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sans doute pas håler le teint par le soleil. D'autre part, Mercure, le Mercure latin, dieu des marchands, des navigateurs, et, disait-on, aussi des voleurs, c'est-à-dire, sans aucun doute, un dieu phénicien, peutêtre même étrusque d'origine, se montre presque toujours à nous, surtout dans la tradition non interrompue de l'art toscan, coiffé d'un petit chapeau si léger qu'on le dirait sorti la veille de la main de quelque jeune tresseuse florentine.

Sortant enfin de cette question toujours si ténébreuse des premières origines, nous avons la preuve que dans le xvie siècle l'industrie de la paille s'exerçait activement dans les environs de Florence et y donnait lieu à un certain commerce extérieur.

M. A. Kubly, rapporteur compétent de la Commission nommée par le jury de l'exposition italienne de 1861 pour ce qui concerne l'industrie de la paille, et à l'obligeance duquel nous devons la plus grande partie de nos informations, en a trouvé la preuve dans un vieux document intitulé: Istruzione à dogganieri et paseggieri et loro Obblighi, auquel se réfère le statut de la douane de Florence en date du 15 juillet 1577, où se trouve la disposition suivante : « On ne peut exporter les chapeaux de paille travaillés dans le territoire florentin, qu'en les faisant passer par la douane de Florence, sous peine, etc., etc.

Mais quelles étaient alors l'importance et l'extension de ce commerce, c'est ce qu'il serait impossible de dire, même approximativement. Toutefois, il semble n'être devenu réellement actif que dans la première moitie du xvme siècle, grâce aux progrès que leur fit accomplir un certain Domenico Michelacci, de Bologne, comme l'atteste l'épitaphe qu'on lit sur sa tombe dans l'eglise de Saint-Mathieu, à Signa, localité située dans le val d'Arno inferieur, et où l'on sait par tradition que, dès les temps les plus recules, se sont confectionnes des chapeaux de paille.

Vers 1748, Domenico Michelacci n'introduisit pas, mais perfectionna en ce pays la culture du blé de mars, et, le premier peut-être, réussit à obtenir et à fixer cette race particulière qui produit une paille brillante, souple, tenace, naturellement colorée d'une belle teinte soufree et parfois d'une extraordinaire finesse, qualites qui donnent un prix unique à cette producãon sans égale du soi toscan.

Le succès des premières experiences faites dans les collines de Signa. fit que la nouvelle variete de ble se répandit rapidement aux environs. Elle se cultive aujourd'hui sur une vaste échelle dans tout le val de Fise, le val de Bisenzio, les campagnes de Vernio et beaucoup d'autres collines de la Toscane.

L'apparition da nouveau produit agricole et les perfectionnements accomplis par Donet, do Michelacci dans la manière de le travailler onvrirent à sa Toscane une abondante source de richesses. Des lors, an grand nozère de bras se consacrerent à cette industrie, et, en pea de

temps, les chapeaux de paille de Florence devinrent l'objet d'un vaste commerce d'exportation qui, dans les années de sa plus grande prospérité, envahit un grand nombre de communes de la vallée de l'Arno andessous de Florence et à quelque distance de cette ville.

A partir de ce moment, il devient aisé de suivre l'histoire des vicissitudes de l'industrie de la paille, qui, comme toutes celles qui sont assujetties au caprice de la mode, tomba plus d'une fois presque complétement, durant le cours du dernier siècle, pour ressusciter ensuite et prendre une vie nouvelle plus active.

On conçoit, par exemple, que durant les secousses politiques qui, à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci, agitèrent l'Europe, le commerce étranger ayant cessé presque complétement, la production dut se borner à satisfaire aux besoins intérieurs.

Vers la fin de cette période, les chapeaux de paille de riz inventés par M. Corston, auquel ils valurent une médaille d'or de la Société des Arts de Londres, prirent tellement vogue en Angleterre, qu'ils suspendirent pendant longtemps en ce pays presque toutes les commandes de chapeaux de Florence, menacés d'un complet oubli.

Cependant, en 1810, la mode, dans une de ses évolutions si fréquentes, leur revint tout à coup et, à tel point, que plusieurs ayant confondu le moment de la résurrection de l'industrie de la paille avec celui de sa création, en fixèrent l'origine à cette même époque.

Cette résurrection fut encore due, en grande partie, à l'heureuse initiative d'un homme d'intelligence. Un nommé Giuseppe Carbonaï, de Livourne, comme un siècle auparavant Domenico Michelacci, étant allé s'établir à Signa, ajouta de nouveaux perfectionnements aux progrès antérieurement accomplis. Le premier, il ouvrit le commerce avec la France et l'Allemagne, et accrut ainsi considérablement les débouchés d'une industrie qui, d'abord confinée dans les seules communes de Signa et de Brozzi, dans le val d'Arno, s'étendit bientôt à celles de Sesto, de Campi, de Carmigano et de Prato, c'est-à-dire tout le long des collines qui bordent la route de Florence à Pistoie. Entre 1815 et 1818, l'industrie de la paille dans ces contrées n'occupait pas moins de 40,000 ouvriers des deux sexes, auxquels elle rapportait un salaire variable entre 2 et 3 pauls par jour, c'est-à-dire de 1 fr. 12 a 1 fr. 68 de notre monnaie.

