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pression des entraves qui empêchaient les entreprises de se constituer de la manière la plus utile, et qui consistaient principalement dans la nécessité de l'autorisation préalable pour les sociétés à res ponsabilité limitée. Toute entreprise pouvait se constituer librement sous le régime de la responsabilité illimitée, mais il fallait pour donner une existence légale à une société à responsabilité limitée une charte royale (1); ce qui équivalait dans la plupart des cas à une prohibition absolue de cette forme économique des entreprises. Deux enquêtes eurent lieu en 1838 et en 1851 pour examiner s'il y avait des motifs suffisants de modifier le régime en vigueur. Dans la première, les doct rines restrictives en matière d'association demeurèrent prédominantes. Les autorités les plus hautes, Jones Lloyd, depuis Lord Overstone et Th. Tooke se prononcèrent en faveur du maintien du régime existant. M. Tooke soutint que la limitation de la responsabilité n'est pas un droit, mais un privilége, -La règle générale, sinon absolue, des transactions commerciales, dit-il, c'est qu'un individu, qu'il s'engage seul ou conjointement, engage en même temps tous ses biens; c'est qu'il faut une loi spéciale pour le soustraire à cette loi primordiale qui oblige toujours sa fortune entière, parfois même sa personne. La commandite est un privilége et non pas un droit. » Le même M. Tooke commettait ensuite une inconséquence assez naïve et assez peu concevable de la part d'un économiste, en affirmant que le nouveau système, qu'il

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(1) Chez nous, dit Blackstone, pour ériger une corporation, il faut nécessairement que le roi y consente implicitement. Et le consentement implicite est donné lorsque c'est pour des corporations qui existent par la force de la loi commune et pour l'établissement desquelles on suppose la coopération de nos anciens rois. Le consentement implicite du roi est toujours présumé pour les corporations dont nous ne connaissons point l'origine; telles que celles de la cité de Londres et autres, auxquelles nous ne voyons point qu'on ait jamais été contraire. Ces corporations, il est vrai, ne peuvent produire aucune charte légale de leur établissement; mais la loi présume qu'il y en a eu une originairement, et que, par le laps de temps, elles ont été perdues. La manière dont le roi donne explicitement son consentement, est par un acte du parlement ou par charte privée. Nul doute que, pour établir une corporation, il ne faille nécessairement un acte du parlement qui soit revêtu de la sanction royale. Cependant, il faut observer que la plupart des statuts cités comme titres primordiaux de la création des corporations, sont de deux sortes: ce sont ou des actes confirmatifs de création faits primitivement par le roi; tel est, par exemple, le statut donné pour le collége de mé

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condamnait comme vicieux, anéantirait cependant l'ancien, si on lui laissait les coudées franches. - « Ce nouveau mode, dit-il, aura tant d'avantages sur les sociétés de droit commun que, s'il n'est pas rendu impossible par l'injonction de formalités impraticables, l'usage s'en étendra de plus en plus et à la fin anéantira l'ancien système.» Un autre témoin, M. Finlay s'alarmait des facilités que l'introduction de la responsabilité limitée donnerait à la constitution des nombreuses entreprises. « Le capital est déjà trop abondant, affirmait ce témoin conservateur, et il ne serait pas sage d'ajouter aux facilités que possèdent, pour se le procurer, toutes les entreprises enfantées par la spéculation. Depuis que les banques joints-stock s'élèvent de toutes parts en Angleterre 'et vont chaque jour se multipliant dans des proportions que je qualifierai d'alarmantes, on peut, en offrant de simples garanties, trouver de l'argent à un taux et en quantité jusqu'à présent inconnus. Je ne crains pas de dire que ces facilités sont plus larges qu'il n'est désirable et même prudent de les voir. » Enfin, M. Palmer soutenait que « les sociétés n'étaient utiles que pour les affaires excédant notoirement les forces d'un seul capitaliste. » La responsabilité limitée trouva cependant des défenseurs intelligents en Lord Ashburton, M. Baring et Sir W. Norman, mais les doctrines restrictives conservèrent notoirement la majorité; en sorte que le rapporteur de l'enquête, M. Bellenden Ker se contenta de conclure à l'ajournement, en déclarant d'après Jones Lloyd « que les inconvénients provenant du dérangement des habitudes commerciales existantes seraient considérables. » On se borna à autoriser à la suite de cette enquête les lords du Board of trade à accorder le privilége de la responsabilité limitée, mais, comme le remarque M. J. Lair, à qui nous empruntons ce résumé de l'enquête, le Board usa si rarement de ce pouvoir qu'on a pu prétendre qu'il n'en usait jamais.

