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chemins de fer et emprunts étrangers, autrichiens, lombards, italiens, etc., au besoin même, dit-on, les entreprises théâtrales; qui prête aussi aux simples particuliers sur les propriétés bâties, mais dont les opérations sur la véritable propriété rurale et les 10 milliards d'hypothèques qu'on devait liquider, sont restées insignifiantes. Tout cela agissant, au moyen de ses obligations répandues et prônées par des milliers d'intermédiaires commissionnés, sur les petites économies de la province, à la façon d'une immense pompe aspirante, et au lieu d'apporter des capitaux à la propriété rurale, lui soutirant, au contraire, ses épargnes pour les reverser à la Bourse de Paris.

A côté de cela, vous avez, dans trois ou quatre chapitres, ce qu'on pour rait appeler la petite pièce; la physionomie et les incidents divers préparés ou imprévus des comices agricoles, avec de précieux échantillons de l'éloquence officielle, tout cela raconté avec un sérieux de persifflage qui arrive à un comique intense : revanche légitime peut-être, mais cruelle, de tout ce que le bons sens et le bon goût des agronomes sérieux ont pu avoir à souffrir de l'ineptie ou de l'impertinence administrative!

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Que M. d'Esterno me permette une simple observation, pour finir. Il s'étonne et il en a le droit de l'espèce de disgrâce qui pèse sur la plus importante de nos grandes industries, et explique cette infériorité de position par le mauvais vouloir systématique des classes rivales. Je l'attribuerais, pour ma part, plutôt encore aux idées et à la situation toute particulière de la classe à laquelle appartiennent en majeure partie les représentants et les leaders naturels de l'agriculture. Cette classe, c'est la grande propriété issue de l'ancienne noblesse (la prépondérance de la classe moyenne agricole, de la bourgeoisie rurale, est proche, mais son règne n'est pas encore arrivé). Eh bien! je crois que cette classe n'a pas l'intelligence nette de sa situation, ni, par conséquent, des vrais moyens de l'améliorer. Comme certaines races envahies et vaincues, elle reste attachée à son vieil armement par la religion des souvenirs et ne songe pas à adopter celui du conquérant. On lui en interdit l'usage, c'est possible; mais j'ajoute qu'elle ne sait pas et ne veut pas s'en servir. Ces entraves dont on voudrait la débarrasser, elle y tient comme à des défenses contre un mouvement qui l'inquiète. Vous la voyez résister, plus que toute autre classe, par crainte de l'usure, à la suppression de ce taux légal qui, précisément la livre, pieds et poings liés, aux usuriers. Vous l'entendez répéter encore que l'instruction est un péril pour le cultivateur et que le crédit est la ruine certaine de l'agriculteur. Ne vient-elle pas, tout dernièrement, de faire un appel attardé à la protection, ce leurre au moyen duquel la grande industrie l'a exploitée et rançonnée à merci ? Or, qui peut s'intéresser bien vivement à qui comprend si mal ses intérêts, et tendre la main à qui ne cherche pas à se relever? Il y a là de sourdes résistances dont les hommes d'initiative ne s'aperçoivent pas ou plutôt ne veulent pas s'apercevoir. Mais leurs adversaires savent que ces chefs ne sont pas suivis, et n'ayant dès lors affaire qu'à des indivi

dualités isolées, les intérêts rivaux fortement groupés leur tiennent tête et les usent en détail.

Il se peut qu'en parlant de l'esprit improgressif de l'aristocratie terrienne, je force un peu trop la nuance; mais il y a autre chose encore. Cette classe porte le poids d'une fatalité historique: la révolution s'est faite sans elle et contre elle. Qu'elle n'y songe plus, c'est possible; mais d'autres s'en souviennent, et ce souvenir défiant paralyse l'influence qu'elle devrait avoir. Dans cette situation embarrassée qui rend son concours à peu près nul et peut-être, à un certain point, dangereux pour les gouvernements qui voudraient s'appuyer sur elle, il ne faut pas s'étonner trop que, conformément à la théorie hautement professée par M. de Persigny, l'aristocratie fonctionnaire cherche à substituer son action à cette influence effacée, et à se glisser comme un coin entre la grande propriété et les masses rurales. Ceci explique parfaitement cette attitude de l'administration, familièrement caressante vis-à-vis de la tourbe campagnarde, dédaigneuse et cassante vis-à-vis de la grande. propriété, toute prête, au moindre indice de résistance, à faire, comme on vient de le voir en Maine-et-Loire, appel aux vieilles antipathies de castes entre nobles et vilains, cette indifférence presque hostile pour la grande culture qui est pourtant la grande production, et ces bucoliques officielles (agronomiquement absurdes, mais politiquement trèshabiles), où l'on exalte, comme type de l'agriculteur, le petit propriétaire besogneux qui s'exténue pour vivre sur son maigre champ, et qui n'est pas socialement producteur, puisqu'il n'apporte sur le marché commun ni blé, ni viande, ni herbage, ces primes qu'on détourne de leur destination, qui est évidemment d'encourager le progrès et de récompenser le succès, pour faire de l'assistance au profit de la nullité laborieuse, etc.

