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l'élixir de l'Écossais: le rêve de Boisguillebert sera réalisé; le « fatal argent », le « criminel argent » sera honni, conspué, ignominieusement chassé de la circulation; le pays, pour toute monnaie, n'aura que l'instrument << qui ne coûte rien, » si ce n'est la ruine générale !

C'était un peu dans l'air: nous venons de faire voir pourquoi. Autrement, tout le savoir-faire de Jean Law et tout le succès mérité de ses modestes et sains commencements n'eussent probablement pas réussi à enfiévrer la France entière. Autrement, de la rue Quincampoix la fièvre ne se serait pas trausmise avec une rapidité et une intensité aussi étonnantes à l'Allée des Veuves (le Stock-Exchange de l'époque) de Londres, à La Haye, à Rotterdam, et jusqu'à l'Allemagne, si peu entreprenante et si difficile à remuer, alors comme aujourd'hui. Est-ce qu'en 1852-1856 la vive, trop vive impulsion que des raisons particulières firent donner en France à l'esprit d'entreprise et de spéculation, eût eu un aussi rapide et un aussi fort contre-coup dans l'Europe, si tout un ensemble de circonstances n'y avait pas préparé les esprits, n'avait travaillé les têtes et aiguisé les appétits? Ainsi en fut-il au début du xviie siècle. Le messie était attendu ; il n'avait qu'à se montrer pour être acclamé. Si ce n'eût pas été l'Écossais, c'eût été un Français quelconque; le Système que La Jonchère présentait à Philippe d'Orléans au commencement de la Régence était bien autrement gigantesque que le Système de Law, et infiniment moins sensé que les projets et les œuvres par lesquels celui-ci allait bientôt débuter (1).

Lorsque l'on tient compte de ce milieu, de l'air ambiant, l'on cesse de s'étonner de l'ivraie qui a pu se mêler à la bonne graine dans les vues de Boisguillebert sur la monnaie. On l'admire presque pour la mesure et la réserve qu'il a su garder. Il ne demande guère, avec La Jonchère, que les 600 millions de billets à jeter dans la circulation rapportent à la Compagnie émetteuse 3 0/0 d'agio par an, comme première rémunération du service qu'elle rendra au public en substituant à la monnaie métallique le plus commode papier-monnaie! Moins encore réclame-t-il, avec Jean Law, des amendes, des confiscations et des peines sévères contre les personnes qui oseraient détenir des espèces ou les préférer aux billets! Au fond, Boisguillebert ne va pas même était-ce ignorance de la conception qui venait d'être réalisée avec succès en Angleterre? était-ce de la timidité, de la prudence ?—jusqu'à demander le billet de banque proprement dit, dont les envahissements vont bientôt être si vastes en France et si malheureux. Ainsi que nous

(1) Voyez le curieux travail : Un émule de Law, que M. LÉONCe de LaVERGNE a publié dans le Journal des Économistes, 1863 (1er trimestre, p. 223 à 237).

en avons déjà fait la remarque, c'est par une espèce d'effets de commerce pour ainsi dire impersonnels (au porteur), à l'échéance indéterminée et pouvant obtenir une large et longue circulation, que Boisguillebert entend arriver à pouvoir «donner son congé » à l'argent.....

En combinant son invocation des curieuses pratiques de la foire lyonnaise avec ce qu'il dit des «billets d'un célèbre négociant,» il est impossible de s'y méprendre ce que veut et préconise Boisguillebert, c'est le développement du crédit commercial, développement qui serait facilité par l'extension des virements et des compensations, par l'institution d'une sorte de clearing-house. Ceci, pour se rappeler en passant, n'est aujourd'hui encore qu'un pieux désir, à Paris même. Le lieutenant général de Rouen, que nous étudions, n'a pas de ces puissants instruments de nos récents progrès en matière de crédit une conception bien nette; c'était la faute du temps; il en a la très-vive intuition: c'est son mérite personnel.

J.-E. HORN.

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S'il est une industrie vraiment nationale en Italie, adaptée tout spécialement au climat de ce pays et caractéristique de ses mœurs, en même temps qu'une source considérable de richesse pour les provinces qui s'y adonnent, c'est l'industrie de la paille à chapeaux, dite paille de Florence. C'est en effet une industrie qu'on peut appeler exclusivement florentine plutôt encore qu'italienne, puisqu'elle paraît tirer son origine des mêmes campagnes, voisines de Florence, où elle existe encore, d'où elle ne s'est répandue qu'à une époque relativement récente dans les autres communes de la Toscane, et de là à grand' peine dans quelques districts des Marches, de l'Émilie et de la Vénétie.

