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pas aujourd'hui encore, après dix-huit ans que dure l'infiltration de l'o californien et australien, bien des économistes qui se demandent s'il a eu, s'il y a baisse quelconque de l'or; si la hausse incontestabl qu'ont éprouvée certains articles ne s'explique pas plutôt par des cause accidentelles qui leur sont particulières, telles que le rétrécissement d la production chez les uns, le rapide développement de la consomma tion chez les autres? Nous n'examinons pas la question dans ce mo ment; elle est traitée de main de maître dans le livre que nous venon de nommer, et, pour notre part, nous croyons avec M. Chevalier, qu' y a eu baisse sur l'or et que cette baisse avec le temps s'accroîtra d plus en plus. Ce débat et le doute qu'il présuppose prouvent toujour que, même les grandes inondations de métal précieux, ne produisen guère, par rapport à ce métal, l'effet dépréciateur, patent et indéniable que leur suppose la thèse de M. Cernuschi. D'autant moins cet effet s produira-t-il à la suite d'un accroissement modéré, graduel, de la masse monétaire.

Et l'absence d'effet dans ce dernier cas, sa faiblesse dans l'autre. s'expliquent assez naturellement. Au fond, ce n'est pas la quantité absolue de l'offre ou de la demande qui influence la valeur d'échange d'un objet quelconque; c'est le rapport entre l'offre et la demande. Certes. lorsque l'offre augmente en face d'une demande stationnaire, le prix baissera immanquablement; mais que simultanément et par n'importe quelle cause, ou peut-être par suite même de l'augmentation dan l'offre, la demande vienne à s'élever dans une proportion égale ou presqu égale, il n'y aura pas dépréciation. Un pas de plus, que simultanémen et peut-être par suite même de l'accroissement dans l'offre, la demand s'élève dans une proportion plus forte encore que l'offre, le prix haus sera au lieu de baisser.

Tout cela arrive à l'endroit d'objets dont la consommation est très extensible. Que la France, dans une bonne année, récolte 120 million d'hectolitres de froment au lieu de 100 millions qui suffisent à ses be soins, la consommation, puisque tout le monde dans les années ordi naires mange déjà du pain selon sa faim, ne pourra guère s'accroîtr dans une proportion correspondante; le rapport entre l'offre et I demande sera donc modifié au préjudice de la première : le blé bais sera de prix. Mais que le développement de la culture houblonnièr dans une contrée qui jusque-là ne connaissait que l'usage du vin y pro page l'usage de la bière, il pourra arriver qu'une production décuplé en bière reste au-dessous de la demande ; cette production accrue aur elle-même vingtuplé la consommation. On transporte aujourd'hui ave facilité, entre Paris et Versailles, cent fois autant de voyageurs dans un après-midi que l'on en transportait avant l'invention des chemins d fer; pourtant, lorsque jouent les «grandes eaux, voyez voyageurs

voyageuses se presser, se bousculer, batailler aux gares pour conquérir une place dans les wagons: ils n'y réussissent pas toujours. C'est que, grâce même aux facilités et attraits de locomotion dus aux chemins de fer, la demande a plus que centuplé.

Eh bien! ce développement presque égal, positivement égal, ou même supérieur, de la demande par suite justement de l'augmentation de l'offre, ne se produit peut-être nulle part aussi naturellement et aussi immanquablement qu'à l'endroit de la monnaie métallique; l'offre appelle la demande, la stimule, la développe, et souvent la fait augmenter dans une proportion supérieure à celle de son propre accroissement. L'accroissement dans la quantité d'instruments d'échange et de circulation, par les facilités nouvelles qu'il donne aux transactions et par l'impulsion qu'il imprime aux progrès de l'aisance, devient la cause d'un accroissement proportionnel ou même plus fort dans le besoin, dans la demande d'instruments de circulation. Grâce au développement des transactions à l'intérieur du pays et avec le dehors, la quantité d'espèces demandée est aujourd'hui beaucoup plus grande qu'il y a vingt ans ; des centaines de milliers de campagnards pour qui la monnaie, avant 1848,était une rareté, la manient aujourd'hui couramment ; les bourses des citadins, grâce aux progrès de l'aisance, du luxe, et aussi à la substitution de l'or à l'argent, sont mieux garnies. Tout ceci fait que le besoin d'espèces s'est accru, et en grande partie par l'affluence même de l'or, dans une proportion peut-être aussi forte, peutêtre même plus forte que l'offre de l'or. Et, n'était le développement simultané des combinaisons (chèques, comptes-courants, clearing, billets de banque, etc.) qui tendent à économiser l'emploi de la monnaie, nous verrions peut-être à la suite et par suite même du fort accroissement du stock monétaire, la monnaie hausser de valeur, grâce à un accroissement plus fort encore survenu dans la demande.

