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pareille compagnie. Ce n'est pas la bonne volonté qui vous manque pour invoquer au delà du détroit des autorités égales, en faveur de l'émission libre; vous êtes cependant forcé de vous borner au spirituel mais excentrique M. Patterson.

Sir Robert Peel, dites-vous, n'était pas libre-échangiste quand il a proposé le bill de 1844. Soit; mais l'illustre promoteur de la loi des céréales de 1846 l'était-il en 1847, quand il a nettement et fermement maintenu le principe de l'act de la Banque? M. Gladstone, M. Goschen, sont-ils des adversaires de la liberté du travail, quand ils professent les idées que j'essaie de mon côté de mettre en lumière, quand ils les appuient de tout l'éclat de leur éloquence, de toute la vigueur de leur plume? Vous avez conservé, à leur endroit, de Conrart le silence prudent, et vous étiez bien inspiré en agissant d'abord de même au sujet de Cobden. Dans la nouvelle édition de votre gracieuse lettre, vous commettez la grosse imprudence de vouloir expliquer la pensée de ce puissant esprit au sujet de l'émission des billets. Pourquoi passer sous silence l'opinion si nette, si accentuée que Cobden a émise dans l'enquête de 1840, et dont j'ai donné la substance dans la Revue des Deux-Mondes? Puisque vous m'avez lu, vous la connaissiez; elle est accablante pour votre doctrine.-Jamais Cobden ne s'est démenti : il a voté en 1844 et en 1847 comme il avait opiné en 1840; s'il n'a plus élevé la voix dans les derniers temps de sa vie, en ce qui concerne la question des Banques, c'est qu'esprit pratique avant tout, il n'aimait point à remuer les problèmes qu'il regardait comme définitivement résolus. Il n'accordait qu'une médiocre estime aux avantages de la faculté d'émission, c'est parfaitement vrai; il penchait pour le système purement métallique, c'est vrai encore; en quoi cela pourrait-il le rapprocher de vos idées?

Vous espérez vous tirer d'embarras en évoquant de nouveau le souvenir d'une harangue de l'avocat général Séguier, que j'ai fait connaître pour en combattre les doctrines, il y a déjà plus d'un quart de siècle, dans mon cours du Conservatoire des arts et métiers. C'est aimable à vous de me reporter ainsi vers mes souvenirs de jeunesse.

Je n'ai jamais été le partisan des corporations ni des règlements, et, j'ose le dire, je crois avoir gagné autant de chevrons que vous au service de la liberté. La confusion que vous cherchez à établir, ne peut tromper personne à cet égard; le principe de la liberté du travail n'est pour rien dans la question des banques, en ce qui concerne le droit d'émission. Cobden défendait la liberté en s'opposant à ce qu'on pût allonger ou raccourcir à volonté le mètre de la valeur des choses; Rossi prouvait, avec la hauteur habituelle de son intelligence, qu'en donnant une garantie sévère au billet et en limitant l'émission, l'Etat protégeait la liberté de tous contre les appétits de l'intérêt privé; Gladstone et Goschen marchent à la tête du parti libéral en Angleterre, et ils maintien

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nent le principe que vous combattez. Quelque ardeur que vous mettiez à défendre une opinion, que vous a inspirée une illumination soudaine, vous me permettrez d'avoir plus de confiance dans la pensée de Cobden, de Rossi, de Gladstone, de Goschen, et d'être convaincu qu'en suivant la route qu'ils ont ouverte, on ne risque pas de tourner le dos à la liberté du travail, ni à aucune autre liberté.

En examinant le régime du privilége octroyé à des banques d'émission régionales, j'ai dit qu'il méritait à plns juste titre les reproches de monopole, dirigés contre la Banque unique, fondée en vue de garantir la stabilité de la circulation. On se trouve ici en dehors des règles applicables à l'industrie, c'est pourquoi j'ai pris la liberté grande d'avancer que, pour parler correctement, on devrait éviter de se servir de ce gros mot de monopole, employé uniquement comme arme de guerre pour battre en brèche une doctrine conforme à la protection des intérêts généraux de la société. Je ne crois avoir commis aucune énormité en maintenant cette opinion et en distinguant ce qui se distingue par la nature des choses. On peut jouer agréablement sur les mots et faire scintiller l'antithèse en m'imputant cette curieuse sentence : le monopole c'est la liberté. J'ai simplement nié qu'il pût y avoir monopole là où il n'y a pas une industrie qui puisse profiter de la concurrence, là où le public ne saurait obtenir de produits meilleurs ni à meilleur marché, là où l'on demande avant tout une fixité et une régularité parfaites. Qu'y a-t-il de commun entre ce langage et les doctrines vieillies de l'avocat général Séguier? Les évoquer contre celui qui les a toujours combattues, peut être un trait spirituel, ce n'est pas de la discussion sérieuse. Je ne parle point des formes de langage qui font plus de tort à ceux qui les emploient qu'à ceux qu'elles ne sauraient atteindre.