Bientôt le marché anglais se rouvrit aussi aux produits toscans. Leur faveur redevint telle, qu'entre 1818 et 1822, le nombre des ouvriers employés à leur fabrication s'éleva rapidement à 60,000, et que les plus habiles mains atteignirent à un salaire de 4 pauls par jour ou 2 fr. 24. Ce mouvement ascensionnel ne devait pas s'arrêter là. Le chapeau de paille d'Italie, dès lors connu et apprécié sous ce nom dans toute l'Europe, franchit bientôt la mer, et, à son apparition sur les marchés d'Amérique, y fut reçu avec une telle faveur, que les expéditions étaient

aussitot enlevées qu'arrivées. Pour satisfaire aux demandes, il fallut recourir encore à de nouveaux bras; de sorte que l'industrie florentine, alors parvenue à l'apogée de son existence, du moins comme monopole commercial, non-seulement put occuper toutes les femmes des communes d'Empoli, de Fucecchio, de Castelfranco et de beaucoup d'autres villages limitrophes, mais encore dans les anciennes communes de Signa, de Brozzi et de Campi, où l'industrie de la paille était déjà anciennement établie, beaucoup d'hommes attirés par les salaires élevés qu'elle pouvait offrir, non contents de consacrer au travail de la paille leurs moments de loisirs, comme ils le faisaient déjà depuis longtemps, délaissèrent leurs métiers habituels pour en faire leur occupation spéciale. C'est alors qu'on vit l'étrange spectacle d'une population entière, hommes, femmes et enfants des deux sexes, occupée, aux seuils des maisons ou dans les rues, les uns à préparer, couper, choisir la paille, les autres à la tresser ou à la coudre, et des mains d'hercule, des doigts habitués jusque-là à manier la charrue, la hache, le rabot ou la truelle, tresser avec dextérité de fins brins de paille, quelquefois même prendre l'aiguille des couseuses, et se tirer sans maladresse d'un travail sans fatigue devenu plus lucratif qu'aucun autre.

On assure qu'à cette époque le nombre des travailleurs en paille atteignit le chiffre de 80,000, et que les salaires varièrent, selon la capacité et la dextérité des individus, de trois jusqu'à dix pauls par jour, c'està-dire de 1 fr. 68 à 5 fr. 60, chiffre qui, en Toscane, et rapproché du prix des subsistances à cette époque, constituait un revenu surpassant de beaucoup le nécessaire et suffisant même au luxe et à l'épargne.

La surabondance de richesse qu'une telle industrie versa dans le pays est aujourd'hui encore attestée par l'existence d'un grand nombre de riches et belles bourgades qui, vers cette époque, surgirent comme par enchantement au milieu de campagnes jusque-là désertes; tandis que la population de beaucoup d'autres doublait rapidement et que, durant le cours d'une seule génération, des familles de paysans, jusque-là misérables, s'élevaient tout à coup à l'état de bourgeois citadins, bien logés dans une coquette maison, fruit de leur travail et de leur économie.

Jusque-là, pourtant, l'industrie florentine s'était bornée presque exclusivement, du moins quant à ce qui concernait le commerce extérieur, à la production d'un seul article: c'était le chapeau dit fioretto dans le pays, c'est-à-dire le traditionnel chapeau de paille d'Italie, à forme ronde assez élevée, et à larges ailes flottantes et souples, que les paysannes et surtout les fleuristes de Florence portent encore, et qui, adopté un moment par la mode parisienne, s'était ensuite répandu dans les provinces et les campagnes de toute l'Europe. Pendant longtemps encore il fut employé par les modistes de Paris et des autres grandes

villes qui l'adaptèrent à tous les caprices changeants des femmes élégantes. Alors, coupé, recoupé, ployé, transformé, il n'était plus reconnaissable que par la finesse de son tissu et les qualités inimitables de couleur et de régularité qu'il devait à la nature spéciale de la matière première. On vit à cette époque des chapeaux de luxe ou plutôt de caprice, atteindre aux sommes énormes de 200, 300, jusqu'à 500 fr. pièce. On peut dire qu'un exemplaire parfait pour la finesse, la nuance, la beauté sans défaut du tissu était sans prix.

