Images de page
PDF
ePub

textes spéciaux; qu'en les supprimant, la justice restait armée, la liberté et la sécurité du commerce et de l'industrie suffisamment protégées. La Chambre donna gain de cause à M. Ribot.

L'article 416 figura seul parmi ceux qu'abrogeait la loi nouvelle1.

16. Peu s'en est fallu que l'article 416 lui-même ne fût maintenu. Lorsque le projet voté par la Chambre fut présenté au Sénat, le rapporteur, M. Marcel Barthe, proposa une rédaction faisant disparaître l'article 416 du nombre des dispositions abrogées par le projet.

La Chambre des députés avait maintenu en vigueur les articles 414 et 415, punissant les actes de violence matérielle; il fallait protéger aussi l'individu contre la violence morale, et tel est, disait-on, le but de l'article 416. Ce n'est pas le simple accord entre les ouvriers, ajoutait-on, que prévoit l'article 416, c'est la pression résultant de ce fait qu'on impose des amendes aux dissidents 2.

Malgré les efforts de M. Tolain, demandant au rapporteur de préciser en quels cas l'article 416 pouvait s'appliquer sans atteindre l'action légitime des syndicats; malgré l'argumentation très-pressante de M. Griffe, faisant remarquer que la loi ne punit pas l'action individuelle pour arriver à une cessation de travail, et que le syndicat, une fois constitué, est une personnalité à

1 Séance du 17 mai 1881. Journ. off. du 18.

2 Rapport de M. Marcel Barthe (Journal offic., 1882. Doc. parlem., Sénat, p. 329).

laquelle on ne peut interdire ce qui est permis à l'individu, la proposition du rapporteur fut adoptée. La loi votée par le Sénat laissait en vigueur l'article 416'.

17. La Chambre, à laquelle fut renvoyée le Projet modifié par le Sénat, maintint sa première décision.

[ocr errors]

18. La Commission sénatoriale, à laquelle le Projet fut une seconde fois soumis, était animée d'un esprit tout différent de la première. Elle avait choisi pour rapporteur M. Tolain, l'adversaire de l'article 416. Il en proposa l'abrogation. « Le maintien de l'article 416 a été demandé, disait le rapporteur, par la minorité de votre Commission. Malgré une longue discussion, il nous a été impossible de dégager d'une manière claire, précise, dans quels cas, selon nos honorables collègues, l'article 415 devait être appliqué, s'il était maintenu. Depuis la loi de 1864, la coalition n'est plus un délit, disions-nous; vous allez reconnaître le droit d'association au point de vue professionnel et vous admettez que les ouvriers pourront légitimement s'en servir pour défendre leurs salaires. Pour cela, ils devront nécessairement s'entendre et se concerter. Or, c'est justement l'entente et le concert que l'article 416 interdit de la manière la plus formelle... Les grévistes pourront donc toujours être poursuivis, condamnés, et le maintien de l'article 416 ne serait autre chose que la négation de la loi de 1864. Nos collègues ont insisté, disant que l'article 416 ne contenait pas une interdiction formelle du

Journ. offic., 1882. Sénat, Débats parlem., p. 813 et suiv.

concert et de la grève, qu'il était applicable seulement dans les cas où la pression exercée par des meneurs prenait un caractère d'immoralité, qui se révélait par l'emploi de défenses et d'amendes. Nous avons répondu à nos collègues que, partout où il y a entente, il y a plan concerté, il y a des amendes; et, en ce qui concerne les amendes et les défenses, nous avons rappelé les paroles de M. Ribot, disant à la Chambre des députés Il est incontestable que si vous donnez aux syndicats la liberté de s'organiser à l'état de lutte, il faut leur permettre de procéder au moins vis-à-vis de leurs membres par certaines sanctions, certaines amendes ou interdictions, dont nous n'admettrons pas la validité au point de vue du droit civil, mais qui, au point de vue du droit pénal, ne peuvent être l'objet d'une incrimination. >>

:

M. Tolain rappelait enfin que le projet de loi contenait un article 6, aux termes duquel « tout membre d'un syndicat professionnel peut se retirer à tout instant de l'association, nonobstant toute clause contraire, » de sorte que personne n'est obligé de s'incliner devant une décision qu'il désapprouve1.

