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naires récupèrent aucune partie de leurs fonds, le capital-actions assurant le capital-obligations.

Quand on constitue le capital d'une entreprise, il faut donc offrir, d'une part, des titres donnant droit à un dividende, de l'autre, des titres donnant droit à un intérêt, pour rencontrer la plus grande demande possible. Toutefois, c'est la nature de l'entreprise qui détermine la proportion à établir entre ces deux espèces de titres, c'est-à-dire la quantité de capital qu'il convient de demander sous forme d'actions et celle qu'il convient de demander sous forme d'obligations. Si les risques qui grèvent l'entreprise sont élevés, le capital-actions nécessaire pour assurer le capital-obligations sera considérable; si les risques sont faibles, la plus grande partie du capital pourra être, sans inconvénient, émise sous forme d'obligations. La tendance actuelle des hommes d'affaires est d'accroître le capital-obligations, c'est-à-dire le capital assuré en restreignant le capital assureur. Cette tendance trouve son explication dans le fait que les dividendes sont d'autant plus élevés qu'ils se répartissent sur un capital moindre. Mais si, dans les bonnes années, les entreprises constituées avec un faible capital-actions procurent des résultats brillants, en revanche, dans les mauvaises années, la situation des actionnaires s'en trouve aggravée. Comme l'intérêt du capital-obligations doit être servi d'abord, intégralement, les actionnaires recevront une rétribution d'autant moindre que ce capital auxiliaire à salarier sera plus considérable. Peut-être même faudra-t-il entamer le capital-actions pour salarier les obligations. Enfin, si plusieurs mauvaises années se succèdent, le capital-actions, grevé d'un fardeau trop lourd d'intérêts à servir, succombera sous le faix, et il laissera les obligations sans garantie, en présence d'une liquidation désastreuse. La catastrophe sera encore hâtée si, par une autre pratique vicieuse que l'insuffisance de la publicité dans le gouvernement des compagnies n'a rendue que trop fréquente, on masque la situation, en prenant sur le capital non-seulement les intérêts dus aux porteurs d'obligations, mais encore des dividendes fictifs que l'on distribue aux actionnaires. Il importe donc que le capital assuré ne soit jamais en disproportion avec le capital assureur.-Autre observation. Ces deux sortes de capitaux ne peuvent, en vertu des différences qui les caractérisent, recevoir la même destination. En sa qualité d'assureur, grevé de tous les risques de l'entreprise, le capital-actions ne doit point participer aux opérations

qui engendrent ces risques. S'il s'agit d'une entreprise dont la nature est essentiellement aléatoire, d'une banque par exemple, la règle adoptée, règle parfaitement rationnelle, est de placer le capital-actions hors de l'entreprise, d'une manière aussi sûre que possible. S'il s'agit d'une exploitation exigeant une forte proportion de capital fixe, toujours moins exposé que le capital circulant, d'un chemin de fer par exemple, il convient d'employer le capital-actions à l'achat des terrains, à l'établissement de la voie, des rails, à la construction du bâtiment, etc. Ainsi investi en valeurs immobilières, le capital-actions fournit au capital-obligations, appliqué au matériel et au roulement, une garantie participant de la sécurité de l'hypothèque.

Le capital d'une entreprise doit être appelé à mesure que le besoin s'en fait sentir, les actions d'abord, les obligations ensuite. Le montant des actions peut être demandé en totalité ou en partie, d'une manière immédiate ou successive. Lorsque le montant total d'une action est versé, on la qualifie de libérée, et elle peut alors devenir impersonnelle, c'est-à-dire passer à l'état d'action au porteur, en acquérant ainsi, au maximum, la faculté de s'échanger ou de se mobiliser; elle peut, disons-nous, devenir impersonnelle puisque la responsabilité de l'actionnaire est limitée au montant de son engagement. Il en est autrement lorsque l'action n'est versée qu'en partie. Dans ce cas, il importe que le souscripteur ou le porteur de l'action soit effectivement capable de fournir le restant; d'où résulte la nécessité non-seulement de maintenir l'action sous la forme nominative, mais encore de veiller à ce qu'elle ne tombe point entre des mains incapables de remplir le restant d'engagement dont elle est grevée. Il faut signaler ici une pratique qui tend à se généraliser, et qui, tout en facilitant la constitution du capital des entreprises, présente des dangers sérieux : on n'appelle que la moindre partie possible du montant des actions; en d'autres termes, on confie aux actionnaires eux-mêmes la plus grande partie du capital de garantie, sous la forme de dépôts sans intérêt, mais exigibles à toute réquisition. Si les affaires vont bien, si les risques que le capital assureur sert à couvrir ne se réalisent point, les dividendes s'élèveront d'autant plus que le capital versé sera moindre; mais si les affaires vont mal, et s'il devient nécessaire d'appeler une nouvelle portion du capital de garantie ou même d'en appeler la totalité, qu'arrivera-t-il ? Les actionnaires débiteurs de cette por

