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précédent; les mêmes abus subsistent, -parce que l'organisation des offices ministériels est restée la même : ce sont toujours des frais exorbitants, et il en sera inévitablement ainsi, tant que les officiers ministériels resteront ce qu'ils sont, parasites ruineux dans une société où ils prélèvent sur le bon public un impôt, non prévu par le budget, et que M. d'Audiffret, dans son Système financier de la France, évalue à plus de 100 millions par an.

Du reste, on le conçoit, c'est surtout dans les petites affaires, dans celles par conséquent qui intéressent le pauvre, que la disproportion des frais est sensible: les chiffres, là, sont d'une éloquence terrible.

En 1851, M. Abbatucci, garde des sceaux, a constaté dans son rapport que a 1,980 ventes d'immeubles adjugés, pendant l'année 1850, audessous de 500 fr., ont produit 558,092 fr., et coûté 628,906 fr., ce qui donne pour chaque vente, en moyenne, 282 fr. de produit et 318 fr. de frais, soit 112 0/0.»

Et depuis 1850, croyez-vous que les choses aient changé? Oui, vous allez voir.

Le rapport sur la justice civile et commerciale pour 1863 accusait, pour 500 fr. et au-dessous, un coût moyen de 526 fr. (1) par vente. Voici, après cela, ce que dit le rapport pour 1864:

« Le montant des frais a été de 536 fr. pour chaque vente (de 500 fr. et au-dessous); la somme moyenne des frais s'est donc encore accrue de 10 fr. en 1864 (sur 1863); de sorte qu'en quatre années on constate avec peine une augmentation de 55 fr. par procédure de ventes; et pourtant ces frais sont tous taxés par les soins d'un magistrat (2), et doivent dès lors avoir été légalement faits. »

Ainsi le progrès est manifeste; mais quel progrès! ce qui en 1850, coûtait 112 0/0 de frais pour les ventes au-dessous de 500 fr., n'exige pas moins aujourd'hui de 121 0/0. Or, le prix des études d'officiers ministériels a augmenté aussi de jour en jour et dans des proportions analogues. Qu'on veuille bien, dès lors, tirer de ce simple rapprochement de deux faits une conclusion, et me dire s'il n'est pas urgent, extrêmement urgent d'aviser.

Telle est la situation. Est-il donc étonnant qu'en présence de pareils résultats, et avec la perspective d'un avenir qui menacerait d'être plus douloureux encore si les choses devaient continuer à aller leur train, les esprits se soient depuis longtemps émus, qu'à différentes époques on

(1) Le coût moyen pour 1862 avait été de 517 fr.

(2) En outre le tarif est le même: il n'a, en général, pas changé depuis l'époque du premier Empire. Cela prouve évidemment que les avoués et autres officiers ministériels deviennent de jour en jour plus habiles dans l'art de grossir impunément leurs notes, malgré la taxe.

ait pétitionné, et que presque d'année en année de puissantes réclamations se fassent entendre?

Deux membres de l'assemblée nationale de 1848, M. Odilon Barrot et un de ses collègues, présentaient un projet radical qui faillit être pris en considération. Nous voyons ensuite, en 1851, M. Abbatucci, dans le rapport dont il a déjà été parlé tout à l'heure, conclure à la nécessité d'une réforme prochaine. Même demande, un peu plus tard, de la part de M. Delangle, puis de la part du ministre actuel de la justice, M. Baroche, à qui il a été réservé de mettre enfin la main à l'œuvre. En effet, voici ce qu'on lisait, en 1866, dans l'Exposé de la situation de l'Empire, sous la rubrique Justice :

« L'opinion publique se montre favorable à l'idée de la révision du Code de Procédure civile, et paraît suivre avec intérêt les travaux de la commission instituée au ministère de la justice. Cette commission procède sans relâche à l'accomplissement d'une tâche longue et difficile en ellemême, plus difficile encore à cause de la diversité et de l'importance des intérêts à ménager.»

J'ai à dessein souligné les derniers mots de la phrase, parce qu'évidemment, au nombre des intérêts à ménager, l'Exposé de la situation de l'Empire doit comprendre ceux des divers officiers ministériels attachés aux tribunaux, avoués, huissiers et autres; il sera donc un jour question de ces officiers ministériels, comme il a été question en 1866 des courtiers de marchandises. Et si alors l'opinion publique se prononce contre leur privilége, comme elle s'est prononcée contre le privilége des courtiers, si une réforme plus ou moins large est réclamée, est-ce que l'opinion publique ne sera pas entendue? Est-ce qu'on ne tiendra pas, à l'égard des réclamants, le langage de M. Nogent-SaintLaurens et de M. le ministre d'État dans la discussion relative aux courtiers de marchandises? Il faudrait alors supposer l'impossible, il faudrait supposer au gouvernement français deux poids et deux mesures.