En 1851, la question avait marché, et les partisans de l'ancien système se trouvèrent, cette fois, en minorité. Le gouverneur de la

decine qui confirme la charte de Henri VIII pour son établissement; ou bien des actes par lesquels le parlement autorise le roi à établir une corporation in futuro, telle que la Banque d'Angleterre et la compagnie pour la pêche. Ainsi, dans l'un ou dans l'autre cas, on peut regarder l'acte d'éviction comme émané du roi seul, en vertu de sa prérogative royale. (BLACKSTONE. Commentaires sur les lois anglaises, chap. x; Dès corporations ou communautés.)

Banque d'Angleterre, Sir W. Cotton, soutint néanmoins encore que l'adoption du principe de la responsabilité limitée ne manquerait pas d'amener des catastrophes, surtout parmi les petits capitalistes.

« Je pense, dit-il, que le principe de la responsabilité limitée causerait de grands malheurs parmi les classes moyennes, et je me fonde sur ce fait d'expérience que c'est particulièrement parmi les domestiques et les gens de cette condition qu'on perd le plus ses petites économies en les jetant aux spéculateurs. Si ces gens-là savaient que leur perte ne dépassera pas la somme avancée par eux, ils prendraient encore moins de précautions que maintenant... A mon sens, la loi proposée donnera aux faiseurs de projets de grandes facilités. Ils en auront surtout avec les femmes; ces malheureuses, dans l'espoir d'obtenir un intérêt un peu plus élevé, jetteront leurs 200 ou 300 livres dans la spéculation, tandis que, responsables sur tous leurs biens, elles agiraient avec prudence. » -- Mais ces raisons passablement puériles ne trouvaient plus, comme en 1838, un auditoire favorablement disposé à les accueillir. La déposition d'un juge-commissaire des faillites, M. Fañe, exprime parfaitement la tendance nouvelle de l'esprit public vers l'extension de plus en plus complète du principe de liberté.

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On objecte toujours, dit M. Fane, que si la responsabilité était limitée, le public, séduit par l'espérance des gros bénéfices, se lancerait dans les fausses spéculations et y perdrait de grosses sommes. Je réponds que ce n'est l'affaire ni du gouvernement ni de la loi de protéger les hommes contre leurs erreurs. Tout homme majeur est le meilleur juge de ses affaires; admettons qu'il ne le soit pas; il n'appartient pas davantage au gouvernement de juger pour lui; autrement il en faudrait venir, pour protéger les fous, à frapper d'incapacité légale tous les gens sensés.»

Le Comité demande alors à M. Fane s'il ne conviendrait pas au moins de faire accorder ce privilége de la garantie limitée par un pouvoir public, qui le refuserait aux compagnies sans avenir.

Je n'aime pas, répond M. Fane, cet examen préalable du mérite d'une affaire. Tout individu majeur doit être libre d'agir suivant ce qu'il croit être son intérêt, et le mérite des spéculations est un point que chacun de nous doit pouvoir traiter suivant les lumières qu'il a reçues du Ciel.

- Ainsi vous aimez mieux laisser au public le droit de dispó

ser sans réserve de son bien que d'accorder au gouvernement un pouvoir de contrôle?

- « Certainement, et je me fonde toujours sur le même principe: toute personne de vingt et un ans, que la loi répute arrivée à l'âge de discernement, est meilleur juge de ce qui la concerne qu'aucun membre des gouvernements.

«—Vous qui avez pu voir tout particulièrement la conséquence des spéculations de nos esprits anglais, pensez-vous qu'il soit préférable de tenter les capitaux, si abondants chez nous, plutôt par l'appât de gros dividendes que par la sûreté des placements?