L'accroissement du stock monétaire ne fait donc pas le moindre tort à la société, ni en particulier aux possesseurs de l'or préexistant, pas plus que les chemins de fer n'ont diminué la valeur des diligences et des voitures, que les locomotives n'ont amoindri la valeur du cheval; au contraire. Il en résulte que, l'assimilation entre l'or et le billet fût-elle exacte, le prétendu dol dont on accuse le billet n'existerait pas encore : le billet, fût-il de la monnaie, ne saurait guère amoindrir la valeur de la monnaie préexistante, par la raison déjà que l'or lui-même ne saurait avoir cet effet. Mais l'assimilation ne tient guère: le billet n'est pas de la monnaie; le billet ne saurait être de l'or «supposé, puisqu'il ne prétend guère être de l'or, ni de l'or vrai, ni de l'or faux. Le billet est un instrument de transmission; il ne peut fonctionner qu'autant qu'il y a des valeurs transmissibles et dans la mesure où la confiance publique veut lui confier la transmission.

J'ai développé ailleurs et longuement cette conception du billet (Voy. La liberté des Banques, Paris, 1866, Guillaumin et C), à mon sentiment, la seule conforme à l'origine et à la nature de cet instrument de crédit; que l'on me permette de la rappeler brièvement. Le billet ne crée pas la moindre parcelle de capital, partant il n'en peut donner ni prêter; mais il «fait livrer» du capital: voilà tout ce qu'il opère, et c'est immense. Dans la fabrique de A se trouvent accumulées pour 100,000 francs de soieries que B, marchand de modes, ne demanderait pas mieux que de débiter; l'argent lui manque pour les payer à A, et ce dernier ne veut ou ne peut pas les livrer à crédit. B s'adresse à la banque, à qui il demande 100,000 francs comme avance ou par la voie de l'escompte. La banque possède en caisse 100,000 francs d'espèces que C lui a remis en dépôt elle les prête à B, qui les porte à A. Mais, tout aussi bien la banque peut-elle dispenser B et A de cet onéreux déplacement d'espèces; elle pourvoit tout simplement B d'une lettre d'avis disant à tout preneur :« Veuillez délivrer à B les 100,000 francs de marchandises qu'il vous demandera; la contre-valeur métallique est à votre disposition; vous la toucherez à ma caisse quand vous voudrez. » Voilà le billet de banque. Si l'établissement émetteur jouit d'un bon crédit, son avis sera respecté partout: on délivrera à B les 100,000 fr. de marchandises, desquelles la banque déclare répondre. Si sa solvabilité est plus ou moins douteuse, on cherchera à se couvrir par une prime de risques contre les chances de perte: on ne donnera que 90,000 fr. de marchandises contre les 100,000 fr. d'argent qu'elle promet de payer. Si la renommée de la banque est mauvaise, on repoussera son invitation; B ne pourra rien se faire livrer, ou il se fera livrer 50 seulement sur les 100 que la banque prétend lui faire livrer.

Il s'agit toujours, bien entendu, de titres que tout le monde est libre d'accepter ou de refuser, et que le signataire est toujours obligé d'honorer; ce qui s'en écarte (papier-monnaie ou billet remboursable avec cours forcé) n'est plus du domaine de la science (économique); c'est de l'art peut-être, triste art en tout cas. Tant que la liberté et la justice président seules à l'émission et au fonctionnement du billet de banque, le billet ne vise et n'aboutit au fond à autre chose qu'à faire arriver tous les biens (produits, services, jouissances) plus facilement et plus sûrement à leur destination, qu'à faire livrer par A le bien qu'il désire aliéner, à B qui désire l'acquérir. Si A, de son côté, se « fait livrer» par G, celui-ci par D, et ainsi de suite, en échange du billet, les marchandises qu'il convoite, c'est que Cet D et leurs suivants partagent la confiance que l'on peut à première réquisition obtenir à la banque la contre-valeur métallique qu'énonce et promet le billet. Dans tout cela, où voyez-vous l'ombre d'un accroissement de capital, d'une création de capital fictif ou réel?

Il n'y a toujours qu'une facilité plus grande donnée à la circulation de biens préexistants et fort positifs.

Mais le montant des billets en circulation dépasse le montant des espèces détenues à la Banque !» Oui. Et puis? Si la Banque en était encore, comme à ses débuts, à délivrer simplement des récépissés pour les dépôts reçus, et que, contre 100 millions de dépôts, elle émît 200 millions de récépissés, il y aurait dol, fraude, argent fictif et toutes les horreurs qui vous plaisent. Mais le billet de banque n'énonce et n'annonce aucun dépôt; il ne certifie aucun encaisse ; il engage seulement la Banque à livrer à présentation, en espèces, la contre-valeur des biens. de toute nature (produits, services, jouissances) que le porteur a livrés contre le billet. Le tout est donc de savoir si la Banque est réellement en mesure de répondre aux engagements qu'elle a contractés. Si l'expérience lui a appris qu'à telle époque de l'année il suffit de tenir disponible la moitié, à telle autre époque le tiers, à telle autre le quart des sommes promises, elle sera parfaitement dans la légalité, dans la vérité et à l'abri de toute surprise, en conformant sa conduite aux résultats de ces observations; le public acceptera les billets comme or s'il sait que la Banque manœuvre de façon à tenir toujours son encaisse au niveau des demandes de remboursement non possibles mais probables; il hésitera s'il a des doutes; il les repoussera s'il a plus que des doutes: de la même manière et par les mêmes raisons que l'on accepte avec empressement, avec hésitation ou avec répugnance la lettre de change. de n'importe quel individu ou établissement.

