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mangeront leur avoir, d'autres se contenteront de remettre intact à leurs enfants l'héritage qu'ils ont reçu de leurs pères. Dans les familles nombreuses, l'esprit est tout autre que dans les familles où l'on n'a aucune confiance dans l'avenir. Les enfants savent qu'ils auront à se faire une position, ils travaillent, et il en est qui veulent tout devoir à euxmêmes. Pourtant la fortune de leurs parents ne leur est point inutile. Un capital, même petit, des relations établies, un nom considéré, sont d'excellents points d'appui pour le levier du travail. Une nation où de pareilles familles foisonnent progresse avec une rapidité dont d'autres n'ont aucune idée.

Ainsi, quand on compare à la France, soit l'Allemagne, soit l'Angleterre, on se borne à parler des populations qui sont restées dans le pays. Et les centaines de mille ou les millions qui ont fait fortune ailleurs, pourquoi ne les compte-t-on pas ? Ce n'en est pas la partie la moins intelligente, la moins courageuse, la moins énergique, la moins utile à l'humanité et même à leur patrie. Ces émigrants, ces colons sont, ou des familles nombreuses en entier, ou leurs cadets. Ce sont eux qui ont défriché l'Amérique, qui ont peuplé l'Australie, et, ô miracle! ces peuples à essaims croissent et se multiplient plus vite que nous, qui n'envoyons à l'étranger que de rares représentants de notre nationalité. On dit et l'on répète que le Français n'est pas colonisateur. Et pourquoi ne le serait-il pas ? N'a-t-il pas la réputation d'être l'organisateur par excellence, d'avoir, passez-nous l'expression, la bosse de l'administration? Selon nous, le Français ne colonise pas, parce qu'il n'émigre pas, et il n'émigre pas, parce que les familles aisées sont souvent peu nombreuses; qu'on aime mieux vivre tranquille dans la médiocrité que courir des chances. Un tiens vaut mieux que deux tu auras. C'est là la règle, et les exceptions, même nombreuses, qui peuvent exister, n'infirment pas cette proposition, qu'il ne nous manque pas l'aptitude, mais le personnel pour coloniser.

Comment lutter contre la stérilité calculée? C'est en vain que la religion la combat; les lois y peuvent encore moins. Nous n'ignorons pas qu'on a demandé la modification des lois de succession, qu'on a considéré le partage égal comme la cause de la stérilité calculée. Mais ce remède héroïque n'est pas suffisamment indiqué par les faits, puisque dans de vastes parties de la France on ne fait qu'accidentellement usage de la faculté d'avantager un enfant du quart ou du tiers en sus de sa part. Si l'on établissait le droit de tester, il est probable que peu de familles en useraient; le «bourgeois » ferait rarement un « aîné.» Tout ce qu'il y a lieu de demander à la loi, c'est d'enlever des obstacles: obstacle au travail, obstacle au mariage, obstacle à l'instruction, obstacle au libre essor de nos facultés, obstacle à nos légitimes efforts, quel que soit leur but.

Cette tâche réalisée, le législateur peut tenir sa conscience pour satis-
faite, c'est aux mœurs à faire le reste. N'est-ce pas principalement
aux mœurs― mais pas uniquement à elles (1) — qu'il faut attribuer les
différences qu'on rencontre d'un département à l'autre, quant au nom-
bre de membres dont les familles se composent ? La statistique officielle
nous apprend (dénombrement de 1861) que, dans l'ensemble de la
France, sur 100 ménages (domestiques compris), 12.1 sont composés
d'une personne, 10.8 de 2 p., 20 de 3 p., 17.5 de 4 p., 12.5 de 5 p.,
8 de 6 p., 10.1 de plus de 6 personnes. Mais de ces moyennes générales
s'écartent grandement les moyennes partielles des départements, comme
le montrent les deux séries qui suivent:

Départements où les familles nombreuses sont rares.

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Le département de la Seine - Paris - a des proportions qui font
ressortir l'influence de l'immigration le nombre des ménages d'une
personne (célibataire) est de 30 sur 100; ceux de 2 personnes de
27.5 0/0; ceux de 3 personnes, de 18.5 0/0; de 4 personnes, de 11.6
0/0; de 5 personnes, de 6.1 0/0; de 6 personnes, de 3.2 0/0; de plus
de 6 personnes, de 3.1 0/0.

Il nous semble que les tableaux que nous venons de présenter ne sont

(1) Il n'y a pas de cause simple dans la société.

pas sans intérêt; toutefois le problème qui s'y pose devient plus compliqué, si nous les rapprochons de celui que nous allons donner. Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre sur 100 des ménages comptant plus de 6 personnes.

Départements dont la population a diminué dans les 30 dernières années.