XII

Vous me faites une aussi mauvaise querelle au sujet de la limitation des billets, prescrite par l'act de 1844. Indispensable dans un régime qui maintient plusieurs sources d'émission et qui doit fixer le contingent de chacune d'elles, afin d'empêcher les expansions et les contractions soudaines, d'une mauvaise concurrence, cette disposition légale devient moins nécessaire avec une seule banque d'émission, maîtresse de restreindre la circulation fiduciaire, en se réglant sur les indications du change.

J'ai distingué la portion constante de la portion variable des billets, et j'ai dit que la sécurité de la conversion facultative demeurait entière tant que la réserve métallique restait supérieure à la portion variable: vous me prêtez gratuitement la pensée de poser en règle normale ce qui constitue une garantie en cas de diminution rapide des réserves métalliques. Sous l'influence de l'act de 1844, les réserves métalliques de la

Banque d'Angleterre ont grossi; on y a trouvé un sujet de reproche pour la réforme de sir Robert Peel, on a prétendu qu'elle immobilisait trop de capital métallique; ne vous êtes-vous pas, il y a peu de temps, joint à ces réclamations?

C'est votre programme et non le mien qui ferait réduire la réserve de la Banque de France à 200 millions, et qui, pour me servir de votre élégante expression, tombe à plat des deux côtés du détroit. C'est vous qui avez protesté contre les sages mesures prises pour relever cette réserve, alors qu'elle était plus restreinte encore. Vous cédez sans cesse à votre penchant pour les jeux innocents d'une dialectique complaisante: vous construisez un édifice d'erreurs pour le facile plaisir de le faire crouler. Tout ce que je puis répondre, c'est que je ne suis pour rien dans ces fantaisies.

J'en dirai autant de la prétendue règle que j'aurais posée, en ce qui concerne l'emploi en fonds publics d'une somme égale à la portion constante des billets. Donner une explication, que vous reconnaissez vous-même comme correcte, de la doctrine de l'act de 1844; montrer comment l'emploi en effets publics de la plus grande partie du capital, réuni aux réserves, se concilie avec la condition fondamentale d'un remboursement assuré en espèces, but unique de la loi, ce n'est, en aucune manière, formuler un principe absolu, qui écarterait toute autre garantie, aussi solide et plus promptement réalisable. Vous reproduisez le reflet de votre propre pensée, favorable au système américain, quand vous faites des billets un corrélatif du montant des valeurs d'État déposées par la Banque. Tout en ne proscrivant point l'emploi d'une partie du capital en titres de rente, je me contente de la garantie des bonnes lettres de change, à court terme, à trois signatures, pourvu qu'on n'admette la transformation de ces good bills en billets, faisant office de monnaie, que jusqu'à concurrence de ce que la circulation peut employer sans aucun danger. Vous cherchez en vain ma doctrine, ditesvous: elle est pourtant bien simple: Il faut veiller à ce que l'écart entre la réserve métallique et les billets en circulation ne dépasse point une limite, déterminée par l'expérience. Quant à la représentation exclusive en effets publics du montant de l'émission, c'est le principe américain.

La Banque de France n'a pas tort d'employer son capital en rentes; la sécurité de la circulation peut y gagner, sans qu'il en résulte aucune condition impérative pour limiter la somme des billets. Le contingent de ceux-ci obéit à une autre loi, déterminée par la stabilité de la circulation. Votre arithmétique s'est singulièrement fourvoyée : ceux qui pensent comme moi que la constante de l'émission peut être représentée par des effets publics, n'en concluent point qu'elle doit l'être ainsi, toujours et d'une façon absolue. Encore une fois, vous avez approuvé ce principe en Amérique, mais il n'est pas le mien.