De nos jours, cependant, on a tenté de l'introduire en quelques

autres provinces de l'Italie, comme l'ont prouvé les échantillons envoyés à l'Exposition italienne, tenue à Florence en 1861; mais un fait remarquable à constater, c'est qu'en chaque contrée, où cette branche du travail national s'est étendue, le mode du travail et même la nature de la matière première sont restés différents.

Quels qu'aient pu être les résultats de ces divers essais, le chapeau de paille de Florence, connu sous ce nom en Italie, comme autre part, a conservé jusqu'ici son incontestable supériorité sur tous ses rivaux, tant sous le rapport de la perfection du travail que des qualités de la matière première, qui, par une sorte de faveur de la nature, avait paru jusqu'ici ne pouvoir réussir que dans un sol adapté depuis des siècles à sa culture et parmi des populations accoutumées depuis de longues générations au travail tout spécial de sa préparation et de sa mise en

œuvre.

L'espèce de grain, propre à donner la paille à chapeau, appartient à la variété du triticum vulgare, connu en France sous le nom de blé de mars, mais forme une race toute particulière par les qualités qu'une longue culture lui a données. On le sème très-épais dans des sites maigres, arides et pierreux, de manière à obtenir des tiges aussi fines et aussi minces que possible, que l'on cueille avant que l'épi soit arrivé à maturité en arrachant la plante sans la couper.

La Toscane est la vraie patrie de cette culture, dont l'origine remonte au siècle dernier, sinon plus loin encore, lorsque, dans les collines du Malmantile, on commença à semer du blé de mars, à seule fin de pro duire une paille plus fine que celle des autres variétés de froment.

Pour obtenir des tresses fines et uniformes, on prend seulement cette portion de la tige qui, en occupant le milieu, garde dans toute son étendue à peu près son égalité de grosseur. Le pied et la cîme étaient autrefois jetés au fumier comme inutiles, mais depuis quelques années, on a songé à l'employer comme fourrage sec, surtout quand les fourrages verts et les foins viennent à manquer.

Du Malmantile la culture de la paille à chapeau s'est successivement répandue dans d'autres districts de la Toscane, et entre autres dans le Casentino, où les heureux essais tentés par MM. Giuseppe Bocci et Giuseppe Borri ont prouvé quel profit on pouvait tirer, dans cette localité alpestre, d'une industrie qui lui semble naturellement adaptée, et sans avoir à ravir du terrain à d'autres cultures plus importantes.

Mais les pays le plus généralement adonnés à la production de la paille à chapeaux sont encore, comme à l'origine, les parties montueuses du val d'Arno inférieur, situées aux environs de Florence, vers Prato et Pistoie.

La paille à chapeaux, considérée au point de vue purement agricole, n'entre que pour une bien faible part dans la totalité des richesses na

turelles de l'Italie. Ce serait même une culture nuisible plus qu'utile par sa nature stérilisante, si elle ne prenait une importance majeure comme matière première, exclusive, unique et sans rivale, jusqu'à présent, d'une industrie considérable, dont les produits reçoivent surtout leur prix du travail.

En général, la paille de Florence est cultivée par les soins et sous la direction des fabricants eux-mêmes ou de producteurs spéciaux, qui louent à l'année les terrains qu'ils veulent ensemencer. Cette variété du blé de mars, comme toutes les autres, ne pouvait réussir qu'à la condition d'un assolement triennal, qui laisse reposer le sol épuisé en une fois par la production de cette multitude de tiges fines et serrées, qui seules peuvent donner une paille de bonne qualité.