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Ce tableau nous apprend, entre autres choses, que, dans plusieurs départements, la diminution provient de l'excédant des décès, et que cet excédant ne vient pas de maladies, etc., mais du petit nombre de naissances. Il nous apprend en outre par la comparaison des deux périodes que le mal s'est aggravé plutôt qu'atténué depuis vingt ans. Il est inutile de dire que les départements qui ont diminué malgré l'excédant de leurs naissances, ont perdu une partie de leur population par l'émigration. Le montant de l'émigration est égal à la diminution de la population ajoutée à l'excédant des naissances. Ainsi le Puy-de-Dôme a vu partir en trente ans 17,748 +44,961 62,709 individus, soit 2,090 par an. L'émigration s'est affaibli dans les dernières années. Quant aux nombres proportionnels placés entre parenthèses (ménages de plus de 6 personnes sur 100), les faibles proportions semblent appartenir aux départements riches et les fortes aux départements relativement pauvres. Toutefois, ce classement n'a que la valeur d'un aperçu sommaire qui devrait être contrôlé par une étude approfondie de la distribution des propriétés et des coutumes relatives aux successions.

Renonçant, pour le moment, à trouver le moyen d'influer sur le nombre des naissances, nous nous demandons si l'on a du moins tout, fait pour enlever les obstacles au mariage. Nous ne sachions pas qu'on ait signalé de sérieux obstacles dans des dispositions du Code; mais personne n'oublie de mentionner ceux qui proviennent de l'organisation militaire. A ce point de vue il faut espérer qu'on trouvera, pour augmenter nos forces défensives, d'autres moyens que l'accroissement de l'armée permanente et la prohibition du mariage pour le premier ban de la réserve (1). Une présence de six à sept ans sous les drapeaux fait ajourner le mariage au moins de huit à neuf ans pour la moitié de nos jeunes gens les plus vigoureux, et un certain nombre d'entre eux prennent des habitudes défavorables au mariage, et se marient tard ou jamais. On a pu démontrer qu'entre la France, l'Angleterre, les PaysBas, la Saxe et la Suède (on peut ajouter la Prusse et le Danemark), notre pays renferme le plus grand nombre de célibataires.

Ce n'est pas tout. Il est facile de montrer que la vie de caserne est d'autant plus nuisible qu'elle est plus prolongée; elle augmente donc la mortalité. Voici le tableau de la mortalité et la morbidité moyenne de l'armée française.

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Ce tableau est extrait de la Statistique médicale de l'armée, et nous avons fait abstraction des soldats qui étaient alors en Algérie, en Italie et hors d'Europe. Si l'on compare à cette mortalité celle des jeunes gens de 21 à 30 ans, civils ou militaires, vigoureux et infirmes, on trouve, d'après les tableaux de Demonferrand, qu'elle n'est que de 5.90 pour 1,000.

Quant aux journées de maladie, leur nombre a été, d'après le rapport officiel, pour les membres participants des sociétés de secours mutuels De 5.20 par ouvriers en 1862 (565,163 membres participants), De 5.29

De 5.20

1863 (597,978

1864 (628,786

et il faut bien en convenir, qu'il est assez de professions fatigantes, malsaines, dangereuses, pour qu'on puisse, à priori, attribuer aux ouvriers un plus grand nombre de journées de maladie qu'aux soldats.

(1) Le projet de loi qu'on vient de soumettre au Corps législatif donne, dans une certaine mesure, satisfaction à ce vou exprimé du projet primitif publié par le Moniteur.

L'état militaire paraît être une profession insalubre dans tous les pays, mais on va voir que son insalubrité s'accroît en proportion de la durée du service actif. Voici, par exemple, ce que nous apprend la Zeitschrift de M. le conseiller intime Engel sur l'armée prussienne (durée du service actif 3 ans):

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Dans l'armée autrichienne, la mortalité a été de 19.08 en 1861 et de 12.44 pour 1,000 en 1863 (durée du service actif 8 ans).

Dans l'armée anglaise (durée du service, minimum 10 ans), la mortalité fut, en 1861, pour les officiers de 15.74 pour 1,000, pour les sousofficiers et soldats de 25.67, et pour l'ensemble, de 19.16 0/0. En 1863, la moyenne a été de 15.86 pour les officiers et de 16.82 pour les sous-officiers et soldats. C'est M. le Dr Farr, inspecteur général, qui donne ces chiffres dans son rapport officiel (Register general office).

Dans les pages qui précèdent, nous nous sommes borné à indiquer les problèmes qu'il faudrait résoudre pour activer l'accroissement de la population. Quant à trouver la solution, ce n'est ni l'affaire d'un seul homme, ni d'un seul jour. Il importe seulement de mettre la question à l'ordre du jour et de l'y maintenir jusqu'à ce qu'un Archimède politique et économique puisse s'écrier de nouveau: Eureka!

MAURICE BLOCK.

HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

L'IDÉE MERCANTILE

AU DÉBUT DU XVIII SIÈCLE.

Si les écrivains monétaires des xive et xve siècles avaient eu à combattre l'aberration qui voulait ravaler la monnaie à une sorte de signe conventionnel, dont le souverain peut faire ce que bon lui semble, qu'il peut modifier à son gré, ouvertement ou clandestinement : c'est pour

(1) Extrait de L'ÉCONOMIE POLITIQUE AVANT LES PHYSIOCRATES (COUronné par l'Institut dans le concours de 1866 sur Boisguillebert). Sous presse, in-8, Guillaumin et Ce.

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