XIII

Le capital des Banques, placé en rentes, immobilise-t-il les ressources dont elles disposent ? J'ai dit que, représenté par une somme de billets dispensés de couverture métallique et admis comme du numéraire, le capital, mobilisé sous cette forme, fonctionne dans les opérations courantes. Votre rigorisme se révolte à cette pensée, après en avoir approuvé l'application aux États-Unis. Vous protestez contre ce dualisme, et vous n'avez pas assez de sarcasmes pour le tourner en ridicule. Il ne s'agit point ici d'une métaphore, mais de la réalité, qui éclate à tous les yeux. Est-il vrai, oui ou non, que les billets, émis en représentation du capital converti en rentes, soient engagés dans les opérations d'escompte? Telle est la question, essentiellement pratique, que j'ai posée. Il vous plaît, à vous qui rêvez une autre extension de la monnaie fiduciaire, de ne pas vous contenter de cette mobilisation limitée du capital des Banques, de cet emploi restreint au contingent stable de la monnaie de papier. Cela n'empêche point que l'acquisition des fonds publics ne contribue dans cette mesure à la création d'un outillage de la circulation dont le commerce fait usage. Quand on se résigne à voir dans les choses ce qu'elles sont, on s'aperçoit aisément qu'il n'y a dans un pareil procédé ni mystère, ni miracle. Que le capital de la Banque serve aux escomptes sous forme de numéraire ou sous forme de billets, créés en échange du placement en rentes, et qui fonctionnent comme du numéraire, le résultat est le même, tant que le chiffre de ces billets se trouve rigoureusement renfermé dans la limite marquée. Ils obtiennent la double garantie de la rente, qui leur sert de support, et des valeurs commerciales escomptées, cela ne vous suffit-il point? Ceux qui ne tolèrent dans le billet qu'un warrant métallique peuvent réclamer, mais vous êtes plus éloigné que moi de leur doctrine.

Cette doctrine, je n'ai point hésité à le dire, s'écarte moins de ce que commande l'intérêt général que le système auquel vous prêtez l'appui de votre zèle. MM. Modeste et Cernuschi ont pu exagérer la rigueur du principe; c'est moins dangereux que de l'enfreindre. J'admets que pour une quotité faible, relativement à l'ensemble de la richesse générale (cette quotité peut être d'environ 500 millions de francs, en France comme en Angleterre), il soit possible d'ajouter une économie réelle à l'avantage qu'offre le billet de banque, sous le rapport de la facilité du transport et de la promptitude des comptes, alors qu'il se borne à représenter la réserve métallique; mais je sacrifierais sans hésiter ce léger bénéfice s'il fallait choisir entre le profit qu'il permet de recueillir et le péril que l'application de ses idées ferait courir à la sécurité des contrats, à la marche régulière du travail, aux intérêts des classes laborieuses et à la sincérité des transactions.

Je n'ai jamais émis au sujet du billet de banque qu'une seule opi

nion: ce billet aspire à fonctionner comme de la monnaie, il en remplit l'office; on le reçoit et on le donne comme de la monnaie, a dit avec raison M. Mollien. La conclusion que j'en tire c'est que la fabrication des billets de banque n'est pas une œuvre d'industrie proprement dite, un acte de commerce ordinaire; l'intérêt général se trouve engagé dans la question, il est donc du devoir de l'État de veiller à ce que cet intérêt ne soit point compromis.

Des lambeaux de phrases, découpés avec art, ne suffisent point pour prouver que j'avance dans une page l'opposé de ce que j'ai dit dans une autre. Ce serait grave, si c'était fondé; heureusement, je crois avoir suffisamment montré qu'il n'en est rien.

Vous essayez d'obscurcir les données les plus simples. On fait acte de commerce quand on échange un billet ou de l'argent contre des marchandises, c'est évident; mais créer des billets qui doivent fonctionner comme de la monnaie, est-ce se livrer à une industrie ordinaire ? Là est toute la question, vous tentez inutilement de l'éluder. Si l'office de la Banque est l'escompte, qu'elle fasse l'escompte avec un capital réel, nous serons d'accord. Il est commode de fournir un simulacre d'argent à qui vous demande de l'argent et le paye: mais promettre et tenir font deux; si la promesse d'exécution immédiate ne répond pas à la réalité présente, le devoir de l'Etat est d'en surveiller l'exécution, quand il s'agit de la marchandise maîtresse, signe et gage des échanges, mesure de la valeur. L'expérience n'a que trop fait connaître à quels désastres on s'expose si on néglige une surveillance indispensable. Prétendre, comme vous le faites, que l'émission des billets est simplement un acte commercial, parce que la lettre de change et le billet à ordre sont des actes commerciaux, c'est trancher la question par la question. Cet argument est de la même force que celui dont vous faites usage pour soutenir qu'on arriverait par un motif analogue à réclamer au nom de l'État la faculté de recevoir les dépôts en compte-courant. En vérité j'admire la hardiesse de vos conceptions; mais celle-ci l'emporte sur toutes les autres. Quant à moi, je déclare humblement que l'assimilation, ainsi faite, dépasse mon entente; je ne comprendrai jamais qu'on mette sur la même ligne le droit de fabriquer la monnaie ou de créer les billets destinés à en remplir le rôle, et le droit de faire du numéraire tel emploi qu'on désire.

La liberté des banques consiste dans la faculté d'agir comme instrument intermédiaire, entre celui qui offre le capital disponible et celui qui le demande; elle ne se confond nullement avec la liberté de l'émission des billets, destinés à fonctionner comme de la monnaie.

XIV

Il ne s'agit point, en ce qui touche la Banque de France, de conseiller l'immobilité; je crois avoir suffisamment indiqué dans l'enquête ce

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