Images de page
PDF
ePub

contrôle, comme seraient, par exemple, des banques émettant des billets jusqu'à 5 francs, jusqu'à 50 centimes, dispensées de verser aucun capital et affranchies de toute publicité, quelque chose comme cette catégorie des banques américaines contre laquelle Tooke prononça, en 1840, des paroles dont vous abusez étrangement. A votre sens, quiconque ne pense pas exactement comme vous est de cette école imaginaire, et quiconque n'en est pas est avec vous. Permettez-moi de vous représenter que vous vous faites ainsi, à la faveur d'une hypothèse gratuite, une position trop commode. Vous êtes pour le monopole de l'émission au profit d'une seule banque dans chaque État. Vous êtes pour que ce monopole soit accompagné de restrictions à l'égard même de la banque privilégiée. Ainsi vous entendez que la majeure partie de son capital soit immobilisée en rentes ou en autres créances sur l'État. Quand il s'agit de l'Angleterre, à cette restriction vous en ajoutez d'autres qui ne sont pas peu sévères et qui, si elles sont utiles et nécessaires là, devraient l'être partout. Voilà votre Credo. Vos core ligionnaires sont ceux qui y croient. Vos adversaires sont ceux qui ont des opinions différentes des vôtres, opposées aux vôtres, c'est-à-dire ceux qui sont contraires au monopole et aux restrictions dont vous l'assaisonnez. En un mot, il faut que vous en preniez votre parti, vous avez pour adversaires bien plus que ce groupe fantastique d'économistes intraitables, partisans quand même de la liberté absolue du billet de banque, qui ne voudraient aucun contrôle à l'émission, aucune limite inférieure au montant des moindres billets, aucune publicité pour les opérations des banques, groupe qui n'existe que dans votre sollicitude et vos alarmes. Vos adversaires c'est la grande masse des économistes, et quoi que vous en disiez, l'unanimité à peu près de la société d'économie politique.

Il y a d'abord les hommes très-nombreux qui par rapport aux banques d'émission revendiquent la liberté, non pas la liberté absolue, mais cette liberté moins téméraire qui consisterait dans la faculté pour tous d'ouvrir une banque d'émission sous des conditions fixées par une loi générale. A côté de ceux-là, vous avez une autre classe d'adversaires; ce sont ceux au gré desquels il faudrait se contenter, soit quant à présent, soit pour un avenir indéfini, d'une organisation qui limiterait le nombre des banques en soumettant la création de chacune à l'autorisation du gouvernement ou à la sanction législative. Une combinaison qui rallie des suffrages importants, et qui rallie un troisième groupe également opposé à vos opinions, est celle qui consisterait à partager la France entre douze, quinze ou vingt banques régionales, ayant des attributions beaucoup plus étendues que les banques départementales fusionnées en 1848 avec la Banque de France, pouvant, par exemple, avoir des succursales à leur convenance et établir entre elles-mêmes

des rapports multipliés, à peu près comme les banques d'Écosse. A côté de ces banques régionales ou au-dessus d'elles, il y aurait la Banque de France avec des succursales dans celles des principales cités de l'Empire où elle jugerait bon d'en avoir; car personne n'a l'idée de porter atteinte à l'existence et à la prospérité de la Banque de France.

Malgré leur diversité que je ne conteste pas, les nuances d'opinion qui sont opposées au monopole de la banque unique constituent, en présence de celui-ci, ce qu'on peut légitimement appeler le parti libéral. Ce qui prouve que vis-à-vis du monopole il est juste de les considérer comme fondues ensemble, c'est que les partisans de la liberté des banques en France s'estimeraient heureux, quant à présent, d'obtenir une organisation des banques d'émission qui se composât de la Banque de France avec des succursales dans toutes les villes où il lui plairait, et de banques régionales au nombre de douze, quinze ou vingt, se partageant, suivant les divisions les plus naturelles, les 89 départements, investies de la faculté d'établir à leur discrétion des succursales dans leur circonscription, et autorisées à nouer des rapports intimes entre elles et avec la Banque de France. Les amis les plus prononcés de la liberté des banques accepteraient aujourd'hui avec reconnaissance ce programme, dans la pensée que, par le succès qu'il aurait et les résultats qu'il donnerait, il motiverait bientôt une extension nouvelle de la liberté.

C'est ce programme fort modéré que les défenseurs du monopole, tels que vous, ont à combattre.

