Images de page
PDF
ePub

Le premier paragraphe ne vise qu'un oubli des formalités imposées, et nous l'avons rédigé de façon que cet oubli ne fut puni que d'une peine proportionnée au peu de gravité de la contravention et contre un seul prévenu.

Le second paragraphe, au contraire, suppose une déclaration fausse et de mauvaise foi. Le projet de loi donne au tribunal le moyen de punir chacun des auteurs responsables du délit.

Le projet primitif, dans les cas d'infractions à la loi ou aux statuts, infractions qui auraient pour but de transformer un syndicat professionnel en société plus ou moins illicite, donnait au tribunal le droit de dissoudre l'association. Nous avons pensé que cette pénalité était à la fois excessive, inefficace et peu équitable;

Peu équitable et excessive, car elle rendait responsable toute une société de la faute de l'un ou de quelques-uns de ses membres, en faisant payer à de nombreux associés, à une profession tout entière, frappée dans ses intérêts les plus chers, l'imprudence préméditée d'un seul coupable, contre lequel la majorité aurait protesté;

Inefficace, car une société dissoute, si elle était sérieuse, se reformerait à l'instant même.

Il nous a paru plus conforme au droit pénal de punir seulement ceux qui, sciemment ou volontairement, auront commis quelque délit prévu par le droit commun, s'il ne s'agit que d'une tentative isolée, désavouée par les associés.

Dans l'hypothèse contraire, si le syndicat ne résistait point à ceux qui essaieraient de l'entraîner, et s'il perdait son caractère professionnel, il perdrait sans doute en même temps les immunités garanties par l'article 1er de la loi actuelle. Il en serait du syndicat comme de toute autre société civile ou commerciale, dont on emprunterait la forme pour dissimuler une action collective que le législateur ne permet point. Les délinquants ne seraient pas couverts par le titre syndical qu'ils auraient pris à tort. Cela est évident. Mais il ne faut pas confondre la répression d'une association illicite et la dissolution d'un syndicat, représentant des intérêts

moraux et matériels qui appartiennent, non pas au droit pénal, mais au droit civil et commercial, autant qu'au droit politique.

PROJET DE LOI.

Article 1er. La loi des 14 et 17 juin 1794 est abrogée. Les dispositions des articles 291, 292, 293, 294, 414, 415 et 416 du Code pénal, la loi du 10 avril 1834 et l'article 2 du décret du 25 mars et 2 avril 1852 cesseront d'être applicables aux syndicats professionnels constitués et agissant en conformité des prescriptions de la présente loi.

Art. 2. Les syndicats professionnels ou associations, même de plus de vingt personnes, exerçant la même profession ou des métiers similaires pourront se constituer librement sans l'autorisation du Gouvernement.

Art. 3. Les syndicats professionnels ont pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels et commerciaux, communs à tous leurs membres, et des intérêts généraux de leurs professions et métiers.

Ils pourront s'occuper, notamment, dans l'intérêt de leurs professions ou métiers, de la création de caisses d'assurances contre le chômage, la maladie ou la vieillesse, de l'établissement d'ateliers de refuge, de magasins pour la vente et la réparation d'outils, de l'organisation de sociétés coopératives, de l'organisation et des progrès de l'enseignement professionnel et d'autres questions de même nature.

Ils pourront servir d'offices de renseignements pour les offres et les demandes de travail. Ils pourront être choisis pour exercer les fonctions d'arbitres ou d'experts.

Art. 4. Des unions, entre des syndicats professionnels régulièrement constitués, pourront se former en vue de la protection de communs intérêts industriels et commerciaux. Les syndicats professionnels auront le droit

Art. 5.

d'ester en justice.

Ils pourront posséder et employer les sommes produites par des cotisations. Ils pourront posséder également les immeubles nécessaires à leurs réunions et à l'établissement de bibliothèques, de cours d'apprentissage et d'instruction professionnelle.

Art. 6. Huit jours avant la constitution d'une association professionnelle, ses fondateurs devront déposer les statuts et les noms de ceux qui, sous un titre quelconque, seront chargés de l'administration ou de la direction.

Ce dépôt aura lieu à la mairie de la localité où le syndicat est établi, et, à Paris, à la préfecture de la Seine.

Ce dépôt devra être renouvelé à chaque changement de la direction ou des statuts.

Art. 7. L'infraction à l'article 5 sera poursuivie contre le directeur ou l'un des administrateurs en fonction, et punie d'une amende de 16 à 50 fr.

En cas de fausse déclaration faite de mauvaise foi, l'amende pourra être portée à 500 fr.

