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fallait punir sévèrement, « n'y ayant rien à quoi on dût s'appliquer avec plus de soin dans les provinces qu'à empêcher ce qui se levoit induement sur les peuples et ne tournoit pas au profit du roi.» Enfin, l'année même de sa mort, il prescrit encore de «faire finir le plus tôt possible les péages qui se levoient sur les ponts, parce qu'ils étoient toujours à charge aux peuples et au commerce.» Vers la même époque, l'intendant de Lille qui avait proposé d'en établir un pour l'entretien d'une chaussée vit sa demande repoussée, par le motif que le roi supprimait tous ceux qui n'existaient pas en vertu d'un titre authentique, ou de temps immémorial.

La première commission pour l'examen des péages était à peine installée, que Colbert avait prévenu l'intendant de Lyon de ses projets de réforme. «Si le roi n'avait trouvé ses finances dans une confusion extrême qui, grâce à Dieu, commençoit à s'éclaircir, il auroit, lui dit-il, déjà donné une bonne partie de ses soins au rétablissement des grands chemins et autres ouvrages publics, n'ayant rien plus à cœur que de procurer à ses sujets la commodité nécessaire à leur trafic. » Quelques mois après (5 novembre 1662), mettant à la disposition des trésoriers de France à Poitiers une somme de 2,500 livres pour la réparation des grands chemins, il recommandait de la ménager le plus possible, et d'en indiquer l'emploi, si l'on voulait que le roi fit davantage. 2,500 livres! c'était bien peu sans doute; c'était beaucoup, comme tendance et point de départ, quand on songe à l'absence presque totale d'allocations pendant les années antérieures. Une autre lettre, du 23 novembre 1669, par laquelle il informait l'intendant de Riom que «l'intention du roi étoit de faire travailler sans discontinuation au rétablissement de tous les chemins publics et de rendre toutes les rivières navigables, » prouve que les recommandations premières n'étaient pas, comme il arrive souvent, l'effet d'un zèle passager.

Quelques réflexions semées çà et là parmi ses lettres et improvisées dans l'ardeur du travail journalier avec une vigueur de style parfois singulière font connaître tout à la fois le caractère de l'homme et les vues du ministre sur l'objet qui l'occupe. On note avec bonheur au passage ces traits de flamme, ces élans de l'administrateur que la passion du bien possède et qui ne fait rien avec tiédeur.

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25 mai 1669, aux intendants. « Étant bien aise de distinguer les affaires des ponts et chaussées des autres de votre département, dont vous avez soin, je vous prie de prendre la peine de m'en informer à l'avenir par une lettre particulière, ce que j'observerai aussi de ma part, afin d'éviter par ce moyen la confusion qui pourrait naître de la diversité des matières sur lesquelles j'aurai à vous écrire (1). »

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lettre (8 mai 1682), Colbert recommandait à l'in

17 juillet 1669, au chevalier de Clerville, ingénieur. « Vous savez de quelle conséquence il est de n'employer que des personnes utiles, et que nulle considération d'amitié, de parenté ou autres particulières, ne prévalent à ce qui est du bien du service; et au surplus, vous tiendrez la main qu'il ne soit donné des appointements à qui que ce soit qu'à proportion de l'utilité et de l'avantage qu'ils apporteront au travail. >>

5 juillet 1670, au sieur Duplessis-Dieulamant, ingénieur. « Les contraintes et la prison que l'on fait subir aux adjudicataires sont de petites consolations de la perte de l'argent et du temps propre à travailler. C'est pourquoi, à l'avenir, observez exactement de ne faire choix que de personnes que vous connoîtrez capables de bien exécuter les marchés qu'ils auront passés. Et pour tout dire, c'est sur vous particulièrement que je me dois reposer de tous les expédiens à prendre pour rendre les travaux faciles et solides; et vous devez vous appliquer tous les jours à bien étudier tous les moyens et toutes les machines capables d'y réussir, dont vous devez donner les avis aux entrepreneurs, afin d'empêcher qu'ils tombent dans des dépenses inutiles qui les ruinent. >>

27 juin 1677, à l'intendant d'Orléans. — « C'est un mauvais exemple de souffrir, dans une généralité, que les entrepreneurs fassent des marchés pour y gagner, s'il y a gagner, et jamais pour y perdre. Pour éviter un aussi grand inconvénient, qui n'arrive que trop souvent, il faudroit arrêter l'entrepreneur et ses cautions, et les faire contraindre au payement de ce qu'ils doivent. En cas qu'il ne pût pas achever son entreprise, il faudroit établir un autre entrepreneur en qui l'on pût prendre une entière confiance, et qui donnât bonne caution. >>

15 octobre 1680, à l'intendant de Metz. « La maxime du roi est d'entreprendre un grand chemin et de le rendre parfait, auparavant que d'en entreprendre un autre, parce que Sa Majesté a souvent remarqué que, lorsqu'on entreprend beaucoup d'ouvrages en différens chemins, les fonds se trouvent consommés sans beaucoup d'utilité. »

26 février 1681, à l'intendant de Rouen. Il ne faut pas s'étonner de ce qu'on dit, particulièrement dans les provinces, où il y a toujours de petits esprits qui n'ont aucune autre préoccupation que celle que l'envie et la jalousie leur donnent. »><

Enfin, une circulaire du 9 mai 1680 aux intendants des pays d'élections mériterait d'être reproduite intégralement. Colbert les invitat d'abord à observer, au point de vue des ouvrages publics et des routes à entreprendre, quelles étaient les villes de la généralité les plus populeuses et les plus commerçantes.