«-Pour répondre, il me fautencore revenir sur le même principe que tout homme, arrivé à l'âge de discernement, doit pouvoir conduire ses affaires à son gré. Vous me demandez s'il vaut mieux placer son argent à intérêt que de risquer une somme limitée dans une société. Ce n'est pas à moi de le dire, c'est un point que chacun, en règle générale, doit être maître de décider lui-même.

<<-Et ce principe est-il à vos yeux sans limites?

<«<-Sans aucune espèce de limites ? (1) »

La cause de la liberté des associations industrielles et commerciales était décidément gagnée en Angleterre, et en 1856, le gouvernement présentait un bill ayant pour objet de faire admettre au bénéfice du droit commun les sociétés à responsabilité limitée. Dès lors, ces sociétés purent s'établir sans avoir besoin d'une charte spéciale. L'acte de 1856 maintenait encore différentes exceptions et restrictions qui furent levées par des actes subséquents: c'est ainsi qu'en 1859 l'exception qui frappait les banques fut levée; elles purent désormais se constituer librement sous la forme de sociétés à responsabilité limitée. Enfin l'acte du 7 août 1862 (Act for the incorporation, regulation and winding-up of trading companies and others associations) qui régit maintenant la matière, prit à tâche d'effacer les restrictions qui entravaient encore la liberté des associations, les remplaçant par de simples garanties de publicité. L'exemple donné par l'Angleterre devait nécessairement être suivi sur le continent. Il en est, en effet, du progrès de la législation industrielle et commerciale comme du progrès des machines; on ne peut pas ne pas l'imiter. Du moment où l'Angleterre, en supprimant les en

(1) Les Sociétés limitées en Angleterre, par J. Lair. (Journal des Économistes, janvier 1863).

traves qui enrayaient l'essor naturel de l'association, permettait à ses industriels, à ses négociants, à ses armateurs, d'adopter la forme d'entreprises la plus utile, elle leur conférait un avantage qui ne pouvait manquer de faire pencher la balance de leur côté dans l'arène de la concurrence internationale, absolument comme si elle avait mis à leur disposition un véhicule de production plus économique. Il fallait donc bien que les nations en concurrence avec l'Angleterre accordassent à leurs producteurs un avantage analogue. A quoi l'on peut ajouter qu'en vertu des traités de commerce conclus successivement, à partir de l'année 1860, entre la France et le Royaume-Uni, la France et la Belgique, etc., etc., les sociétés commerciales constituées en Angleterre étaient reconnues sur le continent, de même que les sociétés continentales étaient reconnues en Angleterre. Que résultait-il de là? C'est qu'on pouvait aisément éluder les restrictions du Code français par exemple, en allant fonder une société à responsabilité limitée en Angleterre, sauf ensuite à établir en France le siége réel de ses opérations. La réforme de la législation des sociétés s'imposait ainsi, par une voie détournée, aux nations qui venaient de conclure avec l'Angleterre des traités de commerce. En France, où les tendances restrictives en matière de sociétés commerciales étaient naguère encore prédominantes et où l'on dirigeait contre la commandite une loi meurtrière (1) dans l'année même où l'Angleterre affranchissait la société à responsabilité limitée, le gouvernement comprit que ce vieux régime de restriction qui entravait la constitution utile des entreprises n'était pas compatible avec le nouveau régime de la liberté commerciale, et il affranchit la société à responsabilité limitée de la nécessité de l'autorisation préalable (loi du 13 mai 1863).

(1) Loi du 17 juillet 1856. Voici sur les effets de cette loi quelques chiffres publiés par le tribunal de commerce de la Seine, et produits par M. Ad. Blaise (des Vosges) à la Société d'économie politique de Paris (séance du 5 mars 1863). - « Dans l'espace de temps compris entre le 1er juillet 1854 et le 30 juin 1855 (présentation de la loi du 17 juillet 1856), 225 sociétés en commandite par actions avaient été publiées à Paris et leur capital était de 968 millions. En 1859-60, le capital de toutes les sociétés en commandite, soit ordinaires, soit par actions, n'était plus que de 117 millions.En 1860-61, nous le retrouvons réduit à 81,770,000 f.; en 1861-62, à 70 millions, dont 49,400,000 fr. pour 33 sociétés par actions, dont 15 seulement ont réussi à se constituer.»>

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