Système faux, dira M. d'Esterno! machiavélisme infime, inutile d'ailleurs et inopportun, puisque ce sont les campagnes, et les châteaux comme les chaumières, qui ont fait et qui soutiennent l'Empire. Soit la grande propriété n'a point été hostile au régime actuel, comme elle l'a été aux d'Orléans, et peut-être un peu parce qu'elle l'a été aux d'Orléans. Mais ce sont là des amis assez froids, indépendants d'ailleurs, et avec lesquels il faut compter. Combien sont plus commodes ces amis sans idées, sans résistance ni cohésion, ces bons paysans, troupeau docile que conduit le garde champêtre et qui tremble devant le chapeau galonné du gendarme!

Après tout, je reconnais très-volontiers qu'il y a mieux que cette petite politique de manœuvres et d'expédients, qui divise quand il faudrait réunir, et qui, au lieu de créer des blocs compacts d'intérêts qui offriraient une base solide, s'appuie sur une espèce de poussière humaine qui peut tout d'un coup se dérober sous la main. Il est certain que si on laissait s'organiser, à tous les degrés, la représentation agricole sous la direction d'une élite intelligente et avancée, qui inoculerait naturellement à la classe entière l'esprit de progrès dont elle est péné trée, on rattacherait en masse au gouvernement, par l'intérêt, par

reconnaissance, par l'amour-propre, toutes les forces vives, aujourd'hui hésitantes et décousues, de l'agriculture: la grande propriété, fatiguée de son oisiveté et mécontente de son annullation, en ouvrant une honorable carrière à son besoin d'activité, en donnant satisfaction à ses légitimes prétentions d'influence et à ce point d'honneur traditionnel qui lui fait un devoir du noble emploi de sa richesse; - les populations rurales, dont l'énergique labeur manque de guides, de direction, d'encouragement et d'appui, en les élevant rapidement en bien-être, en instruction et en dignité.

Il y a là, à coup sûr, une conception politique des plus larges, des plus élevées, des plus infailliblement fécondes en résultats pour le présent et pour l'avenir. M. d'Esterno compte, pour son application, sur la haute intelligence et l'énergique décision dont le chef de l'État à naguère donné une preuve éclatante. Son espoir sera-t-il réalisé? Nous n'avons pas à nous prononcer sur ce point. Dans tous les cas, en livrant au public cette solide et vigoureuse étude, M. d'Esterno a pris le bon moyen, qui est de saisir fortement l'opinion d'une idée, afin d'agir par l'opinion sur le pouvoir.

R. DE FONTENAY.

CHRONIQUE ÉCONOMIQUE

SOMMAIRE. - Ouverture de l'Exposition universelle et fantôme de la guerre, à propos du duché du Luxembourg. Effets de l'esprit réglementaire dans l'organisation militaire. — L'émeute des ouvriers à Roubaix, la Protection et le Libre-échange. — La nouvelle loi d'instruction primaire et l'instruction des filles. Multiplication des grèves et des coalitions. Association politico socialiste pour l'extinction du paupérisme. La commission des Monnaies, le double étalon. Les institutions de crédit de l'abbé Clergeau.

L'Exposition universelle a été ouverte le 1er avril conformément au programme annoncé. Ainsi qu'il fallait s'y attendre et malgré les fiévreux efforts des derniers jours de mars, la plupart des installations n'étaient que provisoires, et un grand nombre n'étaient pas même commencées. En ce moment, bien que tout ait déjà changé de face, on est encore loin de l'achèvement, et la fin du mois d'avril sera nécessaire pour arriver à une organisation à peu près générale sinon complète.

Cette solennité ne semble pas jusqu'ici avoir grand succès; les critiques et les plaintes se produisent; mais on ne peut juger d'un fait qui doit durer six mois par les dix premiers jours. La saison n'a pas été non plus favorable; et d'ailleurs ce n'est pas encore l'heure des touristes.

D'autre part, la politique est venue jeter de bien sombres préoccupations dans l'opinion. Voilà qu'il ne s'agit rien moins, à propos du Luxem·

bourg (dont le roi de Hollande est le grand-duc constitutionnel, au sein duquel la Prusse et la Confédération du Nord veulent tenir garnison, et qu'aurait voulu acquérir, nous dit-on, le gouvernement français, à prix d'argent, à l'aide du mécanisme du suffrage universel), voilà, disonsnous, qu'il ne s'agit rien moins que d'une guerre entre la France etl' Allemagne; voilà que M. de Bismark surexcite le chauvinisme pangermanique et que l'on répète la Marseillaise de ce côté du Rhin.