« Vous observerez aussi, ajoutait-il, à l'égard des provinces qui ont communication aux villes maritimes et aux ports de mer, que les chemins qui y conduisent doivent toujours être mis au nombre des princi

tendant de Bordeaux de lui écrire une fois par mois sur les ouvrages publics, comme il faisait lui-même à tous les intendants.

paux chemins, parce que c'est toujours le lieu d'un grand transport et d'une grande consommation.

« Il faut de plus considérer la grande route des provinces à Paris comme la principale et la plus importante, à cause de la communication continuelle que toutes les provinces ont avec la capitale du royaume, et que c'est presque le centre de toute la consommation.

« Après avoir bien considéré vous-même, dans les voyages que vous faites, tous ces différens chemins, Sa Majesté veut que vous fassiez choix de celui qui est le plus utile et le plus avantageux aux peuples. Et après avoir rétabli ce principal chemin, vous en pourrez entreprendre un autre, Sa Majesté estimant beaucoup plus avantageux pour ses peuples de rétablir parfaitement les grands chemins, selon leur importance, l'un après l'autre, que de continuer à faire quantité de petites dépenses de côté et d'autre, qui ne font pas l'effet qu'elle désire. »

Les registres indiquant les sommes prélevées annuellement par Colbert sur les fonds du Trésor pour le service des ponts et chaussées et pour le pavé de Paris existent encore (1). Dans le budget de 1662, le premier qu'il eût à préparer, les routes n'obtinrent que 22,000 livres, tandis que le pavé de la capitale en absorbait près de 138,000, témoignage sans réplique du mauvais état où il l'avait trouvé et de la justesse des critiques de Boileau. Mais il fallait avant tout se reconnaître et pourvoir aux dépenses les plus urgentes. Deux ans après, le fonds consacré aux routes avait décuplé, et, en 1671, leur dotation s'élevait à 623,000 liv., celle du pavé de Paris restant stationnaire. Bientôt la guerre de Hollande éclata et réclama d'immenses sacrifices. En 1675, au plus fort des besoins, alors que Colbert aux abois était forcé de recourir aux emprunts, aux aliénations, aux expédients de toutes sortes, le service des ponts et chaussées ne figura même pas au budget. La guerre terminée, il y reparut avec 241,000 livres; en 1682, on l'y retrouve avec 302,000, chiffre que le successeur de Colbert put, grâce à la paix, porter au quintuple pendant deux ou trois ans. Qu'on ajoute une dépense moyenne de 50 à 60,000 livres pour travaux d'entretien, et l'on aura approximativement ce que le contrôleur général affectait chaque année, sur les fonds du Trésor, au service qu'il regardait à juste titre comme la pierre angulaire de tous les autres et la base de la prospérité publique. Notons enfin que ces allocations étaient dépensées en entier dans les généralités ou pays d'élections, les pays d'États comme le Languedoc, la Bourgogne, la Bretagne, la Provence, l'Artois, etc., fournissant à tous leurs frais d'administration, parmi lesquels les voies de communication tenaient le premier rang.

Mais tout n'était pas là: des ressources locales, dont le détail, variable suivant les provinces, est resté obscur, venaient accroître celles

"des, etc.; I, 132.