Mettre en scène, ainsi que vous le faites, la liberté absolue des banques dont il s'agirait de faire l'application immédiate, c'est, de la part des soutiens du monopole, une ruse de guerre bonne pour effrayer les esprits timides et pour fourvoyer les esprits inattentifs, mais ce n'est rien de plus. En un mot, ce qu'il y a de plus clair dans votre discussion, mon cher et honoré confrère, c'est que vous ne répondez pas à ce qu'on vous a dit. Il est vrai qu'en retour vous répondez admirablement à ce qu'on ne vous disait pas.

L'objet principal de la présente est de remettre sur son véritable terrain le débat que vous vous êtes efforcé de déplacer dans votre dernier écrit du Journal des Économistes du 15 mars, et les courtes observations qui précèdent me semblent y suffire. Toute votre argumentation est un échafaudage reposant sur cette fiction, que la question fondamentale en discussion c'est la liberté absolue du billet de banque. »

[ocr errors]

La fiction écartée, je ne vois guère ce qui reste de cet écrit, et je puis me dispenser de l'examiner en détail. Il ne serait pas difficile, en le prenant par le menu, d'y faire ressortir les mêmes défauts que j'avais relevés dans vos articles à émotion de la Revue des DeuxMondes des affirmations sans preuves, un insurmontable penchant à

prêter à vos adversaires des idées qu'il n'ont pas, et l'abus des autorités porté à un degré qui jusqu'à vous était inconnu.

Trop souvent, quand vous discutez, vous êtes, permettez-moi de vous le dire, à court de bonnes raisons; mais en revanche vous avez constamment à commande un groupe de grands hommes qui, sur un signe de vous, sortent de votre boîte afin de témoigner en votre faveur. Je croyais vous avoir montré par quelques exemples à quel point vous mésusiez ainsi du nom d'hommes supérieurs pour suppléer à l'insuffisance de vos arguments, et je n'aurais pas voulu y revenir; mais l'invocation éclatante que vous faites d'un des hommes les plus distingués de l'Angleterre est tellement affirmative et pressante que je me vois forcé de parler du procédé par lequel quelques personnes essayent et réussissent quelquefois à se faire des appuis apparents de personnages investis d'une grande renommée. Si le public lecteur vous reconnaît dans ce que je vais dire, la faute en sera non à moi, mais à vous-même et à l'usage public que vous avez fait d'une lettre de politesse qui vous avait été adressée.

Quand un auteur a publié un livre dans lequel il se complaît, il est fréquent qu'il en adresse un exemplaire à des hommes haut placés, familiers avec la matière, et que, pour chacun d'eux, il accompagne l'envoi d'une lettre pleine de compliments par laquelle il place son livre sous le patronage de l'homme illustre. Le moins que celui-ci puisse faire, c'est de répondre par une lettre écrite de la même encre, c'est-à-dire extrêmement polie, où il admire le talent, le savoir et la justesse d'esprit déployés dans l'ouvrage qu'il a reçu et que souvent il n'a pas eu le temps d'ouvrir. Ordinairement les choses en restent là; l'auteur est satisfait; il a en portefeuille des lettres des meilleurs juges, pleines de témoignages flatteurs, et qu'il montre en petit comité à ses intimes. Mais il est des auteurs plus difficiles à contenter, à qui ces satisfactions du coin du feu ne suffisent pas. Une fois qu'ils ont en poche la lettre de l'homme illustre, ils lui écrivent pour lui demander la permission de l'imprimer. L'homme illustre, qui s'était fort avancé, répond par l'affirmative ne pouvant faire autrement, et c'est ainsi que des lettres de pure courtoisie voient le grand jour de la publicité dans les journaux et les revues, comme l'expression réfléchie d'hommes considérables sur des livres nouveaux.

Le procédé fait sourire les hommes de tact et de goût, mais il éblouit quelquefois le vulgaire.

Quand vous voudrez, mon cher et.honoré confrère, persuader aux hommes sérieux que messieurs tels et tels, de l'assentiment desquels vous vous prévalez, partagent vos idées sur les banques d'émission, vous aurez autre chose à faire au lieu de lettres de courtoisie, qui n'avaient point été écrites pour la publicité, apportez une adhésion motivée,

faite en connaissance de cause, je veux dire écrite avec la prévision qu'elle sera imprimée. Tracez, avec cette clarté que vous revendiquez, un programme qui résume bien exactement votre manière de voir, qui par conséquent érige en principe le monopole de l'émission au profit d'une banque unique dans chaque État, qui fasse de même une loi de l'immobilisation de la majeure partie du capital de la banque en valeurs de l'État, qui enfin, pour l'émission des billets de la banque investie du monopole elle-même, porte les restrictions sévères que vous louez quand elles s'appliquent à la Banque d'Angleterre et que vous supprimez, sans dire pourquoi, lorsque vous passez le détroit pour rentrer en France. Veuillez faire signer ce programme aux grands hommes que vous représentez comme étant en parfait accord avec vous, et alors on croira à cet accord. Hors de là, mon cher et honoré confrère, toutes les adhésions que vous produirez n'auront guère plus de poids que la formule qu'on met au bas d'une lettre et par laquelle on se déclare le trèshumble et très-obéissant serviteur du premier venu.

