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JOURNAL

DES

ÉCONOMISTES

DE L'ABOLITION DES OCTROIS

SOMMAIRE.

Moment où les questions économiques deviennent des questions d'administration et de politique. Ce moment est-il venu pour l'octroi ? Effets de l'octroi tel qu'il existe en France, au point de vue financier et au point de vue politique. Nécessité non de corriger, mais de supprimer l'octroi. Rappel de toutes les critiques de l'octroi faites au point de vue économique et discussion rapide des apologies contraires. - Projets divers mis en avant pour remplacer le produit des octrois. — Inconvénients et avantages.- De l'avenir financier des villes. De la nature particulière des contributions municipales. — Plan proposé: Abandon aux communes de l'impôt des patentes, restitué à l'État provisoirement sur le produit d'une taxe locative municipale et création de l'impôt municipal du revenu (1).

-

I

Il y a un moment où les questions d'économie politique et de finances cessent d'être un pur objet d'études théoriques, et où l'homme d'Etat, aussi bien que l'économiste et le financier de cabinet, doit s'occuper de les résoudre. Ce moment paraît venu pour la question des octrois. Tant qu'il ne s'agissait que de la mesure plus ou moins grande de l'iniquité attachée à ce genre d'impôt, qui ne tient aucun compte des facultés du contribuable, de ses effets plus ou moins nuisibles au bon ordre et au développement de la production et de la consommation, c'est-à-dire à l'extension de tout le commerce intérieur, ou encore de la concurrence

(1) Voir deux discussions à la Société d'économie politique et une polémique entre MM. Garbé et de Lavergne dans les numéros d'octobre 1866 et de janvier 1867.

Cette étude a été remise au Journal des Économistes avant qu'aient eu lieu ces discussions de la Société d'économie politique.

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fâcheuse que les taxes municipales d'octroi font aux droits que l'État lui-même a établis à son profit sur les articles les plus importants de l'alimentation générale, on comprenait que les esprits politiques laissassent les gens de science examiner de quelle manière les octrois exerçaient leur pernicieuse influence, et rechercher par quels procédés on pourrait un jour procurer les mêmes revenus aux communes en les puisant à une autre source, ou, plus simplement, proposer l'abolition de l'impôt pour cause d'utilité publique,» sans en remplacer les produits utiles par un revenu déterminé d'avance. Il est en effet fort délicat de faire des expériences de finance, quand les sommes à manier se chiffrent par centaines de millions, et les gouvernements ou les citoyens qui, par leur talent ou leur situation, sont en état d'agir sur leurs résolutions, peuvent attendre, pour en tenter ou en recommander de semblables, que, d'une part, l'opinion publique se soit très-vigoureusement prononcée, et, de l'autre, qu'il y aille des intérêts politiques du pays aussi bien que de ses intérêts économiques. C'est ce qui arrive aujourd'hui.

II

Nous allons rappeler quelles sont les principales raisons que l'on met en avant pour demander la modification et, encore mieux, la suppression des octrois au point de vue de l'économie politique; mais il nous semble qu'il faut d'abord dire comment cette réforme d'une institution financière est devenue une véritable affaire d'État à inscrire au rôle des délibérations prochaines des pouvoirs publics.

On entend les uns reprocher à l'octroi de peser du plus lourd de son poids sur la population pauvre des villes; on entend les autres prétendre qu'en donnant aux administrateurs des cités l'argent qui leur permet de réaliser jusqu'à leurs plus luxueuses fantaisies et qui salarient, à leur service, des armées entières d'ouvriers, il attire incessamment vers quelques centres choisis, par le double appât d'un travail bien payé et des spectacles du faste moderne, les populations dont les bras font dé-faut aux campagnes. Il n'y a pas de contradiction entre ces deux allégations. Oui, l'octroi coûte trop cher aux ouvriers et à la petite bourgeoisie des villes, et c'est cependant bien l'attrait du luxe, nourri par l'octroi, qui dépeuple les champs et grossit d'un flot toujours montant la population mobile des cités. Voilà Paris qui, pour peu que dure le mouvement d'idées administratives en faveur depuis quinze ans, comptera bientôt deux millions d'habitants et absorbera la vingtième partie de la France. Est-ce abuser des chiffres que d'évaluer à 500,000 individus la cohue des ouvriers de toute sorte, mais surtout pour les métiers les plus grossiers, et celle des domestiques, des oisifs, des vagabonds, des gens d'aventure que ce qu'on appelle les travaux du nouveau

Paris et leur renommée fantastique auront fait affluer dans nos murs? Le préfet de la Seine affirmait naguère que Paris n'est pas une patrie et qu'il n'y a pas de Parisiens. L'histoire de la France serait changée si tel malheur arrivait, et nous n'aurions plus pour capitale que la Rome sans vertu des Césars; mais que ceux du moins qui auraient amené ce changement n'en tirent de raisons ni pour se glorifier, ni pour s'opiniâtrer dans le chemin qu'ils suivent ! Nous leur accorderons alors que, grâce à eux, il vit à Paris toute une population qui pourrait amplement ranimer Naples, si le Vésuve y répandait la mort, qui formerait à elle seule l'un des États que la France, à ce qu'il paraît, devait sans inquiétude laisser dévorer en Allemagne par l'aigle prussienne, et qui n'ajoute pourtant rien à la force, à la richesse, à la véritable grandeur de la glorieuse ville de Paris.

