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même politique à son heure, il a tout ce qui peut élargir les horizons de la pensée et ouvrir les plus lointaines perspectives.

Il est donc à regretter profondément, au point de vue de la science, que le savant professeur n'admette pas que l'économie politique ait existé dans l'antiquité ni au moyen âge. Il veut même qu'elle n'apparaisse à nos époques modernes qu'au XVIII° siècle : auparavant il n'y a eu que des faits économiques, dit-il, et M. Baudrillart ne veut faire ici que l'Histoire des idées et des doctrines; mais je prendrai la liberté de faire observer que, dans tous les temps, les faits économiques ont été nécessairement le produit des idées et des doctrines qu'il faut s'attacher à faire connaître.

Je dirai donc, contrairement à l'opinion du savant professeur, que l'économie politique est contemporaine des sociétés humaines, et de tout temps, dans les livres sacrés, de quelque religion qu'ils soient, dans les écrits des philosophes, dans les œuvres des moralistes, dans les traités politiques, les hommes chargés du gouvernement des sociétés ont déposé leurs idées, leurs théories et leurs doctrines.

La tâche de l'historien économiste est, ce me semble, de procéder au départ des idées et des doctrines qui ont régi les faits économiques dans tous les temps. Je ne dirai rien des écrivains qui ont tracé le tableau des efforts de l'humanité à diverses époques pour arriver au bien-être ; je ne m'occuperai pas de la phalange, recommandable à plus d'un titre, des Heeren, des Boeck, des Dureau de la Malle, des Blanqui, des Cibrario, dont on peut contester le mérite; mais, sans rien ôter à la force de mon argumentation, je ne veux insister que sur la nécessité de rechercher et de mettre en évidence les principes spéciaux répandus dans les anciens auteurs, et formant les doctrines et les idées sous l'impulsion desquelles se produisaient les faits économiques.

Je me résume donc, cher Directeur, et je dis : Il y a eu, de tout temps, non-seulement des faits économiques, mais des doctrines et des idées génératrices de ces faits; ne commencer l'Histoire de l'économie politique qu'au XVIIIe siècle, c'est ne soulever qu'un coin du voile qui cache le magnifique et saisissant tableau de l'activité humaine, c'est s'effacer devant le devoir fécond de faire l'histoire du travail dans l'humanité. Agréez, etc. JULES PAUTET.

LE DROIT EXCLUSIF D'ÉMISSION EST-IL UN MONOPOLE?

Mon cher Garnier,

Paris, 27 janvier 1867.

Vous m'apprenez que la prochaine livraison du Journal des Économistes contiendra un travail de M. Michel Chevalier consacré à réfuter mes idées au sujet de l'émission des billets. Je suppose que plusieurs des arguments qu'il doit mettre en relief se confondront avec ceux dont s'est servi M. Horn dans son article publié le 15 janvier. Je voulais immédiatement répondre à ce dernier travail, dont le ton m'a surpris, mais dont, heureusement 3 SERIE. T. v. 15 février 1867.

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les attaques portent à faux. J'espère ne pas laisser debout une seule des considérations sur lesquelles M. Horn appuie son opinion, et je persiste de plus en plus à croire celle-ci erronée, surtout en voyant combien sont incomplètes les démonstrations qu'il prétend développer. Le tapage du style couvre mal le côté faible de la doctrine. Je suppose que beaucoup de déductions de M. Michel Chevalier seront puisées à la même source; je préfère donc attendre la livraison de mars pour ne pas revenir sur le même sujet.

Mes contradicteurs prétendent défendre un principe libéral. Certes, je crois avoir assez montré pendant une existence déjà longue que je ne leur cédais en rien en ce qui touche le dévouement à la liberté, mais entendue plus largement, à la liberté dont la sincérité, l'équité et la sécurité des rapports sociaux forment l'essence. Ce qui me rassure fort, c'est qu'un homme qui a fait ses preuves, l'illustre orateur dont nous applaudissions hier la parole émue et chaleureuse, partage toutes mes idées dans la question des Banques, et je vous avoue que l'adhésion de M. Gladstone me console des critiques de M. Michel Chevalier et de M. Horn. Je ne crois point m'engager dans une voie hostile à la liberté, quand je suis un tel maestro e duce.

