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M. Emile Worms, membre de la Société d'économie politique, lauréat de l'Académie des sciences morales et politiques, a inauguré, le 19 janvier, à Douai, des conférences d'économie politique, au milieu d'une af fluence considérable d'auditeurs. M. Worms enseigne à la Faculté de droit de cette ville la procédure civile, depuis la rentrée, en qualité de professeur chargé du cours; il a été autorisé à faire ses conférences d'économie politique par un arrêté de M. le ministre de l'instruction publique, en date du 10 décembre dernier. Les amis de la science seront reconnaissants envers le jeune professeur de son initiative et feront avec nous des vœux pour que ce cours passe à l'état d'institution régulière, au sein de la Faculté Douaisienne. Ils seront encore reconnaissants envers M. Fleury, recteur de l'Académie, et auteur d'une histoire trèsestimée de l'Angleterre, qui a tenu à honneur de patronner le nouvel enseignement.

L'an dernier, un jeune avocat, M. Anatole Gorne, avait déjà fait avec succès une série de conférences publiques sur divers sujets d'économie politique et notamment sur les systèmes que la science a rencontrés en chemin, en suivant la méthode historique. M. A. Corne avait résumé son sujet en disant qu'il importe par-dessus tout de s'attacher à augmenter la valeur de l'homme par la justice, l'instruction, la liberté, et rappelé les paroles d'Adam Smith, montrant avec orgueil sa patrie devenue après trois quarts de siècle la plus riche et la plus puissante des nations, parce qu'elle était devenue en même temps la plus juste et la plus libre.

L'association polytechnique, qui aura heureusement contribué à la vulgarisation de l'enseignement économique, continue sa propagande. Une deuxième série de conférences, que donnent de nouveau et sous ces auspices, les membres de la Société d'économie politique, va s'ouvrir dans l'amphithéâtre de l'Ecole de médecine, dont la chaire sera successivement occupée, à partir du 17 courant, par MM. Courcelle-Seneuil, Fréd. Passy, Batbie, Levasseur, Wolowski, J. Duval, Joseph Garnier, Horn, Paul Coq, Du Puynode, Baudrillart, Audiganne. Déjà plusieurs sujets économiques ont été traités dans les conférences d'arrondissements par MM. Horn, J. Duval, Joseph Garnier, Audiganne, Paul Coq, Horn, Frédéric Passy.

L'association polytechnique ayant fondé une section à Troyes, nous écrit M. Mannequin, des conférences vont être ouvertes dans cette ville sur différentes matières scientifiques et littéraires, et l'économie politique y aura sa part. Je connais personnellement M. Victor Deheurle, avocat, juge de paix suppléant dans le canton de Piney, qui est chargé de l'économie politique, et je puis vous assurer que notre chère science sera dignement représentée à Troyes. La séance d'ouverture de l'association polytechnique (section de Troyes) a eu lieu le 3 du courant,

dans la grande salle de l'hôtel-de-ville. Elle était présidée par M. Isidore Salles, préfet de l'Aube. M. Argence, maire de la ville et M. Frérot, adjoint, y représentaient la municipalité. M. Leroyer, vice-président de l'association polytechnique de Paris, a prononcé un magnifique discours qui a été vivement applaudi. C'était une véritable fête de famille à laquelle rien ne manquait. Les fêtes en l'honneur de l'instruction publique ne sont pas, mon cher maître, nouvelles en France; mais c'est une nouveauté de voir la science de Turgot, de Smith et de J.-B. Say y prendre place. A Troyes, c'est plus qu'une nouveauté, c'est presque une révolution, car cette ville s'était toujours montrée très-attachée aux funestes doctrines de la protection. »

C'est aussi à l'association polytechnique que s'est adressé le comité chargé d'organiser les conférences instituées à l'asile impérial de Viucennes, sous le patronage de l'Impératrice, de l'inauguration desquelles nous entretenions nos lecteurs en avril dernier, et c'est aussi à divers membres de la Société d'économie politique que l'association polytechnique a voulu demander les noms. Déjà un certain nombre de ces conférences ont été faites par MM. L. Wolowski, Baudrillart, Levasseur, Batbie, J. Duval, Joseph Garnier, Frédéric Passy, à un auditoire de 300 à 400 personnes, qui semblent heureuses et reconnaissantes des efforts qu'on fait pour les mettre au courant des questions qui intéressent

la société tout entière.

