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2° Que les frais de production, en augmentant, élèvent toujours la valeur de la denrée (1); mais le calcul démontre que, suivant la forme qu'affecte la loi de la demande, la hausse de la valeur peut être tantôt plus forte, tantôt plus faible que la part des frais afférente à chaque unité de la denrée.

Les calculs de M. Cournot sont des plus intéressants, et nous ne pouvons que résumer sa théorie en y renvoyant le lecteur (2).

Ajoutons cependant quelques mots à cette théorie.

Tout ce qui précède suppose que le produit dont il s'agit n'est pas d'une nature qui empêche de le conserver jusqu'à ce que le producteur en ait trouvé le prix qu'il veut. Mais il existe des produits qui doivent être vendus dans un délai de temps déterminé sous peine d'étre perdus; certains produits (le poisson par exemple) sont dans ce cas. On comprend donc que le producteur pourra avoir intérêt, dans cette circonstance, à diminuer son prix, à mesure que le temps s'écoulera, pour hâter la vente; il devra se proposer de faire varier son prix de telle sorte que le profit total de la vente, dans le temps où l'on est contraint de la faire, soit un maximum. La valeur, alors, sera une quantité variable avec le temps suivant une loi possible à déterminer pour l'analyse mathématique.

I importe de constater ici que dans le cas où un producteur cherche à se défaire d'un produit qui ne peut être conservé, le prix de vente est tout à fait indépendant des frais de production de la denrée.

Remarquons toutefois que si les frais de production n'influent pas sur la manière dont le prix de vente devra varier avec le temps, lorsque le vendeur a une quantité donnée de la denrée, à sa disposition, ils influent beaucoup sur la quantité qu'il fabriquera ou se procurera (3).

(1) La valeur ne change pas si l'augmentation est indépendante de la quantité produite.

(2) M. Cournot, Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses.

(3) Si nous supposons qu'un produit se détériore avec le temps, le débit sera fonction du prix et du temps écoulé depuis qu'on a le produit entre les mains. Soit p le prix de vente au bout du temps t. Soit Vp,t) la vitesse de vente de l'objet en question; c'est la quantité vendue dans l'unité de temps quand le prix est p; ou plus exactement c'est la limite vers laquelle tend le rapport de la quantité vendue au 30 SÉRIE. T. V. — 15 janvier 1867. 3

III. DE LA VALEUR DES OBJETS PRODUITS EN CONCURRENCE.

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Théorie de la valeur de M, Cournot. Après avoir étudié la vale des produits en monopole, M. Cournot passe au cas de la concu

rence.

<< Imaginons, dit-il, les propriétaires, M, N, de deux sources d'e minérale dont les qualités sont identiques et qui se trouvent plac de manière à alimenter concurremment le même marché; de sor que la quantité totale livrée au commerce se compose de la somn des quantités m, n, livrées par chacun des propriétaires, à un pr qui est nécessairement le même pour chacun d'eux, puisqu'il n'y aucun motif de préférer une source à l'autre. Ce prix se trouve d terminé quand la somme des quantités m, n, l'est elle-même, cause de la liaison qui existe entre le prix et la demande. Adme tons, pour un moment, que le propriétaire N ait fixé arbitrairemer sans égard au prix, la quantité n qu'il entend livrer: alors le pr priétaire M fixera le prix de vente, c'est-à-dire la production tota (composée de la somme des quantités m et n); c'est-à-dire enco sa production m, de manière à se procurer le plus grand rever possible. A une autre valeur de n correspondrait une autre vale de m; et, en général, il y aura, d'après cette considération, u liaison (une équation, comme disent les algébristes) propre à donn la quantité m, lorsqu'on s'est donné la quantité n. Une parei liaison existe entre les mêmes quantités, mais qui correspond

temps employé pour vendre à mesure que le temps diminue. Soit T temps au bout duquel le produit doit être vendu entièrement. Le bér

fice que le fabricant tirera de la vente sera (Tp.(p,t)dt., et il déter

nera son prix à chaque instant, de manière à rendre ce bénéfice un ma mum. Le prix sera donc donné en fonction du temps par l'équation : p.'(p,t)+(p,t) = 0

Il arrivera généralement qu'à ce prix tout ne sera pas vendu au b du temps r et qu'une partie des produits sera perdue; c'est l'intérêt producteur d'agir ainsi.

Si la quantité qui se trouve à vendre était inférieure à celle qu'il f drait vendre pour avoir un bénéfice maximum, le producteur vendrai prix donné par l'équation:

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l'hypothèse inverse où ce serait le propriétaire N qui fixerait le prix et le total de la quantité produite, après que la quantité m aurait été arbitrairement choisie par le propriétaire M. Le système de ces deux liaisons qui doivent simultanément subsister dans l'hypothèse de la concurrence des deux propriétaires M, N, suffit justement pour la déterminaison individuelle des deux quantités m, n, par conséquent pour la déterminaison de la somme de ces qualités, à laquelle somme correspond un prix déterminé en vertu de la loi de la demande. Dans la pratique, une suite de tâtonnements et d'oscillations amènera les deux propriétaires à cette position d'équilibre, et la théorie montrera que cet équilibre est stable, c'est-à-dire que si l'un ou l'autre des propriétaires, trompé sur ses vrais intérêts, vient à s'en écarter momentanément, il y sera ramené par une suite d'oscillations du genre de celles qui avaient primitivement abouti à constituer l'équilibre (1). » Cette théorie de M. Cournot nous paraît erronée.