En mars, au plus tard, la paille est recueillie, c'est-à-dire arrachée par poignées, liées par le pied. Alors commence l'opération du blanchissage, assez analogue à celui de nos toiles. Les poignées de paille sont étalées sur le sol, autant que possible sur l'herbe, à la rosée matinale et séchées chaque jour par le soleil. Après quelques semaines de ce traitement, la paille est vendue brute aux fabricants, par cent poignées, à un prix variable, selon la qualité, qui peut aller de 2 à 4 francs le kilogramme. Dans des fabriques pourvues de machines, elle est ensuite préparée, coupée, choisie selon ses divers degrés de finesse ou les diverses nuances de sa couleur. Ce travail de préparation en double à peu près le prix; car elle se vend alors de 4 à 10 francs le kilogramme, et cette matière première, ainsi prête à être livrée aux tresseuses, compte environ pour un tiers ou un quart dans le prix total des produits manufacturés.

II

Il serait impossible de préciser l'époque où l'industrie de la paille prit vie en Toscane; cela seul suffit pour en établir la haute antiquité.

La paille a sans aucun doute été tressée de tous temps; et dans ces époques reculées où les tribus sauvages de la période agricole ou même pastorale s'ingéraient aux premiers essais de l'industrie humaine, elle a dû fournir la matière des premiers tissus, bien longtemps avant l'époque où l'on commença à confectionner les toiles de chanvre ou de lin dont nous retrouvons les fibres plus tenaces dans les terramares d'Italie, comme dans les dépôts lacustres de la Suisse ou les sédiments de nos cavernes.

Si quelques pays, et la Toscane au premier rang, se sont emparés jusqu'ici du monopole des produits en paille d'un travail fini et soigné il n'est presque pas de contrée où ne se confectionnent ces chapeaux plus ou moins grossiers qui protégent presque partout la tête de nos

populations rurales de l'un ou de l'autre sexe, et quelquefois de tous les deux.

Mais d'aussi informes essais, bien que faisant partie du travail humain et donnant lieu à une industrie universellement répandue, sont à l'industrie florentine à peu près comme les poteries confectionnées par les anciens habitants des lacs ou des cavernes ou même encore par nos potiers de village, sont à l'art céramique, qui a fait l'illustration de certaines villes et de certains noms d'Italie, et qui fait encore l'orgueil et la richesse de nos manufactures de Saxe, de Bohême ou de Sèvres. Que dans un grand nombre de contrées, il se tresse grossièrement des pailles communes pour l'usage local, de tels produits ne sauraient être assimilés aux produits florentins, qui emploient une matière première spécialement adaptée à ce travail et donnent lieu chaque année à un commerce qui, pour l'importation seulement, est évalué à plus de 15 millions de francs, sans toutefois ôter des bras à aucune autre industrie, celle-ci ayant l'avantage trop rare d'occuper surtout des mains de femmes.

Ce qu'il faudrait donc seulement, c'est déterminer l'époque où cette production, d'abord toute locale et très-imparfaite encore, a, pour la première fois, donné lieu à des échanges de quelque importance avec l'étranger, ou même avec les autres parties de l'Italie; mais, jusqu'à une époque relativement récente, nous ne pouvons faire sur ce point que des hypothèses, ou tout au plus tirer quelques inductions.

On peut croire que les Gallus du temps de Virgile, en gardant leurs troupeaux sur les collines du Latium ou dans les vallées de la Sicile, occupaient leurs tranquilles loisirs à tresser des chapeaux à leurs Lycoris, tout comme en France, les bergers, non moins poétisés, de notre Provence, et comme le firent aussi, aux jours de la plus grande vogue des chapeaux florentins, les jeunes gens des villages toscans qui voulaient complaire à leur fiancée.

Nous sommes accoutumés, bien à tort, à nous figurer toujours les anciens romains tête nue ou coiffés d'un casque. Il n'est cependant pas douteux que sous l'ardent soleil de l'Italie, les travailleurs des champs, propriétaires, colons ou même esclaves, portaient une coiffure et une coiffure légère, dont la paille a probablement fourni le plus souvent la matière. Nous savons que les jeunes gens d'Athènes, au temps de Socrate, c'est-à-dire à la plus brillante époque de la civilisation grecque, portaient élégamment suspendu à l'épaule un petit chapeau de paille, dont le travail ne devait certainement pas être grossier, mais répondre à leur luxe et à la délicatesse de leur goût pour la parure. Il est à croire que dès lors la Grèce n'avait pas le privilége d'un pareil usage, et l'Italie peut le lui avoir donné aussi bien et plutôt même qu'emprunté. Les voluptueux habitants de Sybaris, de Locres et de Tarente ne se laissaient

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