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DE

L'ASSOCIATION

DANS LA SPHÈRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

II. De l'association

I. Causes du développement de l'Association, à l'époque actuelle.
sous l'ancien régime. III. Réforme de l'ancien régime.

I

CAUSES DU DÉVELOPPEMENT DE L'ASSOCIATION.

L'époque actuelle. -La révolution industrielle qui est en voie d'accomplissement depuis la seconde moitié du siècle dernier a pour résultat non-seulement d'accroître dans des proportions énormes la puissance productive de l'homme, mais encore de modifier profondément l'économie de la production, en étendant les limites et en changeant les formes des entreprises. Sous l'ancien régime industriel, les petites entreprises auxquelles suffisaient les ressources et l'intelligence d'un homme étaient la règle dans la plupart des branches du travail humain, et principalement dans la production matérielle. Quelquefois ces entreprises individuelles fonctionnaient isolément et d'une manière indépendante, mais, le plus souvent, elles étaient groupées en corporations. Celles-ci ne constituaient point, à proprement parler, des associations industrielles ou commerciales, puisque chaque propriétaire de maîtrise faisait ses affaires pour son propre compte, en se soumettant aux règlements de la communauté; elles n'étaient autre chose que des fédérations ou des coalitions locales d'entreprises individuelles, constituées en vue de protéger leurs membres contre l'oppression des forts, et, trop souvent aussi, de leur permettre d'opprimer les faibles. Loin de favoriser l'agrandissement des entreprises par voie d'association ou de fusion, elles l'entravaient de parti pris, afin de maintenir un certain équilibre de forces et d'influences parmi les membres de

la corporation. Des entreprises individuelles, isolées ou confédérées, voilà donc le fait dominant de l'organisation industrielle de l'ancien régime.

Mais les progrès qui transformaient l'outillage de la production devaient nécessairement amener, en dépit de la politique restrictive et jalouse des corporations, l'agrandissement des entreprises. Quand les puissants moteurs mécaniques et les métiers perfectionnés, auxquels ils communiquaient la force d'impulsion, eurent fait invasion dans l'industrie manufacturière, le même capital qui suffisait à l'ancien outillage devint insuffisant pour le nouveau; il fallut construire des ateliers plus vastes et acheter des machines qui absorbaient une quantité plus considérable de capital fixe, tandis que la masse de matières premières qu'elles mettaient en œuvre et le nombreux personnel dont elles exigeaient le concours combiné, absorbaient d'un autre côté une quantité plus forte de capital circulant. Alors, les grands entrepreneurs d'industrie prirent de plus en plus la place des petits, et la dimension moyenne des entreprises ne cessa de s'élever. Que l'on étudie, à ce point de vue, les grands centres de l'industrie manufacturière, en Angleterre et sur le continent, et l'on trouvera que, depuis un siècle, non-seulement le nombre des grandes entreprises s'y est proportionnellement accru, mais encore que les entreprises de moyenne et de petite dimensions absorbent un capital supérieur à celui qui les alimentait autrefois. Cependant, elles ont conservé, à peu de chose près, la même forme: ce sont toujours des entreprises individuelles ou constituées par deux ou trois associés, qui alimentent la manufacture au moyen des capitaux provenant de leur patrimoine ou des épargnes de leurs proches, avec adjonction des ressources supplémentaires du crédit, et qui se partagent la gestion de l'entreprise. Tantôt la direction est une, tantôt elle se divise entre les associés, l'un s'occupant de la partie technique de l'affaire, l'autre de la partie commerciale, de la tenue de la comptabilité, etc.

Mais, si dans l'industrie manufacturière, l'agrandissement provoqué par les progrès de la machinery n'a pas encore déterminé le changement de la forme des entreprises, il en a été autrement dans d'autres branches de la production, telles que celles qui ont pour objet l'extraction du combustible et des métaux, ou bien encore, à un plus haut degré, celles qui pourvoient au transport des hommes et des marchandises, par terre et par eau. La substitution des mo

teurs et des métiers mécaniques à l'outillage du travail à la main dans l'industrie manufacturière, a imprimé, en effet, à ces deux catégories d'industrie un essor spécial : les unes ont été appelées à fournir les matériaux et les aliments du nouvel organisme de la production, colossal ouvrier que l'on façonne avec du fer et que l'on nourrit de houille : c'est ainsi que la production du fer s'est accrue en Angleterre de 17,350 tonnes en 1740, à 4,768,000 tonnes en 1864, et celle de la houille, de 17 millions de tonnes environ en 1830, à 93 millions de tonnes en 1864; les autres ont eu à apporter d'une part à la manufacture agrandie une masse croissante de matières premières, qu'il fallait chercher dans un rayon de plus en plus étendu, d'une autre part à déverser ces matières façonnées sur un marché dont le rayon s'étendait de même. Mais qu'est-il résulté de cela? C'est qu'il a fallu, pour mettre en exploitation la houille, enfoncée dans les profondeurs du sol, où l'accroissement de la demande obligeait d'aller la chercher au lieu de continuer à la puiser seulement dans les veines les plus rapprochées de la surface; pour construire et alimenter les immenses hauts fourneaux auxquels on demandait désormais en une semaine la quantité de fer qui aurait suffi autrefois à la consommation d'une année; pour creuser des canaux, établir et exploiter des lignes de chemin de fer et de bateaux à vapeur, d'un rayon assez étendu et d'un réseau assez serré pour amener à la manufacture la masse de matériaux que réclamaient ses besoins décuplés en puissance, et répercuter ensuite dans un marché de consommation plus vaste et plus disséminé encore que le marché d'approvisionnements, ces matériaux transformés en produits; c'est qu'il a fallu, disons-nous, pour satisfaire à cette demande extraordinaire de progrès, provoquée par le progrès même, recourir à des appareils d'une puissance inusitée, dont l'établissement et la mise en œuvre exigaient la concentration de capitaux énormes. Ici, décidément, les forces et les ressources individuelles ne suffisaient plus. Si un seul entrepreneur pouvait encore en y appliquant son intelligence, ses ressources patrimoniales et son crédit, monter et faire fonctionner une grande manufacture de laine ou de coton, l'exploitation d'un profond gisement houiller, l'établissement d'un chemin de fer ou d'une ligne de bateaux à vapeur, dépasseraient certainement les forces d'un individu et les ressources d'une famille. De deux choses l'une, ou il fallait charger le gouvernement de ces créations de la grande industrie qui excé