Nous pensons qu'une fois que le propriétaire N a fixé la quantitén qu'il entend livrer au public, le propriétaire M ne peut plus fixer le prix de vente qui se trouve fixé par la force des choses. N'est-il pas évident, en effet, que si le producteur M venait à fixer un prix de vente, tous les débits seraient déterminés par cela seul et que cela modifierait forcément le débit que le propriétaire N aurait pu s'assigner a priori?

Le propriétaire N, une fois le prix fixé a intérêt à vendre tout ce qu'on lui demandera, et il serait absurde, à lui, de chercher à vendre moins au même prix.

Classification des objets pour déterminer leur valeur d'après le temps écoulé entre leur production et leur consommation. Pour étudier comment s'établit la valeur des objets produits en concurrence, nous partagerons ces objets en trois catégories:

1° Les objets consommables au bout d'un temps infiniment grand, c'est-à-dire destinés à être loués et non à être vendus;

2o Les objets destinés à être consommés, qui peuvent se conserver fort longtemps et que le producteur peut vendre quand il veut, au bout d'un temps quelconque ;

(1) M. Cournot, Principes de la théorie des richesses, liv. I, ch. Ir, p. 62, etc.

3o Les objets non susceptibles d'être gardés et que le producteur est contraint de vendre au bout d'un temps très-petit.

De la valeur des objets consommables au bout d'un temps très-grand.— Il existe un grand nombre d'objets qui sont destinés à être loués et non pas à être consommés ; ces objets constituent ce que quelques économistes appellent les capitaux productifs. Leur valeur se trouve fixée par le prix de location qu'on en tire. Nous n'examinerons pas ici quelles sont les circonstances qui influent sur le taux du prêt à intérêt; cette question se trouve être en dehors de notre sujet. Pour le moment, nous n'avons qu'à rappeler comment la valeur d'un capital est déterminée par le taux de l'intérêt auquel il est prêté et par les chances plus ou moins grandes qu'a le prêteur de perdre son capital. Le lecteur trouvera cette question résolue dans nos Considérations mathématiques sur la théorie de l'impôt (1). — Remarquons ici que certains capitaux sont consommables avec leur revenu. Ainsi une maison ne dure pas indéfiniment. Le procédé que nous venons d'indiquer pour trouver la valeur d'un capital sera toujours applicable.

De la valeur des objets consommables au bout d'un temps fini quelconque. Considérons actuellement des objets destinés à être consommés et non à être loués. Nous supposons que le producteur n'est pas obligé de håter la vente par crainte de voir sa marchandise détériorée, qu'il a tout le temps nécessaire pour chercher à tirer de son industrie le plus grand profit possible et qu'on peut renouveler les produits avant qu'ils soient hors de service. Nous admettrons d'abord qu'il n'y a pas de producteurs abandonnant leur industrie pour en prendre une autre.

Il est facile de voir que si les concurrents, à eux tous, ne produisent pas plus que ce que devrait produire un seul pour tirer de son industrie un profit maximum, le prix de vente sera le même qu'en cas de monopole. Le corps a, en effet, intérêt à ce que tout soit vendu, et après des tâtonnements successifs, il arrivera à fixer le prix maximum auquel on peut vendre pour que rien ne soit perdu.

Le plus souvent la masse des fabricants obtiendra des produits en

(1) Voy. Considérations mathématiques sur la théorie de l'impôt. 1864. 1 vol. in-8. Librairie Gauthier-Villars, p. 61.

quantité plus abondante que cette limite. Si les frais de production sont les mêmes pour tous, la concurrence a pour effet de forcer le corps à vendre au même prix qu'un seul individu ayant le monopole. Cela est aisé à comprendre. D'abord la réunion des marchands ne peut avoir intérêt à vendre plus cher que ne devrait vendre un seul individu ayant le monopole. En second lieu, si un individu voulait baisser le prix de vente, et qu'il fût sûr que les autres en fissent autant pour garder leur clientèle, il ferait une mauvaise spéculation, car il vendrait la même quantité à moins cher.

Dans le cas où les frais de production varient d'un producteur à l'autre, les choses ne se passeront plus de même. Il est clair que, dans ce cas, l'individu qui produit au meilleur marché a intérêt à baisser son prix jusqu'au niveau où ce prix descendrait s'il était seul à produire. Ceux de ses concurrents qui n'auront plus un bénéfice suffisant dans cette industrie pour en vivre, ou même qui y perdraient, vu l'élévation de leurs frais de production, abandonneront l'industrie; ceux qui continueront à exercer la même industrie seront obligés de supporter son prix de vente.

Les considérations qui précèdent font voir comment s'établit la valeur des choses en admettant qu'on n'a pas à craindre les mutations de producteurs changeant d'industrie. Elles montrent, dans ce cas, que le prix de vente serait le même que si le producteur, dont les frais de production sont les moindres, avait le monopole; et le corps entier des producteurs aurait un bénéfice total précisément égal au bénéfice qu'aurait ce monopoleur, s'il pouvait tout produire.

La concurrence, nous le voyons, entre les divers producteurs exerçant une même industrie est sans influence sur le bon marché. C'est un point essentiel à constater. Ce qui fait que sous le régime de la concurrence tous les produits se vendent à un prix bien inférieur à ce qu'ils coûteraient sous le régime du monopole, c'est que dans chaque industrie les producteurs doivent craindre, s'ils prennent trop cher, de voir le bénéfice total de leur industrie, qui est indépendant de leur nombre, partagé avec eux par des industriels quittant une autre industrie pour entrer dans celle-là. Ils ont intérêt évidemment à vendre à un taux qui n'est que légèrement supérieur au prix qu'ils redoutent de voir arriver. Ces changements de profession sont très à craindre pour les producteurs d'une industrie mieux rémunérée qu'elle ne devrait l'être; les bras et les

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