-La question des octrois, qui a été l'objet de deux discussions récentes de la Société d'économie politique et de lettres que nous ont adressées MM. de Lavergne et Garbé, a donné lieu à une assez longue et assez vive polémique dans le Nouvelliste de Rouen, entre M. H. Courcelle et M. Frédéric Passy: ce dernier répondant aux attaques dont sa brochure avait été l'objet de la part de M. H. Courcelle, prenant à partie, peut-être avec plus de vivacité que de force, « les gens qui se permettent de critiquer le système des impôts en France » au lieu de s'arrêter à cette pensée que tout ce qui a été créé par nos devanciers a eu sa raison d'être. Cette polémique aura produit un nouveau plaidoyer en faveur des octrois (contenant les treize articles de M. H. Courcelle, plus une longue lettre au Journal de Rouen, en réponse à une citation d'un passage d'une des lettres que M. de Lavergne nous a adressées); mais il aura produit aussi, en manière de contre-poison, une nouvelle édition de l'excellente brochure de M. F. Passy.

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Puisque cette question revient sous notre plume, rappelons le travail que vient de publier M. Hermitte, avocat à Bordeaux, lequel s'est donné pour thème l'Etude des moyens de remplacer l'octroi et l'impôt

des boissons sans enlever ni à l'Etat ni aux villes les ressources qui leur sont nécessaires (1).

Disons aussi que nous insérerons dans ce recueil une Etude qui nous a été remise depuis quelque temps déjà par l'auteur de Fortune publique et finances de la France (2).

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La question financière est aujourd'hui la plus difficile de celles qui restent à résoudre en Italie. M. Scialoja, ministre des finances, a fait, les 16 et 17 janvier, un intéressant exposé de la situation qui résulte des événements récents si heureux pour la Péninsule :

Suivant l'évaluation de M. Scialoja, le budget italien offre un déficit annuel de 185 millions. Ce déficit doit s'éteindre progressivement, tant par l'augmentation naturelle du produit de l'impôt que par la décroissance des dépenses qui résultera de l'amortissement ou de l'extinction de diverses charges, de telle sorte que l'on peut espérer de voir l'équilibre s'établir vers l'année 1880.

Pour mettre le Trésor en état de suffire à toutes les exigences jusqu'à cette échéance, le ministre a proposé d'une part l'augmentation des impôts existants, et la création de quelques contributions nouvelles; de l'autre, une opération spéciale qui doit procurer aux caisses de l'État un subside considérable.

Cette opération n'est autre que cette combinaison sur les biens du clergé dont on a parlé déjà à plusieurs reprises et qu'il s'agissait cette fois de conclure avec une maison de banque belge, la maison LangrandDumonceau. Cette opération était présentée comme une liquidation du patrimoine ecclésiastique, opérée en vue de l'établissement d'un système nouveau de rapports entre l'Église et l'État. Ce système serait la liberté respective des deux puissances, la séparation aussi rigoureuse que possible de leurs attributions, par suite, la libre disposition laissée au clergé des biens qu'il possède ou pourra posséder, sous condition de ne pas les tenir à l'état de mainmorte et de les rendre à la circulation, par leur conversion en titres mobiliers.

Le prélèvement fait par l'État sur la valeur totale de ces biens constituerait une sorte d'indemnité présumée équivalente à la contribution dont les caisses publiques eussent frappée ces biens, s'ils ne fussent demeurés si longtemps à l'abri des atteintes fiscales. Ce prélèvement, dans le projet de M. Scialoja, était fixé à 600 millions, payables en six annuités de 100 millions chacune. La maison Langrand-Dumonceau se portait, vis-à-vis du gouvernement, agent et garant du clergé, repré

(1) L'Octroi et l'Impôt des boissons. Paris, Guillaumin, 1867. In-8 de 184 p.

(2) Paris, Guillaumin. 2 forts vol. in-8.

senté par l'ensemble des évêques. A ces conditions, l'État ne s'immiscerait point dans la liquidation immobilière, que le clergé demeurerait libre d'opérer selon ses propres convenances. Si, au contraire, le clergé ne souscrivait point au projet gouvernemental, l'État entreprendrait lui-même la liquidation, en émettant des titres spéciaux, qui auraient pour garantie la totalité des biens à transformer.

Aces mesures par lesquelles il espérait relever progressivement la situation financière de l'Italie, de manière à y établir l'équilibre en douze années, M. Scialoja rattachait incidemment l'opération relative aux chemins de fer, opération dont la base est la conversion des titres émis par les compagnies en titres de rente sur l'État.