Vous avez reproduit ma première réponse à M. Jules Duval, directeur de l'Économiste Français, veuillez faire profiter les deux autres (celles des 14 et 20 janvier) de la même hospitalité, et agréez l'expression de mes sentiments les plus distingués. L. WOLOWSKI, Membre de l'Institut.

Deuxième lettre de M. Wolowski au directeur de l'ÉCONOMISTE FRANÇAIS. Paris, le 14 janvier 1867.

Monsieur le rédacteur,

Je connais votre scrupuleuse impartialité aussi suis-je certain que vous accueillerez une réponse catégorique aux observations dont vous accompagnez, dans votre dernier numéro, ma lettre du 5 janvier.

Elles portent sur trois questions: une de fait, une de mots, une d'idées. Je suivrai le même ordre :

1° Question de fait. Vous me présentez comme absolument seul de mon opinion au milieu de la Société des économistes de Paris; cela est connu, dites-vous. Je vous remercie de me mettre à même de rectifier une erreur, trop facilement accueillie. Parmi les membres de la Société qui se sont spécialement occupés de la question des banques, ou qui ont consacré des écrits remarquables à l'examen des problèmes qu'elle soulève, le plus grand nombre a donné une adhésion bienveillante aux idées que je défends. Pour suivre l'ordre alphabétique, je puis nommer MM. Bartholony, Belly, Ernest Bertrand, Cherbuliez, Buffet, Cernuschi, Coullet, Louis Halphen, de Laveleye, Le Cesne, Levasseur, Modeste, Omeaglier, Pellat, Rapet, Léon, Say, Vogel. Quelques-uns vont plus loin, ils proscrivent entièrement le billet de banque, quand il ne représente point l'encaisse, quand il est autre chose qu'un warrant de l'or. Je doute fort que la liste de ceux qui professent nettement l'opinion contraire soit

aussi longue; quant aux autres, ils n'ont point eu l'occasion de se prononcer; beaucoup hésitent et étudient pour se former une opinion sur une doctrine neuve, mise en présence de l'idée ancienne de la liberté d'émission.

Il y a plus fort peu sont les partisans véritables de la liberté des banques, confondue d'une manière absolue avec la liberté de l'émission; fort peu proclament que la création des billets qui aspirent à circuler à côté de la monnaie, en essayant de remplir une partie de l'office dévolu à l'intrument général de la circulation, soit une industrie, comme toute industrie. Je ne connais guère parmi les économistes français, nos collègues, que MM. Courcelle-Seneuil, Du Puynode et de Fontenay, qui défendent cette thèse radicale, avec une conviction et un talent auquel je suis le premier à rendre hommage. Seuls, ils sont les adeptes de Carey, prêts à déclarer avec lui qu'on ne saurait fixer aucune condition à l'émission, et que chacun doit être libre d'ouvrir un établissement à cet effet, comme chacun est libre d'ouvrir une échoppe de savetier. Je dois ajouter que, parmi ceux dont je combats les doctrines, ils me paraissent seuls obéir aux lois d'une déduction parfaitement logique. Si l'émission des billets à vue au porteur, formulés de manière à circuler, comme circule la monnaie, est une véritable industrie, placée sur le même pied que les autres, elle doit user de la même latitude, en échappant à toute limitation, à toute sujétion. On prétend que le billet de banque n'est qu'une forme de la lettre de change: a-t-on jamais imaginé de soumettre la création du papier commercial à une condition quelconque? Il en devrait être de même du billet de banque, si l'assimilation qu'on prétend établir n'était pas inexacte; MM. Carey, CourcelleSeneuil et Du Puynode auraient seuls raison.

