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Des employés salariés par les fabricants, sorte de commis-voyageurs chargés du même rôle dans les campagnes, seraient sans doute préférables, dans l'intérêt des ouvrières; mais les fabricants n'auraient pas, quant à la perfection du travail et au bon marché de la main-d'œuvre, les mêmes garanties qu'avec des fattorini, à la fois responsables et dépendants, dont l'intérêt est, avant tout, de contenter le fabricant qui lui donne ses commandes aux dépens des ouvrières qui les exécutent, c'està-dire d'établir des produits aussi parfaits que possible, en réduisant à leur minimum les frais de production.

Quand les pièces de tresse ou les chapeaux cousus sont réunis dans les fabriques, des hommes en grand nombre et quelques femmes, tous payés à la journée, y donnent aux produits leur dernière forme, c'est-à-dire blanchissent et ploient les pièces de tresse destinées, soit au commerce intérieur, soit à l'exportation, apprêtent les chapeaux déjà cousus sur les formes alors réclamées par les besoins du commerce, ou même cousent et confectionnent tous ces articles de caprice, ces formes de chapeaux nouvelles et compliquées qui changent constamment avec le caprice de la mode et deviennent de jour en jour une branche plus importante de l'industrie de la paille.

Cette instabilité des formes est chose nouvelle dans l'industrie toscane; car durant les siècles précédents et encore dans la première moitié de celui-ci, les chapeaux, tant d'hommes que de femmes, avaient gardé leur simplicité traditionnelle, qui laissait tout à faire à nos modistes ou chapeliers des villes; de sorte que le travail de fabrique, alors presque nul, tend de jour en jour à prendre plus de développement, à mesure que la variété des produits toscans suit de plus près les variations inconstantes de la vogue. C'est au bénéfice de la classe des travailleurs mâles que ce changement s'est opéré; car, tandis que le travail féminin et privé a diminué de quantité et de prix, que les tresseuses et les couseuses ont vu réduire leur journée d'un tiers ou même de moitié, de façon à ne gagner guère que 50 cent. pour la plupart, et 1 fr. pour les plus habiles, au lieu de 1 fr. 75 à 1 fr. 60 qu'elles pouvaient gagner autrefois; au contraire, les apprêteurs ou modeleurs ont vu élever leurs salaires jusqu'à 3 fr., 4 fr., et même plus par jour, et se voient recherchés de plus en plus par les fabricants qui doivent à leur goût et à leur habileté plus ou moins grande, toute l'élégance et tout le succès de leurs produits.

Un autre résultat, qui n'est que la conséquence de ce qui précède, c'est que l'industrie de la paille tend aujourd'hui, comme toutes les autres, à se concentrer de plus en plus dans de grands centres de fabrication, aux dépens du travail privé, exécuté autrefois, presque en totalité, dans les maisons mêmes des ouvriers, et que le salaire à la journée se substitue peu à peu au travail à la pièce.

Le travail, en même temps qu'il devient plus varié, tend aussi à se

spécialiser de plus en plus. Ainsi, certaines maisons sont aujourd'hui presque exclusivement consacrées à la préparation de la paille et à la fabrication ou plutôt à la centralisation de la tresse, seule partie qui ait encore gardé tous ses caractères primitifs, et en quelque sorte traditionnels. D'autres, au contraire, achètent les tresses, comme matières premières, des fabricants qui les ont fait confectionner et apprêter, se bornant à les faire coudre pour confectionner les chapeaux.

Quelques maisons, et même des contrées entières, ont la spécialité de certains produits; les unes ne font que des chapeaux de femmes élégants et soignés en tresses fines; les autres, seulement les chapeaux de femmes les plus communs ou les chapeaux d'hommes.

Ainsi le Casentino tout entier ne produit que les articles les plus grossiers et travaille la paille commune qui, ayant déjà donné sa graine, serait impropre pour des travaux plus soignés. Cependant, ce seul district atteint ainsi à une production annuelle d'un million de chapeaux d'hommes, à bords de 4 à 8 tours seulement et d'une valeur de 20 à 25 fr. le cent, qui sont recherchés, à cause de leur bas prix, par tous les travailleurs des deux Amériques.

Le travail commence en octobre et finit en mai, occupant ainsi toute le saison froide et laissant les bras libres pour le moment des récoltes rurales.

Il serait impossible d'évaluer le nombre des ouvriers qui prennent part à cette industrie; car le travail se poursuit dans toutes les familles de paysans ou de villageois, y occupant toutes les femmes qui, pendant le battage du blé, recueillent la paille qui leur est donnée gratuitement. Il se verse ainsi, dans cette seule province toscane, d'une étendue très-restreinte, plus de 200,000 fr. de salaires qui sont entièrement dus au travail féminin, sans aucun déboursé de matière première, la quantité de paille que cette industrie enlève au fourrage pouvant être considérée comme à peu près nulle.