Je vous demande la permission de clore ici cette polémique. Que vous me répondiez ou non, je n'importunerai pas, pour vous répliquer, les lecteurs du Journal des Économistes. On pourrait pourtant y donner une suite que la vivacité de vos réclamations semble même appeler. Vous prétendez que j'ai défiguré vos opinions pour les combattre faisons-en juge le public qui est notre arbitre naturel. Réimprimez les articles que vous avez donnés dans la Revue des Deux-Mondes et ceux qui ont paru dans le Journal des Économistes, sans oublier la note par vous adressée à ce dernier recueil (1) comme exposé de l'opinion par vous exprimée dans la séance de la Société d'économie politique du 5 septembre. Ces divers morceaux avec ma lettre du 15 février, votre réponse du 15 mars, ma présente réplique, et tout ce que vous jugerez à propos d'y joindre, seraient propres à édifier le public, en supposant qu'il nous fasse l'honneur de s'occuper de nous et de nos différends, sur la question de savoir non-seulement qui de nous deux se trompe sur le fond du débat, mais encore si, en critiquant vos idées sur ce grave sujet, je les ai ou non fidèlement reproduites ou si, au contraire, je les ai faussées ou mutilées.

Agréez, mon cher et honoré confrère, l'assurance de mes sentiments dévoués.

MICHEL CHEVALIER.

(1) N° du 13 septembre 1866, p. 439 et 440.

OBSERVATIONS DE M. WOLOWSKI.

Mon cher Garnier,

Paris, 8 avril 1867.

Vous avez bien voulu, pour abréger, me communiquer la nouvelle lettre de M. Michel Chevalier. Je n'entends point y faire de réponse. Les lecteurs du Journal des Economistes doivent être saturés de ce débat, et je m'empresse d'y mettre un terme. Mon cher et honoré confrère M. Michel Chevalier a dit que j'avais l'esprit accommodant; je vais lui en donner une nouvelle preuve en regardant sa dernière lettre comme parfaitement satisfaisante, à mon point de vue.

J'ai démontré par des citations textuelles qu'il avait dénaturé mes opinions et les paroles dont je me suis servi: sur ce point il passe condamnation, puisqu'il ne répond rien.

J'ai prouvé que mes doctrines n'ont jamais varié : loin qu'on puisse y relever la moindre contradiction, elles ont toujours été l'expression nette d'une conviction bien arrêtée; bonne ou mauvaise, c'est au public à en juger, comme c'est à lui à reconnaître si elle manque de clarté.

J'ai dit que M. Michel Chevalier avait eu tort d'assimiler purement et simplement le billet de banque à la lettre de change. C'est un tort qu'il reconnaît, du moment où il réclame des règlements et des restrictions pour l'émission des billets, règlements et restrictions inapplicables à la lettre de change: habemus confitentem reum.

Il continue à faire miroiter l'équivoque de la liberté des banques, confondue avec l'émission libre de billets, faisant office de monnaie je n'ai rien à dire de ce jeu innocent.

Je me bornerai à rappeler qu'il ne suffit pas de parler des Banques d'Ecosse, sans en approfondir la véritable organisation, et sans restituer aux dépôts énormes, que ces banques concentrent, l'influence attribuée à tort à des émissions restreintes.

Il ne suffit pas non plus d'énumérer les succursales des douze Banques d'Ecosse, et de passer sous silence plus de mille banques populaires de l'Allemagne, dont l'action féconde s'exerce sans l'émission d'un seul billet payable au porteur et à vue.

Comme M. Michel Chevalier, je veux et j'espère l'extension du crédit, comme lui je veux la liberté des banques; mais celle-ci consiste, à mes yeux, dans la réunion et dans la distribution du capital, et non dans la faculté de battre un simulacre de monnaie; le crédit ne peut se développer largement que si on écarte la fiction pour s'appuyer sur la réalité.

Mon cher et honoré confrère aurait dû, après les singulières mésaventures qu'il a subies, renoncer à parler de citations inexactes. Je n'ai nullement abusé des paroles de Tooke; il suffit de les relire pour s'en convaincre. Quant à l'école imaginaire de ceux qui traitent l'émission

« PrécédentContinuer »