daient la partie des entreprises ordinaires, ou les confier à l'Association.

Qu'une pareille tâche ne convînt pas au gouvernement, déjà encombré d'attributions et constitué d'ailleurs d'une manière peu économique, l'expérience ne devait pas tarder à le démontrer, mais, au début de la grande industrie, le gouvernement que l'on confondait encore avec la société et dont on rêvait la reconstruction idéale, se trouvait en grande faveur, tandis qu'un sentiment général de méfiance existait à l'égard de l'association : les uns ne croyaient pas à sa puissance, les autres, au contraire, voyaient dans le développement de cette puissance un danger pour l'État et une source d'oppression pour les masses. Comment ce sentiment de méfiance avait-il pris naissance et en quoi pouvait-il être motivé? C'est ce que nous apprendra un court aperçu du passé de l'Association.

II

DE L'ASSOCIATION SOUS L'ANCIEN RÉGIME.

Comme le remarque M. Troplong dans son Commentaire du contrat de société, les associations constituées dans un but industriel, commercial ou financier, ne sont point une invention moderne. Les chevaliers romains, par exemple, s'associaient soit pour faire le commerce et particulièrement la traite des esclaves, soit pour exploiter des mines, soit encore pour affermer les impôts. Des compagnies affermaient les droits de péages et de douanes, ainsi que la dime des fruits (grains, huiles, vins, etc.) dont étaient frappées certaines provinces. D'autres compagnies affermaient les pâturages appartenant à l'État, d'autres encore les mines d'or, d'argent, de fer, de plomb, en Espagne, en Macédoine et en Afrique, les salines de la Sicile, etc. Toutes, dit M. Troplong, avaient beaucoup d'autorité et de richesse. Les monuments contemporains signalent la compagnie de Bythinie, l'une des plus respectables par le caractère de ceux qui la composaient; la compagnie de Sicile pour les douanes et les pâturages, dont les complaisances pour Verrès donnèrent lieu à plus d'un soupçon; la compagnie de Cilicie, qui prêta plus d'une fois ses messagers à Atticus pour porter à Cicéron, fatigué des ennemis de son gouvernement, les nouvelles de Rome et les consolations de son ami; la compagnie d'Asie, protégée par César et dont les affaires excitèrent dans le sénat de violents orages;

celle d'Espagne, qui avait dans son bail la célèbre mine de Sisapo, précieuse par son minium et dont l'exploitation lui procurait de très-gros profits» (1). Dans les États qui succédèrent à l'empire romain, les premières compagnies, dont l'histoire ait conservé la trace, se formèrent de même pour l'affermage des impôts, mode de perception qui demeura généralement usité, comme on sait, jusqu'à la révolution française. En Italie, des compagnies se constituèrent pour faire la banque, et l'une de ces compagnies, celle de la banque de Saint-Georges à Gênes, eut même pendant quelque temps, en ferme, le gouvernement de la Crimée.

Mais c'est surtout à dater de la découverte de l'Amérique et de la nouvelle route de l'Inde, que l'on vit les compagnies se multiplier et acquérir une importance considérable. Dans la plupart des pays de l'Europe occidentale, on leur accorda le privilége exclusif de l'exploitation des contrées transocéaniques; quelques-uns se bornèrent à y faire le commerce; d'autres y fondèrent des colonies, ou bien encore conquirent des États, en demandant désormais à « l'industrie du gouvernement » les dividendes qu'elles demandaient auparavant au commerce. Telle fut, en première ligne, la célèbre «compagnie des marchands de Londres faisant le trafic des Indes occidentales, >> qui, fondée en 1600 au modeste capital de 80,000 liv. st., devait ajouter un vaste empire aux possessions britanniques. Ces associations de l'ancien régime se constituaient sous la forme et dans les dimensions qui leur paraissaient le mieux appropriées au but qu'elles voulaient atteindre, et l'on retrouve même dans leur constitution des dispositions dont le libéralisme surprendrait fort les conservateurs d'aujourd'hui: c'est ainsi que, dans les assemblées de la compagnie des Indes orientales anglaises, les propriétaires d'actions étaient appelés à délibérer et à voter, sans distinction de sexe et de nationalité. Malheureusement, au lieu de se borner à spécifier les conditions utiles ressortant de sa nature même auxquelles l'association pouvait être admise à invoquer l'appui de la puissance publique, les gouvernements la soumirent à une réglementation étroite et méticuleuse qui entravait, sans nécessité, sa liberté d'action et d'expansion. Deux catégories générales d'associations furent établies en France; l'une, comprenant les sociétés en nom collectif et la société en commandite, fut régie par l'ordonnance de 1673,

(1) Troplong, Commentaire du contrat de société, préface, p. 25.

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