Le plus grand nombre de ceux que vous citez pour me combattre ne sont nullement les défenseurs de l'industrie libre des banques d'émission; ils admettent, au contraire, un certain régime réglementaire, ou un véritable monopole, plus ou moids mitigé par une sorte de cantonnement. Je reviendrai sur cette question de monopole, dont on voudrait faire le grand cheval de bataille, sans que ceux qui le poussent en avant se soient aperçus qu'ils l'enfourchaient eux-mêmes; tandis que j'espère démontrer combien ceux dont je partage l'avis sont étrangers à la pensée qu'on leur impute. Oui, mon excellent ami M. Léonce de Lavergne veut le monopole régional, et vous même, mon cher Duval, vous n'êtes pas éloigné de le demander; oui, MM. Horn et Michel Chevalier imaginent un régime de garantie préalable et de restriction, taillé à peu près sur le patron des Banques nationales d'Amérique, fondées sur le principe. dont le nom de free banking a été énergiquement dénoncé par Carey comme une étiquette usurpée. Demandez à MM. Frédéric Passy, Garnier, Baudrillart, ce qu'ils en pensent, et vous verrez qu'ils sont beaucoup moins décidés, beaucoup moins affirmatifs que vous ne le supposez; demandez à M. Hippolyte Passy s'il ne considère point la libre émission des billets de banque comme le moyen de faire disparaître un instrument mauvais et périlleux. Certes, il ne partage ni les

force des choses amène-t-elle entre les banques multiples, là où elles existent, une entente commune pour la direction uniforme du taux de l'escompte d'après la situation du marché. Enfin la multiplication du nombre des billets, qui peuvent se maintenir sans péril dans la circulation, ne tient point à la diversité de l'émission, tout au contraire. Ces conséquences, si différentes de celle qu'on rencontre partout, sur le terrain de l'industrie proprement dite, nous avertissent suffisamment qu'il s'agit ici d'un autre principe et d'une nature de choses toute différente.

Ne confondez point des priviléges, que l'État se réserve, comme par exemple le monopole du tabac, l'administration des postes, la fabrication de la poudre, avec les fonctions qui lui sont dévolues, comme l'administration de la justice, l'élaboration des lois, la fixation de l'unité des poids et mesures. Une loi, un poids, une mesure, une monnaie, telle a été, pendant les siècles féodaux, la longue aspiration de la France. Elle est accomplie aujourd'hui; gardons fidèlement ce précieux héritage.

Parmi les poids et mesures dont le devoir de l'État est de maintenir l'exactitude au moyen d'un contrôle efficace, il est une classe qui présente un caractère spécial, c'est celle qui concerne la mesure de la valeur, la monnaie. En effet, ce genre d'instrument ne se borne point à préciser le prix des choses, il le constitue; il ne s'agit pas uniquement de lui faire remplir l'office d'un étalon vérificateur, on l'échange luimême contre l'objet acquis; c'est parce qu'il est une marchandise qu'il sert de véhicule aux transactions. La substance dont se compose le mètre, qu'il soit de bois, de tissu, de fer ou d'or, importe peu : la substance dont se compose le numéraire importe beaucoup. Et quand il s'agit de faire circuler en guise d'espèces de simples signes, qui sont le simulacre de la monnaie, mais que chacun donne et reçoit comme de la monnaie; quand la quotité de ces signes exerce une influence marquée sur le prix des choses, et peut fausser la destination de l'instrument d'échange, un danger particulier impose un devoir spécial. Le contrôle, le poinçonnage, la vérification periodique, auxquels sont généralement soumis les poids et mesures, ne suffisent plus; il faut une action plus directe, plus constante et plus énergique pour préserver de tout échec la mesure de la valeur. Il ne s'agit point là d'un droit régalien dont le Souverain serait appelé à tirer un profit périlleux pour l'ordre social; il s'agit au contraire d'un de ces droits tutélaires que 1789 a fait sortir du cercle restreint des prétentions individuelles et des libertés partielles, afin de les remettre à la puissance publique, au grand avantage de la sécurité et de la liberté générales.