Des résultats aussi beaux sont cependant dus en grande partie à l'initiative et aux soins actifs d'un seul homme d'intelligence. C'est M. Giuseppe Bocci, du village de Soci qui, non-seulement a ouvert à l'industrie locale les débouchés qui lui manquaient, pour faire, d'un simple travail de loisir sans valeur, qu'elle avait été jusqu'alors en ce pays, une abondante source de richesses, mais encore, qui a essayé, non sans quelque succès, comme nous l'avons vu déjà à propos de la production de la paille, d'y introduire la culture du blé de mars, afin d'étendre le travail local à des produits plus parfaits, sans avoir à acheter autre part la matière première.

Si l'industrie de la paille de Florence n'a plus et ne peut espérer retrouver le prestige dont elle a joui durant la période si extraordinaire de son plus grand développement, c'est-à-dire entre les années 1818 et

1826, et bien qu'elle offre aujourd'hui un travail moins rétribué à ses nombreux ouvriers; cependant elle se maintient et se maintiendra longtemps encore, sans doute, à un état assez florissant pour occuper, non plus comme au siècle passé, seulement quelques communes du val d'Arno inférieur, c'est-à-dire les campagnes de Signa, Brozzi, San-Piero a Ponti et Campi, sur la route de Florence à Livourne; mais presque toute la population féminine et beaucoup d'hommes, dans un cercle dont Florence est à peu près le centre, et qui s'étend au nord jusqu'au delà de Pistoie, à l'occident jusqu'à Santa-Croce, qui, au midi, embrasse l'Impruneta, San-Casciano et autres pays limitrophes, et qui, au levant, s'étend à tout le Casentino. Par son activité, elle répond non-seulement aux besoins d'un commerce intérieur considérable, mais encore à ceux d'un commerce extérieur, évalué, comme nous l'avons déjà vu, à plus de 15 millions de francs, et fournissant du travail à plus de 100,000 trävailleurs des deux sexes et de tout âge, qui se partagent près des deux tiers de cette somme en salaires variables entre 0,35 et 3,50 par jour.

Ces chiffres dépassent de beaucoup ceux qu'elle atteignit aux jours de plus grande vogue du chapeau fioretto, lorsque, bornée à la production de ce seul article, elle n'avait pas la ressource qu'offrent toujours les produits communs, d'un échange infiniment plus rapide et d'une consommation plus courante, plus régulière et plus étendue. Il n'y a en réalité que le maximum des salaires qui se soit abaissé, et sans doute pour toujours, par suite de l'extension même de l'industrie et de la disparition sur les marchés de certains articles d'un haut luxe et d'un prix très-élevé, qui n'ont pu jouir qu'un moment, à leur apparition dans le commerce européen, d'une vogue de caprice qu'on ne pouvait espérer voir se maintenir longtemps.

L'industrie florentine de la paille ne peut encore que gagner à l'unification des diverses provinces italiennes, qui supprime entre elles les frais et les obstacles de douane en accélérant d'autant des transports devenus de moins en moins coûteux. Ainsi les jours ne reviendront plus, il faut le croire, où chaque chapeau florentin, quel qu'en fût le prix, payait un droit de 4 fr. 25 à son entrée dans le royaume de Naples.

Si, d'un autre côté, les essais tentés dans quelques autres provinces d'Italie pour y introduire l'industrie de la paille sont couronnés de succès, comme on peut le croire d'après les résultats déjà obtenus, la production devenue plus active trouvera certainement de nouveaux débouchés, de sorte que, sans avilir considérablement le prix de la main. d'œuvre, la concurrence des divers centres de production ne fera qu'aug menter la perfection des produits avec l'émulation des fabricants.

Le chapeau d'homme est dans les contrées chaudes d'Europe ou d'Amérique, un article de première nécessité. D'autre part le petit chapeau rond a été adopté définitivement par beaucoup de femmes des classes

moyennes ou mêmes inférieures, qui ont trouvé là un moyen d'arriver graduellement à porter ce chapeau fermé auquel elles n'osaient s'élever de prime-saut, parce qu'en vertu des décrets de l'usage, il est resté jusqu'ici le signe de l'aristocratie bourgeoise. Les mille formes variations dont le chapeau rond est susceptible et qui satisfont aussi bien les caprices de l'élégance que les besoins de la simplicité, semblent donc assurer une augmentation constante du nombre des consommateurs aux ouvriers de l'industrie de la paille.

V

Les fabricants florentins peuvent ainsi sans crainte voir s'établir et prospérer leur industrie dans les autres provinces de l'Italie, où les essais tentés dans quelques communes montrent qu'elle peut être introduite avec succès.

