route, et que vous tournez le dos au but. Il me semble que vous ne vous rendez pas compte de la liaison étroite qui existe entre le grand principe de la liberté du travail et l'exercice plus ou moins libre de la faculté d'émettre des billets de banque, et que même vous ne voyez pas bien distinctement les services que les institutions de crédit sont appelées à rendre dans notre pays, comme dans tous les États civilisés. C'est ce que je vous demande la permission d'essayer de vous démontrer.

I

De l'importance du Crédit et de la nécessité de multiplier beaucoup les institutions de crédit en France. Comment la liberté d'émettre des billets de banque facilite la multiplication des banques. Exemples de l'Écosse, de l'ile de Jersey, de la ville de Boulogne et autres en France.

Le besoin que ressent vivement la France de développer le travail, source qui doit être accessible à tous de la richesse ou de l'aisance, détermine, entre autres faits, la nécessité de multiplier les banques qui, en dispensant le crédit, fournissent à toute l'industrie, c'est-à-dire aux agriculteurs, aux manufacturiers, aux commerçants, le moyen de suivre régulièrement leurs affaires et de prospérer. On n'exagère pas en disant que le crédit est pour l'industrie moderne tout aussi impérieusement indispensable que les chemins de fer.

Le pouvoir d'émettre des billets de banque dans la totalité de l'empire français doit être considéré comme équivalant dès à présent à une subvention annuelle de plus de 25 millions qui, prochainement, montera à plus de 30 par l'extension de la circulation. En effet, la circulation des billets de la Banque de France atteint 1 milliard; depuis un petit nombre de mois cette limite est même dépassée. Ces billets lui rappor

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