Un heureux symptôme à constater c'est qu'en France le sentiment général en est arrivé au dédain des projets perturbateurs de la diplomatie, et qu'on redoute dans la guerre, outre les pertes matérielles gigantesques qu'elle entraînerait, l'affaisement des mœurs et des libertés publiques en deçà comme au delà des rives du Rhin. - Espérons donc que le bon sens reagira, même au sein du reischstag du Nord-Allemand, et que la civilisation européenne sera préservée de ce nouveau danger.

- L'Armée française en 1867, tel est le titre d'un écrit qui a fait grande sensation dans le public en général, causé quelque scandale dans le monde militaire, et qui mérite une mention ici, car le sujet à un côté économique.

Ce livre n'est pas signé; les règlements militaires ne permettent pas à un officier, quel que soit son grade, de publier un travail quelconque sans l'autorisation du ministre de la guerre, et il est permis de croire que cette autorisation n'aurait pas été accordée. Mais le nom du savant général qui a pris la plume n'est un mystère pour personne. L'auteur signale et dévoile le mal causé par l'esprit de réglementation qui a produit dans l'organisation militaire des effets analogues à ceux que les économistes ont signalé dans les lois relatives aux diverses branches de l'activité. Il accuse les chefs de notre armée d'innover sans cesse, sous l'empire des impressions et des excitations du moment, de faire marcher de front «<les innovations les moins mûries et les routines les plus obstinées. Aujourd'hui encore le règlement des exercices et manœuvres de l'infanterie française remonte à 1791! et ce règlement n'est lui-même que la production très-peu modifiée du règlement établi par Frédéric II à Postdam.

Voilà comment il se fait, dit-il, que le jeune soldat français, si généralement intelligent et qu'assouplissent sans peine quelques exercices élémentaires de gymnastique, soit encore aujourd'hui traité à la prussienne par la position dite du soldat sans armes, par le mouvement de tête à droite et tête à gauche, par le pas ordinaire, par le port d'armes, etc. Le port d'armes est un vrai tour de force devant lequel tous nos soldats de recrue restent en échec pendant plusieurs mois. Ceux qui ont une faible organisation musculaire ne résistent pas à cet effort prolongé; leurs reins se creusent, l'une de leurs épaules s'abaisse, ils

souffrent, et quelquefois le port d'armes les a déformés pour toujours. »

-Peu de jours après l'apparition de notre dernier numéro éclatait à Roubaix une violente émeute d'ouvriers, accompagnée de scènes de destruction, d'incendie et de pillage qui rappellent les plus mauvais jours de l'histoire du travail. Elle était provoquée par l'introduction dans les ateliers de nouvelles dispositions réglementaires et mécaniques, appliquées d'une manière générale par les entrepreneurs.

Inutile de dire que l'action des ouvriers qui ont pris part à cette lamentable affaire est odieuse à tous égards. Nous ne voulons pas rechercher, non plus, si les patrons ont agi avec l'habileté voulue et procédé à ces changements avec les précautions nécessaires. L'enquête de la justice instruira sur ce point l'opinion et les intéressés. Mais nous devons faire ici cette constatation que la classe ouvrière de Roubaix n'aurait pas participé d'une manière si générale à ces saturnales, si elle avait eu des notions d'économie politique. Et si elle n'en a pas, à qui la faute? D'abord au vieux préjugé universitaire et classique contre l'économie politique qui date de loin; ensuite à la répulsion des manufacturiers en général, des manufacturiers de Roubaix en particulier, pour les principes d'une science qui conclut à la liberté commerciale. On récolte ce qu'on sème.

A ce sujet, la Gazette de France, qui est l'organe des vieux écho protectionistes, a fait le tour de force que voici. Elle a vu dans les événements de Roubaix une conséquence naturelle du nouveau régime commercial, et elle a nargué les journaux qui ont appuyé cette réforme. Le Journal des Débats lui a répondu « qu'on peut croire le libre échange très-préférable au régime de la protection sans lui supposer la vertu merveilleuse de supprimer à jamais les chômages et les crises commerciales et industrielles. Avant les nouveaux traités de commerce et la suppression de l'échelle mobile, nous avons vu trop souvent jadis, non pas seulement de déplorables émotions populaires, mais de violentes émeutes, et même de formidables insurrections causées par la cherté du pain ou par le manque de travail. » Ajoutons que, par suite de circonstances heureuses pour Roubaix (la crise cotonnière, etc.), le développement de son industrie et de sa prospérité se sont produits simultanément avec la nouvelle politique commerciale qui ne pourrait donc être invoquée ici que dans un sens inverse à celui qu'a pris la Gazette.

-Quoi qu'il en soit, il y a fort à faire dans notre enseignement public et privé, dans l'enseignement officiel ou l'enseignement libre pour les mettre en harmonie avec les besoins des masses.

Tous les programmes sont à améliorer, y compris ceux de l'instruction des filles à laquelle la loi nouvelle d'instruction primaire que vien

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