On n'en peut douter en voyant les résultats obtenus à Montapone, près de Fermo, dans les anciens États de l'Église, maintenant réunis à l'Italie. Le syndic de cette commune, M. Francesco Antinori, dans une exposition spéciale, en a rassemblé tous les divers produits que des juges compétents ont trouvés aussi remarquables par leur beauté que par leurs prix modérés.

Ni la matière première, ni les méthodes du travail, ni les machines ne different des usages florentins, sauf peut-être la bonté de la paille, qui, à en croire les gens du métier, ne peut arriver nulle part à égaler la paille toscane, quels que soient les soins que l'on consacre à sa culture.

Cependant la distribution du travail est un peu différente à Montapone de ce qu'elle est près de Florence. Si la paille est coupée et choisie par le moyen de machines servies et dirigées par des hommes, comme en Toscane; au lieu de femmes, ce sont des hommes encore qui font les tresses, et comme un temps les hommes de Signa et des pays voisins, ils y réussissent avec une précision et une dextérité merveilleuses. L'adoption d'un tel métier par des hommes ne peut guère provenir que de la stagnation industrielle d'un pays naguère encore soumis à la domination des papes. Nul doute que si dans quelques années la province de Fermo retrouvait d'autres sources d'activité, le travail de la tresse retomberait entre les mains des femmes auxquelles il semble bien mieux convenir. Mais à Montapone, jusqu'à présent, la seule part qu'elles aient prise à la l'industrie de la paille consiste dans la couture des chapeaux, puisque ce sont encore des hommes qui les apprêtent et leur donnent la dernière main à l'aide de machines. Quant aux enfants au-dessus de six ans et aux vieillards, ils aident au labeur commun en se chargeant des soins secondaires.

Toutes ces mains réunies fabriquent chaque année environ 300,000

chapeaux et plus, qui vont en partie s'écouler sur le marché de Trieste, et donnent un produit net de 25,000 écus romains, ou plus de 130,000 fr., répartis entre 1,700 ouvriers des deux sexes, faisant euxmêmes partie d'une population de 1,700 habitants.

Les communes voisines de Massa, Monte-Vidon, Corrado, Fallerone et autres pays limitrophes, formant ensemble une population de 7,500 habitants environ, donnent des résultats analogues bien qu'un peu moindres.

L'industrie de la paille a également été introduite récemment dans une commune de l'Abruzze Ultérieure.

Le Bolonais donne des produits qui égalent ceux du Casentino près de Florence, étant également faits de paille qui a déjà donné son grain. De ce pays, sortent annuellement 7 à 800,000 chapeaux d'une valeur de 20 à 50 fr. le cent, la plus grande partie desquels sont exportés en Amérique et principalement à New-York. Dans les dernières années, la guerre d'Amérique ayant, sinon fermé ce débouché, du moins considérablement réduit les demandes, les fabricants romagnols ont dû chercher à fabriquer des produits d'un échange plus facile à l'intérieur, et se sont appliqués avec succès à la fabrication de la tresse en onze fils, adoptant, comme conséquence, l'usage de tailler la paille en pointe et en pédale.

En Vénétie, quelques communes font également des chapeaux communs, d'une paille ayant donné sa semence, et cette industrie y a pris une certaine importance, plutôt quant à la quantité des produits que quant à leur finesse. On évalue à un million le nombre des chapeaux qui sortent des fabriques vénitiennes et sont également exportés en Amérique, pour la plupart.

Quelques internes de la maison des pauvres de Modène confectionnent aussi des chapeaux de paille. C'est une source de production très-restreinte; mais le Modenais a une autre spécialité de produits qui ont joui pendant quelques années d'une grande vogue. Ce sont les chapeaux dits de trucciolo ou chapeaux de bois dont le saule, réduit en lanières fines, souples et d'une éclatante blancheur, mais de peu de solidité, fournit la matière première. Cette fabrication exclusivement confinée dans la ville et la campagne de Carpi, y fut introduite dès le commencement du xvie siècle par un habitant du pays nommé Niccolo Biondi, que l'on dit en être l'inventeur. Pendant trois cents ans, les lanières de saule s'obtinrent à l'aide du rasoir; mais en 1817, un nommé Giovanni Bellodi, de la Mirandole, inventa une machine ingénieuse avec laquelle il obtint des lanières si fines qu'on a pu, dès ce moment, faire des tresses de 7, 9, 11, 13 et jusqu'à 25 fils pour les articles courants; tandis que dans des articles de luxe on est arrivé à tresser jusqu'à 150 fils, formant des dessins variés au point d'imiter parfaitement une étoffe. Les hommes préparent les lanières; les femmes font les tresses et les réunissent en

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