A moins de vouloir sacrifier à l'an-archie Proudhonienne l'idée organique de l'État, il faut bien reconnaître à celui-ci la mission de protéger la sincérité de la circulation, comme il est appelé à maintenir la fidélité des engagements. Nous sortons du domaine de l'industrie pour entrer dans celui d'une fonction sociale; il ne saurait plus être question de concurrence; personne n'a imaginé de classer au rang des monopoles l'administration de la justice; il serait tout aussi inexact d'y faire rentrer

l'émission des billets, de ce simulacre de la monnaie, j'aime à répéter l'expression dont vous vous êtes servi.

Vérifier le titre des espèces d'or et d'argent est chose matérielle et facile; mais vérifier le titre des billets qui s'infiltrent dans la circulation pour y remplir l'office de la monnaie, sans posséder les qualités intrinsèques qui distinguent celle-ci, c'est une bien autre besogne dont la difficulté augmente singulièrement, du moment où l'unité d'émission cesse d'exister. La constatation de la nature et de la qualité des signes, qui ne reposent point sur la composition intrinsèque de l'instrument des échanges, et ne se trouvent plus réglés par les existences métalliques et par les lois de l'offre et de la demande de cette marchandise spéciale, exigent des règles de sécurité et de limitation, dont la concurrence ne s'accommode guère. Renoncez à confondre des éléments, distincts par leur essence n'appliquez point les principes larges qui doivent régner sans partage sur le domaine de l'industrie, aux données restrictives de l'émission, et vous arriverez à constater que, si l'organisme social appelle l'action tutélaire de l'État, pour maintenir la fixité relative des signes, substitués au gage de l'échange, il n'existe là aucune trace de ce que la doctrine condamne sous le nom de monopole. On rencontre, au contraire, un principe, parfaitement légitime, parfaitement justifiable.

La doctrine que vous défendez, celle du contrôle actif de l'État, exercé au moyen de garanties imposées et d'institutions dotées d'une certaine faculté exclusive, exercée dans un rayon déterminé, aboutit, au contraire, à une conséquence que tous s'accordent à condamner, à la réglementation et au monopole.

Vous voulez que l'émission des billets soit considérée comme une industrie. Pourquoi lui imposer des conditions restrictives, des garanties onéreuses, une surveillance inquiète ? Ou bien pourquoi l'assujettir à des règles d'exclusion locale? Parce que plusieurs exercent une faculté interdite à d'autres, est-ce que le privilége cesse d'exister en se fractionnant entre un petit nombre de mains à l'exclusion de tous? Le monopole des agents de change, des notaires, des avoués, cesse-t-il d'être un monopole, parce qu'il admet un nombre déterminé d'ayants droit ? Et les banques régionales, ne seraient-elles point une expression de monopole? Chose singulière, ce sont ceux qui les provoquent, ceux qui admettent ce qu'ils se plaisent à nommer une concurrence limitée, qui caressent la véritable pensée du monopole, alors qu'ils l'imputent à tort à ceux qui, toujours fidèles au dogme supérieur de la liberté entière du travail, de l'industrie et du commerce, n'y contrevienne en aucune manière, en laissant à l'État ce qui est du domaine de l'État. Proclamer l'émission des billets, une industrie comme une autre, et la garrotter, la limiter en même temps, c'est se contredire singulièrement ; l'attribuer à un certain nombre d'institutions, c'est faire du privilége et du monopole: au contraire, reconnaître que c'est une fonction sociale et la défendre comme un élément d'ordre public et de sécurité des transactions, c'est maintenir le principe de la liberté, dans l'acception la plus haute

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