La discussion recommença, très-vive, et occupa deux séances entières, celles des 17 et 18 janvier 18842. L'intervention de M. Waldeck-Rousseau, ministre de l'intérieur, assura le triomphe de la Commission. Il précisa, avec une remarquable netteté, les points en discussion et fit comprendre, avec une grande vi

1 Journ. offic., 1884. Sénat, Doc. parl., p. 1118.

2 Journ. offic., 1884. Sénat', Déb. parl., p. 23 et 199.

gueur de raisonnement, que maintenir l'article 416, c'était réduire à néant le droit de coalition, ou tout au moins le faire dépendre de l'arbitraire des parquets, libres d'invoquer ou de laisser sommeiller les dispositions de la loi.

Prenant les articles 414 et 415, énumérant les faits de pression punis par ces articles, les violences, les menaces, les manoeuvres frauduleuses, M. WaldeckRousseau demandait s'il y avait une circonstance, en dehors de celles-là, qui puisse rendre coupable et punissable un acte permis.

Puis il recherchait le sens de l'article 416 : « Cet article permet-il de se concerter en vue d'obtenir la cessation du travail? L'honorable M. Marcel Barthe répond Oui! Je lui demande immédiatement : Qu'est-ce que le concert? C'est l'entente, c'est une convention obtenue du libre consentement des parties. Or, connaissez-vous des obligations de faire, des conventions ayant pour objet soit un sacrifice, soit un effort de l'activité humaine, qui ne soient pas des conventions considérées comme absolument inertes par la loi, si elles n'ont pas de sanction? Pour ma part, je n'en connais pas. C'est ce qui fait que toute obligation qui a un autre objet que le versement d'une somme d'argent n'est considérée comme vivante, comme susceptible de produire des fruits et des conséquences qu'autant qu'elle est garantie par une peine; c'est ce qu'on appelle une clause pénale et ce qu'on peut appeler, dans cette circonstance, pour ne pas employer d'autres mots que ceux dont on s'est servi dans le débat, l'amende, par exemple... Je retiens

donc de cette première partie de l'examen auquel je me livre, d'abord qu'il est permis de se concerter, et ensuite qu'il est permis, pour sanctionner ce concert, d'édicter certaines clauses pénales, telles que des amendes. Quand donc l'article 416 recevra-t-il son application? L'honorable M. Marcel Barthe nous l'a dit. Vous pouvez vous concerter, la loi n'a rien à dire. Vous pouvez stipuler des clauses pénales pour garantir le maintien du concert; la loi pénale n'a pas à intervenir, mais à une condition toutefois c'est que, par ce concert, vous n'arriviez pas à la cessation du travail. Si vous arrivez à la cessation du travail, en employant deux moyens dont il a lui-même reconnu la légitimité, le délit commence, de sorte que, dans votre propre doctrine, on peut s'entendre, et vous ne forcez pas les gens à former une entente dépourvue de toute sanction, vous leur permettez encore de l'étayer, de la sanctionner par certaines stipulations, notamment par des clauses pénales... Vous reconnaissez encore que la cessation du travail n'est pas interdite par elle-même et que la coalition, dégagée de tout autre élément délictueux, n'est pas un fait punissable;... et vous arrivez cependant, quand il s'agit de maintenir ou de supprimer l'article 416, à une doctrine que je résume, ou que je crois fidè lement résumer ainsi : Quand on sera arrivé à un but licite, la cessation du travail, par des moyens permis, l'entente et la clause pénale, on tombera cependant sous l'application de l'article 4161! »

1 Journ. off., 1884, loc. cit., p. 193.

« PrécédentContinuer »