tion de capital seront-ils toujours en état de la fournir ? On prend, à la vérité, des précautions en vue de cette éventualité; on n'accepte que les souscriptions provenant de personnes dignes de confiance; l'administration de la compagnie surveille ensuite les mutations des actions non libérées, en se réservant d'y apposer son veto, lorsque les nouveaux actionnaires débiteurs ne lui paraissent pas mériter crédit; mais ces précautions demeurent trop souvent insuffisantes, et ce système, en encourageant la multiplication d'entreprises sans bases solides, comme aussi en induisant le public capitaliste en tentation de porter ses engagements au delà de ses ressources, ne peut manquer d'aboutir à des crises désastreuses.

Enfin, le mode d'émission du capital étant réglé, il reste à rechercher en quels lieux ce capital pourra être obtenu avec le plus de facilité et d'avantage. S'il s'agit d'une entreprise à fonder dans une contrée où les ressources naturelles abondent, mais où les capitaux sont rares, on ne se bornera pas à le demander sur le marché national, on le demandera encore et surtout à l'étranger, c'est-à-dire dans les pays où les ressources naturelles accessibles à l'exploitation sont relativement rares et les capitaux abondants. Les sociétés par actions, en contribuant ainsi à internationaliser le marché des capitaux, amènent un certain nivellement dans leur rémunération. Le taux de l'intérêt s'abaisse dans les pays d'importation, tandis qu'il se relève dans les pays de provenance. Sans doute, ce double phénomène peut endommager, d'une manière momentanée, certains intérêts locaux : c'est pourquoi on entend, d'un côté, la classe capitaliste dénoncer l'invasion des capitaux étrangers, pendant que, d'un autre côté, la classe des entrepreneurs se plaint du drainage du capital national. Mais ces plaintes accusent, des deux parts, des vues également courtes et égoïstes. Dans les pays d'importation, de nouvelles entreprises se créent grâce à «l'invasion » des capitaux étrangers, et celles-ci ne manquent pas d'en engendrer d'autres. Un chemin de fer, par exemple, encourage la création d'ateliers de construction ou de réparation des machines, ou bien encore, en étendant le débouché des produits que la difficulté des transports retenait dans un rayon borné, il en développe l'exploitation; la demande des capitaux s'augmente en conséquence, et les capitaux indigènes trouvent sur le marché national agrandi par la concurrence, une place qui dépasse les limites qu'avait ce marché lorsqu'ils l'exploitaient seuls; par là même aussi ils obtiennent à la