III.

SÉNAT.

(Séance du 24 juin 1882.)

RAPPORT fait au nom de la Commission1 chargée d'examiner le projet de loi, adopté par la Chambre des députés, relatif à la création des syndicats professionnels, par M. MARCEL BARTHE, sénateur.

I.

Messieurs, le travail manuel est passé par toutes les phases de la servitude; dans un de ces beaux livres qui lui survivront, M. Jules Simon s'exprime ainsi sur ce sujet :

1 Cette Commission était composée de MM. le comte de Bondy,

« C'est une histoire souvent faite; mais on ne la fera jamais assez pour montrer combien il est difficile d'arriver aux idées simples. Tout l'avenir de l'ouvrier était dans ce seul mot émanciper. Que fait l'antiquité grecque? Elle laisse le travail aux esclaves. Que font les philosophes? Ils démontrent qu'un homme libre ne doit pas travailler de ses mains. L'un deux se charge de prouver, par la constitution physique de l'esclave, qu'il est fait pour travailler et pour servir. Le monde romain, qui occupe la scène à son tour et qui, par son métier d'oppresseur, a des esclaves à foison, voue ses citoyens à l'oisiveté et à la guerre...

« Les deux premiers ordres de la République ne font que gouverner l'État, combattre, rendre la justice; les plébéiens leur disputent cette triple fonction, et ils en ont une autre qui leur est propre, au moins jusqu'à l'Empire : c'est de valeter chez leurs patrons. Quelques-uns pourtant, de la lie du peuple, sont ouvriers situation bien inférieure à celle

des mendiants et des parasites. »

Dans les lignes que nous venons de citer, M. Jules Simon résume et précise parfaitement le point de départ de l'industrie, non-seulement pour les simples ouvriers, mais encore pour ceux qui, par leur intelligence, leur habileté et leur esprit de conduite, s'élevaient au-dessus de leurs semblables et devenaient maîtres.

Quand on compare l'état dans lequel se trouvaient les ouvriers du travail manuel, il y a deux mille ans, avec leur situation actuelle, on devient plus juste pour notre temps. Comment ne pas rendre également justice aux législateurs et aux institutions du passé qui ont permis aux travailleurs, patrons et ouvriers, d'élever progressivement leur niveau moral et d'augmenter leur bien-être, et qui enfin en ont fait des citoyens, jouissant de l'égalité civile et politique, pou

président; Brunet, secrétaire; Griffe, le baron de Larcy, Marcel Barthe, Cherpin, Tolain, Mazeau, Jules Simon.

vant, par leur mérite et par leurs services, arriver aux plus hautes fonctions de l'État?

Comment s'est opérée cette grande transformation? Est-ce par la force, par des révolutions? Non. Sans doute, les ouvriers ont profité, comme le surplus de la nation, des résultats obtenus par les révolutions politiques, mais ces révolutions n'ont pas été faites spécialement en vue de changements à opérer dans les conditions du travail. Les progrès et les améliorations que nous constatons sont dus principalement, sinon en totalité, à l'initiative des travailleurs eux-mêmes et à leur persévérance dans la poursuite de leurs desseins. Ils n'ont jamais rien obtenu par la violence, mais ils ont toujours réussi à faire accueillir par les pouvoirs publics ce qu'il y avait de juste, de fondé et de réalisable dans leurs aspirations.

Soit instinctivement, soit par réflexion, l'ouvrier a compris qu'il devait chercher ses moyens de défense et sa force dans l'association. Les corporations ouvrières sont aussi anciennes que l'industrie elle-même. «< Elles ne sont pas, dit M. Jules Simon, une invention du moyen âge; leur existence se trouve déjà consacrée par la loi des Douze-Tables, à laquelle elles sont antérieures. >>

Evidemment, les anciennes corporations n'étaient pas des associations libres et volontaires; elles constituaient, au contraire, des institutions privilégiées, soit qu'elles fussent formées de maîtres, soit qu'elles fussent composées de simples ouvriers.

Pour devenir maître, il ne suffisait pas d'être un ouvrier habile, d'avoir fait ce qu'on appelait un chef-d'œuvre, c'està-dire d'avoir confectionné un objet difficile : il fallait, de plus, qu'une maîtrise fût vacante, que les gardes du métier, jaloux du maintien des prérogatives de la corporation des maîtres, peu soucieux de leur créer des concurrents, approuvassent le chef-d'œuvre et acceptassent le candidat. Il fallait encore que celui-ci se soumît à des conditions très onéreuses, entre autres celle de l'achat du métier par une

« PrécédentContinuer »