Je cherche en vain la moindre prise à la tromperie dans les procédés d'un établissement qui chaque semaine, par la publication de son bilan, vient dire au public: «Vous le voyez, je suis engagé envers vous pour 100 millions à payer à vue en espèces, et je n'ai que 40 millions en caisse.» Pourquoi la Banque ne craint-elle pas de faire cet aveu au public? pourquoi le public ne voit-il ni dol, ni fraude dans le fait avoué? pourquoi les créanciers de la Banque ne courent-ils pas, à cause de son insolvence» avouée, se faire rembourser les billets? Parce qu'il n'y a dans tout cela ni dol, ni superfétation, ni fictivité! Dès que la Banque, suivant les raisons et les circonstances, maintient toujours, non le rapport arithmétique, mais la juste proportionnalité entre ses engagements et leur couverture métallique, elle n'a rien à se reprocher et le public n'a rien à redouter la Banque sera en mesure de payer les billets qui se présenteront au remboursement, et c'est tout ce à quoi elle est tenue, puisque jamais elle n'annonce ni ne promet plus. Et avec l'émission graduelle, modérée, rationnelle, telle que cet état de choses l'impose, le billet ne sera jamais qu'un instrument de livraison; il n'empiètera point sur l'or et n'en produira point la baisse, à supposer - ce qui n'est 3 SERIE. T. V. — 15 janvier 1867.

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pas que de l'or effectif, s'introduisant dans les mêmes conditions, pût avoir ces effets, gratuitement attribués à l'or « supposé ».

Nous ne le méconnaissons pas ce fanatisme de la vérité et de la simplicité à tout prix qu'affecte la thèse de «l'or supposé» a quelque chose de touchant; nous demanderons seulement à ces rigoristes d'être conséquents. Pourquoi, dans la vaillante bataille livrée au dol, à la fraude, s'arrêter à la banque d'émission? pourquoi tolérer la banque des dépôts? Elle n'est pas moins fautive; elle prête à C et D l'argent qu'elle doit à A et B, et si tous ses déposants s'avisaient de redemander à la même heure tout leur argent, elle ne saurait faire face aux réclamations. Pourquoi ne pas raffermir le crédit en général qui, de tant de façons, seconde les entreprises aventureuses et les spéculations ruineuses, et nous ramener aux échanges de la main à la main ? Pourquoi ne pas supprimer le commerce qui pullule de supercheries, de fraudes, pour nous rendre l'âge d'or du troc? Ce serait «entier» et ne manquerait pas de piquant.

Quel malheur qu'il y ait à toutes ces belles réformes un petit mais sérieux inconvénient: elles sont impraticables, à moins que la société, après avoir courageusement marché en avant et de conquêtes en conquêtes durant des siècles, ne se mette aujourd'hui, poltronne, à reculer et à abandonner les postes conquis, parce que leur garde demande quelque vigilance ! Nous n'exagérons pas, nous, la portée du billet de banque; nous ne faisons pas, avec M. Wolowski, de l'émission fiduciaire une mission, l'accomplissement d'un devoir social; nous n'assimilons pas, avec M. Cernuschi, le billet à l'or, ni à l'or vrai, ni à l'or faux; nous ne voyons, nous, dans le billet qu'un excellent instrument de plus pour faciliter les échanges entre les hommes, pour faire arriver tous les produits le plus promptement possible à leur destination. Dans ce sens -et c'est le seul que raisonnablement l'on puisse attribuer au billetson avénement marque l'une des plus considérables étapes dans l'histoire des échanges; n'est-ce pas dire presque dans l'histoire de la civilisation humaine ?

Faire circuler, empêcher toute stagnation improductive et diriger tout capital là où l'attend une utilisation, telle est au fond la grande mission de la Banque. Par ses opérations ordinaires, la Banque ne mobilise que le capital-argent qu'elle prend des mains où il repose pour le transférer aux mains qui le feront travailler; par l'émission fiduciaire, la Banque mobilise du capital-marchandises, n'importe où il se trouve, qu'elle transporte du détenteur qui déşire s'en défaire à l'acquéreur qui brûle de l'avoir. N'y a-t-il pas là une énorme facilité de plus donnée au mouvement économique ? Et vous voulez nous faire renoncer à ce précieux avantage, parce qu'une banque imprudente ou impudente pourra parfois lancer plus d'invitations à livrer qu'il n'y a de marchandises livra

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