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longue sous le régime de la concurrence une rétribution supérieure à celle qu'ils obtenaient sous le régime du monopole. On objecte, à la vérité, que les profits réalisés par le capital étranger vont à l'étranger, et que le pays se trouve appauvri d'autant. Mais le sophisme contenu dans cette objection ne s'aperçoit-il pas aisément? Si les capitaux étrangers n'étaient point intervenus, les entreprises auxquelles ils ont apporté les éléments d'existence n'auraient point été créées, et les produits ou les services auxquels ces entreprises donnent naissance n'auraient point vu le jour; or, si une partie des résultats de la production va à l'étranger sous forme de dividendes ou d'intérêts, une autre partie ne demeure-t-elle pas dans le pays sous forme de salaires et autres rétributions, sous forme encore d'économies et d'avantages procurés aux consommateurs? Supposons un chemin de fer dont tout le capital soit fourni par l'étranger, une partie du revenu de ce chemin n'est-il pas employé sur les lieux mêmes à rémunérer le personnel et à maintenir en état le matériel de l'exploitation? En outre, l'économie et les facilités qui résultent du bon marché et de la rapidité des communications, et qui suscitent une plus-value de tous les produits et de tous les éléments de production placés dans la sphère d'activité de l'entreprise, ne contribuent-elles pas à l'enrichissement du pays? - Les plaintes qui s'exhalent dans les pays d'exportation sont-elles plus dignes d'être écoutées? Ici, ce sont les emprunteurs de capitaux, industriels et autres, qui gémissent d'être obligés de payer plus cher l'un des éléments indispensables de la production. Mais que résulte-t-il de cet enchérissement? Évidemment que la création des capitaux se trouve encouragée; que la population ayant acquis un débouché plus étendu, partant une rémunération plus élevée et plus constante pour les résultats de son labeur transformés en capitaux par voie d'épargne, est excitée à devenir plus laborieuse et plus économe; que les habitudes d'activité et d'économie se propageant grâce à la prime que leur alloue l'exhaussement du taux de l'intérêt, la production des capitaux se développe avec plus de rapidité. Les entrepreneurs d'industrie profitent, à leur tour, des avantages de cette situation nouvelle; sans parler même de l'avantage que leur procure l'agrandissement du marché des capitaux, en leur permettant d'aller, eux aussi, s'approvisionner au dehors, ils peuvent s'en pourvoir avec plus de facilité et de régularité au dedans, ce qui équivaut à une diminution du prix qu'ils en payent.

Cette analyse, du reste fort incomplète, de l'œuvre de la constitution du capital d'une société industrielle ou commerciale, atteste combien est importante la fonction de l'intermédiaire, et quel assemblage de facultés, de connaissances et de ressources spéciales elle exige. Comment est-elle rétribuée ? Tantôt on affecte à la constitution du capital une commission plus ou moins élevée, selon la situation du marché des intermédiaires, tantôt on n'en affecte au. cune, et le service de l'intermédiaire demeure, en apparence, gratuit. Mais, comme il arrive toujours en pareille occasion, le service prétendu gratuit revient plus cher que le service ouvertement rétribué. L'intermédiaire s'efforce d'obtenir la rémunération des peines qu'il s'est données, de la responsabilité qu'il a assumée visà-vis de sa clientèle et des frais qu'il a dû faire pour récolter la multitude des parcelles du capital, en provoquant par des manoeuvres d'une moralité contestable, mais qu'il faut bien tolérer, une hausse artificielle sur les actions et en bénéficiant de la prime. Non-seulement ces manoeuvres compromettent trop souvent l'entreprise à ses débuts, mais encore la rétribution indirecte et dissimulée qu'elles ont servi à créer et qui est perçue aux dépens des actionnaires permanents ou successifs, ne manque jamais de dépasser la rétribution directe et patente que l'intermédiaire était en droit d'exiger. Ajoutons même que cela est juste et nécessaire, car l'intermédiaire que l'on ne rétribue point est obligé, pour obtenir le salaire de ses peines et la compensation de ses risques, de s'imposer un supplément de peines et de courir un supplément de risques, dont se trouve exonéré celui que l'on rétribue.

Que si maintenant, après avoir analysé l'œuvre de la constitution du capital d'une entreprise par voie d'association, nous soumettons à la même épreuve la constitution du capital d'une entreprise individuelle, nousserons frappés du caractère quasi-embryonnaire de ses procédés. Un homme qui veut fonder une entreprise individuelle doit réunir, au moins à un certain degré, le génie et l'initiative de l'inventeur, les aptitudes de l'administrateur et les ressources du capitaliste. L'assemblage de ces facultés et de ces ressources se rencontrant rarement chez le même individu, les entrepreneurs d'industrie se trouvent investis d'un véritable « monopole naturel » qui explique l'élévation souvent excessive de leur rétribution, en comparaison de celle des autres membres du personnel de la production. Cependant, comme ils possèdent rarement tout le

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