Mais poursuivons. C'est en janvier 1866 que le document dont je viens de parler, l'Exposé de la situation de l'Empire, a été rendu public, et quatre mois plus tard, le Moniteur universel du 17 mai donnait le Rapport à l'Empereur sur l'administration de la justice civile en France pour 1864. Un passage de ce rapport dit :

La législation semble donc être, par les exigences de son formalisme, la première cause d'un pareil mal, auquel il est manifestement nécessaire de pourvoir dans un avenir prochain. C'est dans ce but qu'une commission a été instituée, etc. » On retrouve ici, à peu près, la phrase déjà connue de l'Exposé de la situation de l'empire.

Plus récemment encore, au mois de février dernier (Moniteur universel du 16) un nouveau document a paru; c'est l'Exposé de la situation de l'Empire pour 1867. J'en extrais le paragraphe suivant :

«La révision du Code de Procédure se poursuit avec une application soutenue dans le sein de la Commission instituée au ministère de la justice. Déjà une partie considérable du travail est terminée: dans le but de donner satisfaction aux réclamations les plus nombreuses et aux besoins les plus urgents, deux projets de lois ont été détachés de l'ensemble et envoyés au Conseil d'État. Le premier détermine les règles de la compétence des juges de paix et des tribunaux civils. Le second comprend la saisie immobilière et toutes les ventes faites sous l'autorité de la justice, les partages, la purge des hypothèques et la surenchère sur aliénation volontaire. Il est permis d'affirmer, sans entrer dans l'exposé des dispositions nouvelles, qu'elles sont destinées à procurer un grand adoucissement à la condition qu'un formalisme qui peut paraître exagéré et le chiffre considérable des frais de justice ont faite, en ces matières, à la petite propriété et aux intérêts des justiciables les moins favorisés de la fortune » (1).

Ainsi voilà donc une bonne fois, et dans des documents officiels, la question de réforme sérieusement posée pour notre procédure civile; et il reste acquis déjà ces deux points essentiels, savoir: 1o qu'il y seru pourvu dans un avenir très-prochain, puisqu'une partie considérable du travail est même terminée, de manière à permettre de détacher dès aujourd'hui de l'ensemble deux lois de la plus haute importance; 2o que la révision, en général, s'adressera particulièrement à l'exagération des frais et aux exigences de ce formalisme si fructueux pour MM. les officiers ministériels, si ruineux pour la masse des justiciables. Mais un aperçu si vague des résultats futurs est peu de chose pour satisfaire dès à présent, chez le lecteur, une légitime impatience de connaître. Essayons de pénétrer plus avant dans les détails.

Deux solutions extrêmes se présentaient d'abord comme possibles : ou bien le système compliqué du Code actuel, du Code de 1806, qui ne fut, on le sait, que la malheureuse reproduction, en général, de l'ordonnance de 1667, serait maintenu en principe, sauf quelques modifications de détail; ou bien, renonçant franchement à tout ce fatras d'écritures dispendieuses, à ces innombrables formalités et à ces délais qui éternisent

(1) Le Droit et la Gazette des Tribunaux avaient déjà publié, dès le 17 novembre 1866, l'entrefilet officiel suivant : « Le Conseil d'État vient d'être saisi de deux projets de lois importants: l'un est relatif à la compétence des juges de paix et des tribunaux civils; l'autre concerne les saisies immobilières, les ventes judiciaires et les partages. Ces projets ont été élaborés par la commission instituée au ministère de la justice pour la révision du Code de Procédure civile. Les travaux de cette commission ne sont pas parvenus à leur termne; mais on a cru pouvoir détacher de l'ensemble ces deux fractions considérables. >>

aujourd'hui, lorsque pourtant nous sommes dans un temps d'électricité et de vapen, les procès les plus simples, le législateur eût commencé par déclarer, à l'exemple de la Convention dans la constitution de 1793, que les débats judiciaires seront vidés « sur défenses verbales ou simples mémoires, sans procédure et sans frais.

C'est, à coup sûr, entreprise dans ce dernier sens que la réforme tarirait bien réellement la source des abus, en enlevant désormais toute importance et même toute utilité au ministère jusqu'à présent si pernicieux des officiers ministériels; et il y a nombre de personnes qui ne reculent pas devant un tel radicalisme : « Il faut admettre comme mode ordinaire l'instruction simple, c'est-à-dire la plaidoirie immédiate, » a dit M. Séligman, dans ses Réformes de la procédure (1).

Mais ira-t-on jusque-là? Serait-il même bien que l'on allât jusque-là d'abord? D'un autre côté, l'opinion publique cependant ne se contenterait pas de quelques modifications de détail, qui ne remédieraient à rien. Un troisième projet, sorte de terme moyen s'est, il y a déja plusieurs années, produit dans les conditions suivantes.

