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et qu'ils ne pourraient posséder d'autres immeubles que ceux qui seraient nécessaires à leurs réunions, à des bibliothèques, à des cours d'instruction professionnelle. L'article proposé par la Commission était ainsi conçu : « Les syndicats professionnels auront le droit d'ester en justice.

<< Ils pourront posséder et employer les sommes produites par des cotisations. Ils pourront posséder également les immeubles nécessaires à leurs réunions et à l'établissement de bibliothèques, de cours d'apprentissage et d'instruction professionnelle. »>

Aux garanties stipulées par les termes limitatifs de cet article s'en ajoutait une autre qui est formulée dans l'article 4, l'obligation pour toute association qui se fonderait de déposer ses statuts à la mairie ou à la préfecture de la Seine.

54. MM. Trarieux, Ribot et Goblet proposèrent un amendement, en vertu duquel le dépôt des statuts n'était obligatoire que pour les syndicats qui voudraient jouir des facultés accordées par l'article 6. Les syndicats étaient donc libres de réclamer ou de ne pas réclamer la personnalité civile; ceux qui la jugeraient inutile étaient dispensés de toute formalité.

<< Pourquoi, disait M. Trarieux, une personnalité civile obligatoire? Il y a là, ce nous semble, une exagération de zèle, dont les syndicats peuvent être les premiers à se plaindre, car en même temps qu'on accorde à tous ce qui peut n'ètre à quelques-uns d'aucune utilité, on les astreint tous à une publicité de leurs statuts sous des pénalités et des amendes qui les menacent.

«En y réfléchissant mûrement, nous trouvons qu'il n'y a aucun inconvénient sérieux à laisser les syndicats professionnels, qui pourraient ne pas tenir à la personnalité civile, s'organiser sans aucune condition de publicité; pourquoi dès lors les exposer à des répressions qui peuvent leur être épargnées ?

« On a fait, avec raison, observer qu'il existe en ce moment à Paris, dans nos grandes villes manufacturières, un grand nombre de syndicats de patrons et d'ouvriers, constitués en dehors de la légalité, il faut bien le reconnaître, mais en bénéficiant d'une tolérance qui a été l'acte préparatoire de la réforme que nous allons accomplir.

« Ces syndicats fonctionnent. Ils n'ont pas déposé leurs statuts et peuvent ne pas vouloir de la vie civile. Allons-nous troubler la paix dont ils jouissent, et les astreindre à être ce qu'ils ne demandent pas, sous l'obligation de faire ce qui semble, à leur égard, inutile? Il y a là évidemment une exigence qui pourra sembler vexatoire, et qu'il me suffit de vous signaler.

« On disait, il est vrai, dans la précédente séance, qu'un grand nombre de syndicats existants réclamaient ouvertement la reconnaissance légale. C'est possible, mais le grand nombre n'est pas la totalité. Je comprends à merveille que tous ceux qui sont organisés pour la défense d'intérêts permanents aient un avantage à solliciter la collation de la personnalité civile; il ne peut en être ainsi, au contraire, de ceux et ils sont aussi nombreux, qui n'ont en vue que la défense d'intérêts transitoires, qui ne doivent vivre que quelques semai

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nes ou quelques mois. Pour ceux-là, il ne saurait donc y avoir lieu de modifier le statu quo, dont personne jusqu'ici n'a signalé l'abus1. »

La Commission accepta la distinction, proposée par M. Trarieux, entre les syndicats professionnels qui ont véritablement besoin de la personnalité civile et ceux qui peuvent s'en passer, entre ceux qui veulent avoir une action directe sur les intérêts matériels de leur profession et ceux qui sont surtout des sociétés de propagande et d'études.

55. Mais là ne se bornait pas la portée de l'amendement. MM. Trarieux, Ribot et Goblet ne voulaient point que la personnalité civile fût acquise par le simple dépôt des statuts. Ils voulaient que ces statuts fussent préalablement soumis à l'examen du préfet, lequel serait en droit de refuser la personnalité, si ces statuts paraissaient contenir des clauses contraires à la loi ou attentatoires à la liberté du travail.

« Le préfet, disait l'amendement, devra dans un délai de quinzaine délivrer un récépissé qui servira de titre au syndicat, si les statuts présentés ne contiennent rien de contraire à la loi, s'ils ne renferment aucune clause ayant pour but de restreindre, par des amendes ou des sanctions pénales quelconques, le droit aux membres du syndicat de donner leur démission à toute époque. Les fondateurs ou administrateurs du syndicat pourront se pourvoir contre le refus du préfet

1 Séance du 21 mai 1881. Journ. offic., 1881, Chambre, Débats parl., p. 956 et suiv.

devant le Conseil d'État, qui statuera au contentieux, sans frais et sans ministère d'avocat. »

Les auteurs de l'amendement soutenaient qu'on ne peut pas accorder des droits aussi importants que ceux qui découlent de la personnalité civile, sans prendre des garanties. Dans l'état actuel de la législation, le droit pour une association d'être propriétaire constitue un privilège. Ce privilège, l'État ne doit point l'accorder sans examen. La personnalité civile peut être réclamée par des associations qui usurperaient les apparences des associations professionnelles. Il y a là un travail de vérification à faire. Sans doute on peut réclamer devant les tribunaux la nullité des associations qui ne rentreraient pas dans le cadre de la loi. Mais ne vaut-il pas mieux, dans l'intérêt des tiers comme dans l'intérêt des associés, prévenir cette nullité par un examen préalable?

N'est-il pas également important que ces syndicats, qui auront le droit d'agir en justice contre leurs membres, ne puissent pas introduire dans leurs statuts des clauses qui restreindraient la liberté de ces membres? Il ne s'agit point d'ailleurs, ajoutait-on, d'une autorisation à demander. Si les statuts ne contiennent aucune clause prohibée, le récépissé devra être délivré et la personnalité civile résultera non de la bonne volonté d'un fonctionnaire, mais de la loi.

Enfin, le recours au Conseil d'État protège les syndicats contre tout caprice et tout abus de pouvoir.

Telle fut la thèse que soutinrent MM. Trarieux, Ribot et Goblet.

On leur répondit que les ouvriers ne doivent pas être traités en incapables ou en suspects; qu'ils doivent être jugés sur leurs actes et non sur des tendances, plus ou moins clairement manifestées par leurs statuts. A eux de les rédiger, comme ils l'entendent, sous leur responsabilité; pour eux, comme pour les autres citoyens, les tribunaux ordinaires sont là, avec la mission de réprimer ou d'annuler les actes illégaux et les stipulations contraires à l'ordre public.

Cette nécessité de se soumettre au visa du préfet, de recourir au Conseil d'État, ferait certainement reculer les ouvriers, qui sont particulièrement ennemis de formalités, dont l'accomplissement est pour eux une perte de temps et d'argent.

En retour de cette exigence, on n'aura qu'une garantie tout à fait illusoire. Il est certain que le jour où l'association naîtra, où les statuts seront soumis au préfet, tout aura une apparence régulière; ce seront bien des ouvriers de la même profession ou d'une profession similaire qui s'associeront; quant aux stipulations, elles seront celles qui figurent depuis trente ans dans les statuts des syndicats; ils sont tous copiés les uns sur les autres; la formule a été rédigée après une étude approfondie, de manière à ce qu'aucune violation de la loi ne ressorte du texte.

On autorisera donc.

Mais qui empêchera, le lendemain, le syndicat, ainsi autorisé, de commettre des infractions au droit civil ou au droit pénal, d'encourir ou la poursuite du Parquet, ou des demandes en nullité ?

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