Ce plan n'a pas eu l'assentiment de la chambre des députés, et il devra s'ensuivre une recomposition ministérielle; puis, après quelques évolutions de l'opinion, il ne serait pas impossible qu'on revint à un projet plus ou moins analogue; car c'est là qu'est le nerf de la situation.

Le discours de la reine d'Angleterre a cela de particulier, cette année, qu'il a été fait pour un ministère tory obligé d'être libéral. Il annonce la formation d'une commission pour étudier les rapports des ouvriers avec les patrons, et un projet de loi sur la délicate question des rapports entre les propriétaires et les fermiers en Irlande. «Il vous sera présenté, dit la reine, un bill qui, sans immixtion dans les droits de la propriété, offrira un encouragement direct aux détenteurs de terre pour améliorer leur exploitation, et il fournira un simple mode d'obtention de compensation pour des améliorations permanentes. »

Un des premiers actes de M. de Forcade, en entrant au ministère de l'agriculture, du commerce et des travaux publics, a été de s'entendre avec son collègue M. le ministre de l'instruction publique pour aviser aux moyens de développer l'instruction dans les campagnes et de provoquer la nomination d'une commission présidée par les ministres de l'instruction publique et de l'agriculture, du commerce et des travaux publics et chargée d'étudier et de propager les mesures nécessaires pour développer les connaissances agricoles dans les écoles normales primaires, dans les écoles communales et dans les cours d'adultes des

communes rurales.

Nous trouvons parmi les membres de cette commission les noms de MM. Wolowski et Kergolay, nos collègues à la Société d'économie politique. Nous espérons qu'ils combattront, jusqu'à extinction de chaleur vitale, pour faire comprendre dans les connaissances spéciales les notions économiques dont M. de Forcade sera le premier à proclamer

l'utilité.

- Le Moniteur du 5 février contient un fait de charité assez original et qui mérite d'être signalé. M. Goodwin a offert à S. M. l'Impératrice 178 machines à coudre, lesquelles ont été distribuées à 178 mères de familles dans les diverses villes de France, dont les noms et les titres sont inscrits dans la feuille officielle. C'est une très-belle et très-bonne charité.

- M. Victor Cousin aura quitté ce monde dans la plénitude de son talent. C'était un écrivain de premier ordre, un véritable artiste littéraire, un orateur d'une verve fantasque et mordante et d'une humour sarcastique, qui allait souvent jusqu'à la grimace. Il a tenu pendant prés de quarante ans les rênes de la philosophie française à la Sorbonne, à l'Université, à l'ex-Conseil royal (et passablement tyrannique) de l'instruction publique, à l'Académie des sciences morales et politiques; mais son œuvre philosophique aura peut-être de la peine à lui survivre. Les économistes auront fait beaucoup de compliments à M. Cousin: les uns pour le rendre favorable à leur science, les autres pour prévenir ses boutades satiriques. Mais ce but n'a pas été atteint. M. Cousin ne ménageait ni les écrits ni les hommes de l'économie politique, il disait volontiers: le bonhomme Say! et si Turgot, Adam Smith et Quesnay n'avaient pas traité quelques questions philosophiques, il ne les aurait certainement eus qu'en médiocre estime. Les illustrations contemporaines lui faisaient lever les épaules, et ils les englobait dans «la boutique à Guillaumin. » Cela lui valut parfois de mordantes réponses de Rossi qui savait tenir sa verve en respect, au sein de l'Académie des sciences morales et politiques. L'expression de ce sentiment provoqua plus d'une fois aussi les réclamations de ce bon M. Dunoyer, dont il aimait à surexciter l'indignation à la fois honnête et naïve, et qui se laissait toujours prendre au piége. M. Cousin persuadait, il y a vingt ans, à l'Académie française, que le beau livre de ce dernier, sur la Liberté du travail, ne pouvait pas concourir comme ouvrage utile aux mœurs, à cause de la morale utilitaire qui y était professée. Je doute que la théorie de M. Dunoyer soit répréhensible. Mais ce qui a toujours été bors de contestation c'est la dignité de sa conduite et la fermeté de son caractère.

Paris, le 14 février 1867.

JOSEPH GARNIER.

P. S. L'abondance des matières, et principalement la guerre des banques, qui se continue dans notre Recueil et en dehors, nous oblige à ajourner plusieurs articles, et en outre l'article de M. Wolowski sur le Change.

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