Nul n'ignore, puisque «nul n'est censé ignorer la loi, » que, dans l'économie de notre procédure actuelle, les affaires se partagent en affaires sommaires et affaires ordinaires (2). Celles-ci sont les seules qui soient vraiment coûteuses; mais, Dieu merci! elles le sont, puisque les avoués y peuvent, à leur aise, faire rédiger, de la main de leurs clercs, force requêtes et autres inutilités du même genre, à 2 fr. le rôle par original et 50 cent. par copie, sans compter encore le timbre, et tout cela, dans le procès, ne sert absolument de rien, ce sont des lieux communs que personne ne lit, pas plus le juge que la partie adverse.

Eh bien, comme il faut, disent les bonnes gens, que tout le monde vive, même les avoués, on a fait en sorte qu'il y eût, relativement, beaucoup de ces causes très-lucratives, et par conséquent peu de causes réputées sommaires et sommairement jugées. Les articles du Code de

(1) Quelles sont, au point de vue juridique et au point de vue philosophique, les réformes dont notre procédure civile est susceptible? par M. Seligman, juge au tribunal civil de Reims, ancien lauréat de l'Institut de France, ouvrage qui a obtenu une première mention honorable à l'Académie des sciences morales et politiques de Paris. In-8. Reims, librairie de P. Regnier, éditeur. 1835.

M. Seligman démontre parfaitement l'inutilité, dans le plus grand nombre des cas, de la procédure écrite, qui serait toujours remplacée avec avantage, et surtout économie de temps et d'argent, par la procédure orale. Et M. Seligman est un magistrat, un juge éclairé par l'expérience.

(2) Les avoués ont, en outre, dans la pratique, afin de brouiller tout, imaginé les causes mixtes ou demandes indéterminées.

Procédure, notamment l'article 404, où la distinction entre les unes et les autres semble être établie, sont d'une obscurité qui s'y prête à merveille: MM. les avoués en peuvent, dès lors, prendre tout ce qu'ils veulent, et ils en prennent..... Quand on prend du galon, on ne saurait trop en prendre.

Dans la réalité des choses, il est certain que le nombre des procès véritablement importants est extrêmement limité en comparaison des petites causes; les neuf dixièmes du total des affaires, ou peu s'en faut, pourraient et devraient se juger comme affaires sommaires, c'est-à-dire rapidement, sans frais, sans tout cet attirail inutile de la paperasserie des avoués; il n'y aurait à cela que des profits et aucun inconvénient pour les justiciables.

Au contraire, qu'est-ce que nous apprennent les comptes rendus de la justice civile? Je consulte, par exemple, celui de 1863 (1); voici ses chiffres sur 116,614 affaires (2), il y en a eu 56,883 de jugées comme affaires ordinaires, soit 488 sur mille, ou presque la moitié, et 69,731 causes sommaires.

Telles sont les données de la statistique. Dès lors, il a dû paraître tout simple, en fait de réforme, de vouloir prendre à peu près le contre-pied de ce qui a eu lieu jusqu'ici, c'est-à-dire de ramener autant que possible les procès à être ce qu'ils sont en général dans la réalité, des causes purement sommaires, susceptibles d'être sommairement jugées, à peu de frais et rapidement; les officiers ministériels seuls perdaient à une semblable mesure qui, en cas de succès, eût été la conséquence d'une proposition que, le 18 avril 1857, un honorable sénateur, membre de la Cour de cassation, M. le baron de Crouseilhes, décédé depuis, soumettait au Sénat, proposition ayant pour objet la réduction des frais de justice (3); l'auteur concluait en demandant de «réputer matières sommaires les appels de justices de paix, les actions personnelles et mobilières jusqu'à la valeur de 10,000 francs de principal, et les actions immobilières jusqu'à 400 francs de revenu, etc. »

Il ajoutait «Les matières sommaires seront jugées à l'audience,

(1) Le compte rendu pour 1864 ne donne pas ce détail.

(2) Le nombre de 116,614 affaires n'est pas le total de celles que les tribunaux civils ont eues inscrites à leurs rôles. Ce total a été de 149,127.

(3) Cette proposition fut prise en considération par « l'unanimité des bureaux » (Moniteur universel du 25 avril 1857). La commission nommée pour l'examiner se composait de MM. Delangle, président; de Maupas, secrétaire; Ferdinand Barrot, marquis de Belbeuf, Bonjean, comte de Casabianca, baron de Crouseilhes, de Ladoucette, de Thorigny, Tourangin (Moniteur universel du 29 avril). Le rapporteur était M. Delangle, qui s'est toujours dispensé de lire son rapport.

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