que nous avons indiquées. Elles provenaient de contributions spéciales, des octrois et des corvées. La correspondance est à cet égard très-explicite. Moulins, La Flèche, Montauban, Grenoble et cent autres villes eurent à payer des impositions destinées à la réparation des ponts et chaussées ou à l'endiguement des eaux. Le gouvernement avait promis de se charger des chemins royaux; cependant les localités étaient, bon gré mal gré, appelées à y concourir. En 1680, la route d'Alsace exigeait une dépense de 120,000 livres; le roi donna la moitié de la somme et fit payer le reste aux Trois-Évêchés. La même année, la généralité de Rouen s'imposait 12,000 livres pour la route de Paris. D'autre part, au lieu d'être laissés à la libre disposition des communes, les octrois étaient en partie appliqués aux ponts ou aux routes, d'après les indications du ministre. Ceux d'Orléans ayant été employés au payement des dettes communales et à l'entretien du pavé, il blâma cette affectation et prétendit qu'ils avaient été concédés pour l'entretien du pont et des autres ouvrages publics. Même observation pour ceux d'Angers. « Comme le revenu de ces octrois, écrit Colbert, monte à plus de 30,000 livres, le roi veut ou en soulager les peuples en les diminuant, ou au moins qu'ils soient employés à des dépenses utiles et nécessaires. » Il était bien entendu que lui seul resterait juge de l'utilité. Quant aux corvées, quoiqu'il les désapprouvât en principe, Colbert en usa fréquemment, soit pour le transport des matériaux, soit pour la réparation des routes, tamment de celles où devait passer le roi. Veut-on savoir combien ce mode de contribution était vexatoire? Armé d'un pouvoir délivré par la Chambre du Trésor (1), un propriétaire de Saintonge faisait réparer ses chemins arbitrairement. Il fut poursuivi et condamné aux galères perpétuelles. En communiquant ce fait à l'intendant de Limoges, Colbert lui dit qu'il y avait, dans sa généralité, des gens porteurs de commissions pareilles qui, sous prétexte de voirie, étaient à charge aux peuples. «S'il y a lieu, ajoutait-il, d'en faire des exemples, le roi vous enverra le pouvoir de les juger souverainement. » Une autre fois (15 octobre 1680), tout en autorisant les corvées pour réparer la route de Verdun à Metz et en écrivant à l'intendant que « chaque pays doit porter la dépense de ses chemins,» il ajoute : Vous avez raison de dire que les corvées causent toujours beaucoup d'inconvénients. Ainsi, examinez ce que votre généralité peut porter tous les ans d'imposition pour les ouvrages publics. » Il préférait donc les impositions aux corvées, sauf pour les travaux militaires urgents et les routes stratégiques. C'est ainsi que, l'intendant de Soissons ayant demandé de faire travailler par corvées aux chemins des frontières, il lui répondit que le roi ne donnait

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(1) Tribunal siégeant à Paris et institué pour connaître, en première instance, de tout ce qui constituait le domaine du roi.

pas de permissions générales, mais que, s'il spécifiait un chemin, on pourrait l'autoriser. Enfin, un singulier genre de corvée ou de péage était en usage sur quelques routes, au moins sur celle de Paris à Orléans. On avait, pour ménager la chaussée, défendu aux charretiers de charger plus de cinq poinçons de vin par voiture. Un arrêt du conseil leur en permit six, mais à condition qu'ils déposeraient au retour deux douzaines de paves ou deux sacs de sable sur les points qui leur seraient désignés.

La bonne exécution des travaux et le choix des entrepreneurs étaient l'objet de prescriptions continuelles. Il fallait surtout prévenir les monopoles, déjouer les collusions, trouver des cautions valables, n'adjuger les travaux qu'au rabais et ne les recevoir, pour plus de sûreté, qu'après l'hiver. Suivant une lettre à l'intendant du Dauphiné, les entrepreneurs des généralités étaient obligés, par leurs marchés, d'entretenir pendant dix ans, sans augmentation de prix, les ouvrages livrés par eux. Le 27 juin 1677, le ministre prescrivait à l'intendant d'Orléans d'avoir des entrepreneurs solvables et de veiller à ce que les ouvrages fussent bons, et, si c'était possible, éternels. Cela rappelle les recommandations pour les travaux du canal de Languedoc. Prenant les adjudications au sérieux, il n'entendait pas, on l'a vu plus haut, que les entrepreneurs n'acceptassent que les chances de gain. Une fois pourtant, sans doute à cause de mécomptes exceptionnels, il fit accorder une indemnité de 10,000 livres à l'entrepreneur du pont d'Orléans, «pour les pertes et disgrâces qu'il avoit souffertes.» Écrivant à l'intendant de cette ville, il précise nettement quelles étaient, un an avant sa mort, ses idées et ses vues sur divers points importants.

« Il est nécessaire que vous teniez la main à ce que l'entrepreneur fasse toujours pour 3 ou 4,000 livres d'ouvrages dont il soit en avance, et que vous fassiez aussi bien observer que ces ouvrages soient conformes aux devis. Et s'il manque, soit dans le commencement, soit dansla fin des ouvrages, il faudra le faire contraindre et ses cautions; et en cas qu'il ne satisfasse point par les contraintes, et que vous soyez obligé d'en venir à l'emprisonnement, il faudra le faire, et ensuite republier les ouvrages à la folle enchère. Par ce moyen, qui est conforme aux règlemens et ordonnances dont l'exécution est toujours avantageuse au roi et au public, vous parviendrez, en punissant avec quelque sévérité les entrepreneurs qui feront de mauvaises enchères, à n'en avoir que de bons et qui ne hasarderont pas mal à propos de faire des rabais qui tourneront à leur ruine. Au contraire, le choix des entrepreneurs et la préférence que l'on propose de leur donner, sous prétexte qu'ils feront de meilleurs ouvrages, peuvent causer des désordres si considérables qu'il faut les éviter à quelque prix que ce soit. »>

Colbert redoutait enfin que les ouvriers et entrepreneurs qui étaient 15 février 1867.

3 SERIE. T. v.

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