Mais à partir de 1826, moment où le chapeau fioretto atteignit l'apogée de sa faveur, les commandes ne firent plus que décroître, en même temps que les prix s'avilissaient. D'une part, la matière première était devenue surabondante, en raison d'une culture de plus en plus étendue, que l'espoir d'un gain considérable encourageait aux dépens de toutes les autres cultures locales. De l'autre, le nombre des ouvriers adonnés à la mettre en œuvre avait augmenté également, d'abord, grâce à l'appât offert aux populations par des salaires élevés, et bientôt par la seule multiplication normale de ces populations mêmes, au milieu desquelles les jeunes enfants, habitués dès le plus bas âge à ce genre de travail, devenaient, par suite, d'excellents ouvriers en paille; mais, incapables de tout autre labeur, ils se voyaient contraints de travailler à prix réduit et de subir les exigences des fabricants, devenus de plus en plus nombreux, qui devaient chercher à diminuer leurs prix de main-d'œuvre pour soutenir une concurrence de plus en plus active sur les marchés européens. La production devenant ainsi surabondante au moment même où la vogue, abandonnant les produits, diminuait la consommation, il y eut pour l'industrie fiorentine une double cause de décadence et d'avilissement qui la menaçait d'une ruine complète, prochaine et douloureuse pour tout le pays, si elle n'avait réussi à se transformer.

La première de ces transformations fut le changement de forme du chapeau fioretto. Il cessa d'étendre ses grandes ailes qui n'abritaient plus que les épaules de nos petites filles et de quelques paysannes riches, et, sous le nom de capotte, se creusa en ces profonds entonnoirs dont on peut voir encore les rares échantillons aux devantures des magasins de paille de Florence. La capotte en cet état n'était d'aucun usage; mais elle se prêtait mieux et avec moins de perte de tissu, à prendre les formes que les modistes voulaient lui donner à Paris ou à Londres. La vogue de la capotte soutint quelque temps l'industrie florentine. Son moindre prix lui assurait un plus grand nombre de consommateurs. Si ce n'était plus un article de haut luxe comme l'ancien chapeau fioretto, c'était du moins un objet de consommation presque usuelle parmi les femmes de la bourgeoisie.

Puis, à mesure que les chapeaux de femme, fioretto ou capotte, étaient 15 mars 1867.

3e SÉRIE. T. v.

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moins demandés, surtout ceux d'un grand prix, en revanche, les chapeaux d'hommes devenaient un article d'exportation de plus en plus important, surtout sur les marchés américains.

Si le maximum des salaires s'abaissa, ce fut donc moins par la diminution totale du travail que parce que les mains habiles étaient moins nécessaires qu'autrefois, en même temps qu'elles étaient devenues plus nombreuses.

Le premier résultat de cet abaissement du prix de la main-d'œuvre fut peu regrettable. Il eut pour effet de renvoyer à leurs anciens métiers tous les hommes que l'espoir d'un gain supérieur à celui de leur profession ordinaire avait attirés vers le travail de la paille. On ne vit plus, dès lors, de grands et forts ouvriers, agriculteurs ou autres, assis les jambes croisées au seuil de leur maison, occupés à tresser ou coudre la paille de leurs doigts musculeux. Ce travail revint tout entier aux femmes auxquelles il convient si bien. Si quelques hommes ont depuis ce temps continué à prendre leur part des produits de l'industrie florentine, c'est dans l'intérieur des fabriques où ils préparent la paille, apprêtent les chapeaux, leur donnent la forme et la dernière main. L'industrie de la paille avait dépassé ses limites normales; elle ne faisait qu'y rentrer en repoussant tous ses membres parasites et en redevenant, ce qu'elle avait été longtemps, sinon de tout temps, une industrie presque exclusivement féminine.

III

Si l'industrie de la paille avait été menacée d'une ruine presque complète par la chute définitive du chapeau fioretto, cette catastrophe fut bientôt prévenue, ainsi que les conséquences fatales qui pouvaient en résulter pour la richesse du pays, par la fabrication de nouveaux genres de produits que des négociants étrangers, anglais ou français pour la plupart, établis en Toscane, y introduisirent alors avec succès.

Parmi ces bienfaisants initiateurs de l'industrie florentine, il faut placer au premier rang la maison anglaise de MM. Vyse, qui, fixés depuis plus de quarante années à Florence, ont été les intelligents inventeurs de plusieurs nouveaux produits, sans lesquels toute la population que le travail de la paille fait vivre, aurait dû chercher depuis longtemps d'autres ressources.

Parmi ces nouvelles branches de l'industrie de la paille qui ont fleuri récemment, grâce à l'impulsion donnée par MM. Vyse, il faut compter au premier rang cette sorte de travail connu en France sous le nom de pailles cousues, parce que les tours de la tresse, au lieu d'être réunis en spire plane, comme dans le chapeau dit de paille d'Italie, sont légèrement imbriqués les uns sur les autres, de manière à laisser la couture apparente; tandis que dans l'ancien chapeau fioretto ou ca

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