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CHAPITRE PREMIER.

Situation légale des syndicats professionnels de patrons et d'ouvriers antérieurement à la loi nouvelle.

Abrogation des dispositions contraires à cette loi.

ARTICLE PREMIER.

Sont abrogés la loi des 14-17 juin 1791 et l'article 416 du Code pénal.

Les articles 291, 292, 293, 294 du Code pénal et la loi du 10 avril 1834 ne sont pas applicables aux syndicats professionnels.

Sommaire.

3. Nécessité de préciser en tête de la loi les dispositions légales abrogées ou déclarées inapplicables aux syndicats professionnels.

4. La loi des 14-17 juin 1791.

5. Elle était inspirée par les abus des anciennes corporations. 6. L'Assemblée constituante a voulu établir la liberté du travail. 7. Mais l'ouvrier isolé est réduit à l'impuissance. Lutte du capital et du travail. Grèves.

8. La nécessité de créer des caisses de résistance conduit les patrons et les ouvriers à l'association.

9. Les syndicats professionnels se fondent. Chambres syndicales de patrons. Chambres syndicales d'ouvriers.

10. L'abrogation de la loi de 1791 donne aux syndicats une existence légale.

11. Autres dispositions, postérieures à la loi de 1791 et contraires au libre fonctionnement des chambres syndicales.

12. L'article 416 du Code pénal, sur les coalitions, modifié par la loi du 27 novembre 1849.

13. Loi du 25 mai 1864 sur la liberté de coalition. Art. 414, 415, 416 du C. pénal.

14. La suppression de ces trois articles est proposée à la Chambre par le rapporteur.

15. L'article 416 est abrogé; mais les art. 414 et 415 sont main

tenus.

16. Le Sénat remet en vigueur l'art. 416.

17. La Chambre l'abroge à nouveau.

18. Nouvelle discussion au Sénat.

Discours de MM. Tolain et

Waldeck-Rousseau. L'art. 416 est définitivement abrogé.

19. Résultat de cette abrogation.

20. Inapplicabilité aux syndicats des art. 291 et suiv. du Code pénal. - Texte de ces articles. Loi du 10 avril 1834.

21. Rejet des amendements réclamant une loi générale sur la liberté d'association.

3. Le projet de loi présenté par le Gouvernement se terminait par un article 6 ainsi conçu :

<< Les dispositions antérieures qui sont contraires à la présente loi sont abrogées. »

La Commission de la Chambre des députés a pensé, avec raison, que l'abrogation des textes qui avaient entravé jusqu'alors la création des syndicats professionnels devait faire comme le frontispice de la loi nouvelle.

Il fallait également remplacer la formule trop vague du projet par une disposition plus précise, ne laissant aucune place au doute ou à l'arbitraire :

« Il nous a paru, dit M. Allain-Targé dans son Rapport, qu'une loi, surtout quand elle est une loi de liberté et de rapprochement, qui succède à une législation de défiance, ne péchait jamais par excès de clarté.

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4. Le premier texte, dont l'abrogation s'imposait, était la loi surannée des 14-17 juin 1791, dont les principales dispositions étaient ainsi conçues :

« Art. Ier. L'anéantissement de toutes les espèces de corporations des citoyens du même état et profession étant une des bases fondamentales de la constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit.

<< II. Les citoyens d'un mème état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers et compagnons d'un art quelconque, ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble, se nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs. »

5. Cette loi était la conséquence et l'application rigoureuse de la loi du 2 mars 1791 par laquelle l'Assemblée nationale avait déclaré « qu'il n'y avait plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers. »

L'une détruisait les anciennes corporations; l'autre devait les empêcher de renaître.

Avant la Révolution, l'exercice des arts et métiers était concentré dans les mains d'un petit nombre de maîtres réunis en communauté, qui pouvaient seuls, à l'exclusion de tous les autres citoyens, fabriquer ou vendre les objets du commerce particulier dont ils avaient le privilège exclusif. C'était une classification artificielle des industries, qui avait engendré la guerre entre les industries voisines, se jalousant, s'accusant d'empiétements

mutuels, et se ruinant pour satisfaire leurs inimitiés'.

Dans l'intérieur même des corporations, les droits et les intérêts des ouvriers étaient sacrifiés à l'intérêt des maîtres. La plupart des statuts avaient pour objet de restreindre autant que possible le nombre de ces derniers, et rendaient la maitrise comme héréditaire, en dispensant les fils de maîtres de l'épreuve du chef-d'œuvre; parfois ils excluaient entièrement tous autres que les fils de maîtres ou ceux qui épousaient des veuves de maîtres. D'autres rejetaient tous ceux qu'ils appelaient des étrangers, c'est-à-dire qui étaient nés dans une autre ville. Enfin, presque toujours, les difficultés du chef-d'œuvre, jugé arbitrairement, la multiplicité des frais et les formalités des réceptions avaient pour résultat d'allonger l'apprentissage et le compagnonnage, et de faire jouir les maîtres gratuitement, pendant plusieurs années, du travail des aspirants.

6. Tel est le régime qu'a aboli l'Assemblée constituante. Elle s'inspirait de cette belle pensée exprimée par Turgot dans le préambule de l'Édit de 1776 :

1 Les pâtissiers poursuivaient les boulangers et étaient poursuivis eux-mêmes par les charcutiers. Les boulangers et les charcutiers plaidaient eux-mêmes contre les cabaretiers. Il y eut un procès d'un demi-siècle entre les lormiers (fabricants d'ouvrages en cuirs) et les bourreliers qui prétendaient vendre des mors et des gourmettes. Autre procès sans fin entre les fripiers et les tailleurs. Les cordonniers harcelaient de même les savetiers qui avaient eu l'impudence de faire leurs propres souliers. Quant aux merciers, ils avaient des disputes avec tout le monde. L'esprit de monopole était poussé au point d'exclure les femmes des métiers les plus convenables à leur sexe, tels que la broderie, qu'elles ne pouvaient pas exercer pour leur propre compte.

<< Dieu, en donnant à l'homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme; cette propriété est la première, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes. >>

Elle précisait bien encore la portée de la réforme qu'elle entendait accomplir, quand elle faisait précéder son décret sur les patentes (2 mars 1791) de la déclaration qu'« il serait libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouverait bon. »

C'est sous l'inspiration de cette idée et dans la pensée d'assurer plus efficacement la liberté du travail que la Constituante rendit la loi du 17 juin 1791, proscrivant le rétablissement de ce qui, de loin ou de près, ressemblerait aux corporations.

7. C'était aller trop loin. On croyait, à cette époque, avec l'inexpérience et la confiance du premier âge, qu'il suffisait de proclamer des droits pour en assurer l'exercice efficace à tous les citoyens. On ne s'imaginait pas que la liberté reconnue du travail était insuffisante pour que l'ouvrier fût assuré de travailler, et qu'en le réduisant à l'isolement et à l'impuissance, on lui ôtait la facilité et le moyen d'user de ce droit de travailler, si solennellement proclamé.

L'ouvrier ne peut travailler, user de ses bras et de son talent qu'avec l'aide et le concours du capital, qui lui fournit les outils, les matériaux. Rien ne peut se produire que par l'union de ces deux facteurs : le capital et le travail. Mais il est nécessaire, pour que la

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