L'autorité qui décrète tant de miracles à toute heure ne s'aperçoit que du plaisir présent que cette foule donne aux yeux et ne songe qu'à cet autre plaisir, plus grand encore, de la faire agir au gré de ses caprices, et elle ne forme qu'un vou, c'est que les rangs de cette armée docile s'ouvrent sans cesse aux nouveaux bataillons qui la recrutent. Belle preuve de génie! A mesure que l'armée grossit, ceux qui l'ont appelée lui imposent deux rôles : il faut qu'elle travaille à bâtir, à détruire ou à quelque autre remuement du passé, puisqu'il faut que dans le Paris qui date de deux mille ans tout date d'un seul règne; et il faut aussi que les salaires qu'elle reçoit elle les laisse saisir, à son insu, par la machine de l'octroi; puisqu'il faut qu'un prodige de capitaux ne cesse de soutenir la féerie ininterrompue de ces anéantissements et de ces entassements. Mais ceux qui pensent qu'une génération succédera à celleci, que celle-ci elle-même peut se lasser de subir tant de merveilles et de voir des maisons surgir jusque dans ses jardins publics; qu'elle peut s'inquiéter déjà des dangers qu'une liquidation imprévue susciterait dans Paris, dans d'autres villes encore, et étendrait sur toute la face de la France, ceux-là se demandent, et tout esprit sage doit les approuver, s'il n'est pas temps d'empêcher qu'un instrument de finances municipales, comme l'est l'octroi, ne devienne une cause de péril politique pour l'État tout entier.

Je n'aime pas, pour ma part, la déclamation, mais il y a des faits et des résultats si fâcheux et devenus d'une telle évidence, qu'on peut risquer de paraître déclamateur pour un moment lorsqu'il s'agit de les indiquer à ceux qui par hasard les ignorent ou de les rappeler à ceux qui feignent de ne pas les connaître.

Laissons là ce qui touche à l'art dans ces opérations si précipitées; ne demandons pas, pour ne pas être passionnés, si la passion n'a pas dirigé la moitié de ces plans; n'insistons même pas sur les périls de la liquidation financière de toutes les villes qui, à l'exemple de Paris, se

fâcheuse que les taxes municipales d'octroi font aux droits que l'État lui-même a établis à son profit sur les articles les plus importants de l'alimentation générale, on comprenait que les esprits politiques laissassent les gens de science examiner de quelle manière les octrois exerçaient leur pernicieuse influence, et rechercher par quels procédés on pourrait un jour procurer les mêmes revenus aux communes en les puisant à une autre source, ou, plus simplement, proposer l'abolition de l'impôt pour cause d'utilité publique,» sans en remplacer les produits utiles par un revenu déterminé d'avance. Il est en effet fort délicat de faire des expériences de finance, quand les sommes à manier se chiffrent par centaines de millions, et les gouvernements ou les citoyens qui, par leur talent ou leur situation, sont en état d'agir sur leurs résolutions, peuvent attendre, pour en tenter ou en recommander de semblables, que, d'une part, l'opinion publique se soit très-vigoureusement prononcée, et, de l'autre, qu'il y aille des intérêts politiques du pays aussi bien que de ses intérêts économiques. C'est ce qui arrive aujourd'hui.

II

Nous allons rappeler quelles sont les principales raisons que l'on met en avant pour demander la modification et, encore mieux, la suppression des octrois au point de vue de l'économie politique; mais il nous semble qu'il faut d'abord dire comment cette réforme d'une institution financière est devenue une véritable affaire d'État à inscrire au rôle des délibérations prochaines des pouvoirs publics.

On entend les uns reprocher à l'octroi de peser du plus lourd de son poids sur la population pauvre des villes; on entend les autres prétendre qu'en donnant aux administrateurs des cités l'argent qui leur permet de réaliser jusqu'à leurs plus luxueuses fantaisies et qui salarient, à leur service, des armées entières d'ouvriers, il attire incessamment vers quelques centres choisis, par le double appât d'un travail bien payé et des spectacles du faste moderne, les populations dont les bras font défaut aux campagnes. Il n'y a pas de contradiction entre ces deux allégations. Oui, l'octroi coûte trop cher aux ouvriers et à la petite bourgeoisie des villes, et c'est cependant bien l'attrait du luxe, nourri par l'octroi, qui dépeuple les champs et grossit d'un flot toujours montant la population mobile des cités. Voilà Paris qui, pour peu que dure le mouvement d'idées administratives en faveur depuis quinze ans, comptera bientôt deux millions d'habitants et absorbera la vingtième partie de la France. Est-ce abuser des chiffres que d'évaluer à 500,000 individus la cohue des ouvriers de toute sorte, mais surtout pour les métiers les plus grossiers, et celle des domestiques, des oisifs, des vagabonds, des gens d'aventure que ce qu'on appelle les travaux du nouveau

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