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Cette pressante démonstration ne pouvait manquer de produire son effet. L'article 416 fut abrogé en première lecture par 144 voix contre 117.

Mais il ressuscita, légèrement amendé et modifié, lors de la deuxième délibération.

MM. Marcel Barthe, Gustave Denis et Dauphinot présentèrent un amendement ainsi conçu :

« L'article 416 du Code pénal est modifié ainsi qu'il suit :

« Toute prononciation d'amendes, défenses, proscriptions, interdictions, avec mise en interdit ou à l'index, soit contre un ou plusieurs ateliers, soit contre un ou plusieurs ouvriers, constitue un délit d'atteinte au libre exercice de l'industrie et du travail.

« Ceux qui s'en rendront coupables comme auteurs ou complices, seront punis d'un emprisonnement de six jours à trois mois, et d'une amende de 16 francs à 300 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement. » Nous avons, disaient les auteurs de l'amendement, fait disparaître de l'ancien article 416 les dispositions qui semblaient prohiber tout concert entre ouvriers; nous ne laissons subsister que la prohibition des violences qui rendent ce concert dangereux pour la sécurité publique. Et l'on insistait à nouveau sur le despotisme des collectivités, sur les atteintes qui, non-seulement en France, mais en Angleterre, aux États-Unis, avaient été portées par les règlements des syndicats à la liberté du travail.

M. Tolain n'eut pas de peine à montrer que la nouvelle rédaction serait, si elle était adoptée, plus rigou

reuse encore que l'ancienne. D'après l'article 416, il fallait, pour qu'il y eût délit, trois conditions: plan concerté, prononciation d'amendes et d'interdictions, cessation du travail.

Avec le nouvel article, que le plan fût concerté ou non, qu'il y ait eu ou non cessation de travail, dès qu'il y avait interdit, le juge était contraint de sévir, sans même pouvoir apprécier la nature ou le caractère du fait incriminé.

L'amendement fut repoussé par 156 voix contre

1171.

19. Telle est, en ce qui concerne les coalitions, la législation en vigueur :

Abolition de l'article 416; c'est-à-dire droit pour les ouvriers ou les patrons de s'entendre, de s'unir, de prendre entre eux des engagements, sanctionnés au besoin par des amendes ou toute autre clause pénale, pour aboutir même à la cessation du travail.

Maintien des articles 414 et 415, c'est-à-dire des délits spéciaux, résultant des menaces, violences, voies de fait ou manoeuvres frauduleuses qui auraient accompagné la coalition 2.

Encore une fois nous exprimons le regret que, de même que l'article 416, les articles 414 et 415 n'aient pas disparu, et qu'au lieu du droit commun on ait jugé

1 Jour. off., 1884. Sénat, Déb. parl., pages 439 et suiv., séance du 21 février.

2 Voy. la circulaire de M. le ministre de l'intérieur, du 25 août 1884, sur l'application de la loi du 21 mars 1884. Journ. off. du 28 août.

bon de continuer à appliquer une pénalité spéciale, en constituant un véritable « délit de classe. >>

Cette abrogation peut d'ailleurs trouver sa place en dehors de toute loi sur les syndicats professionnels.

Les défenseurs mêmes des articles 414 et 415 ont reconnu que la rédaction en était défectueuse. Il est permis d'espérer que la question ne tardera pas à être examinée à nouveau et résolue dans un sens plus conforme à la fois à l'équité et aux vrais principes du droit pénal. 20. Les autres dispositions, déclarées non applicables aux associations syndicales, sont celles qui, depuis 1810, ont prohibé en France la liberté d'association, à savoir les articles 291 à 294 du Code pénal et la loi du 10 avril 1834.

Elles sont ainsi conçues :

CODE PÉNAL, LIVRE III, SECTION VII.

Des associations ou réunions illicites.

« Art. 291. Nulle association de plus de vingt personnes, dont le but sera de se réunir tous les jours ou à certains jours marqués, pour s'occuper d'objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu'avec l'agrément du Gouvernement et sous les conditions qu'il plaira à l'autorité publique d'imposer à la société.

« Dans le nombre des personnes indiqué par le présent article, ne sont pas comprises celles domiciliées dans la maison où l'association se réunit. >>

« Art. 292. — Toute association de la nature ci-des

sus exprimée, qui se sera formée sans autorisation, ou qui, après l'avoir obtenue, aura enfreint les conditions à elle imposées, sera dissoute.

« Les chefs, directeurs ou administrateurs de l'association seront en outre punis d'une amende de 16 à 200 francs. »

« Art. 293. Si par discours, exhortations, invocations ou prières, en quelque langue que ce soit, ou par lecture, affiche, publication ou distribution d'écrits quelconques, il a été fait, dans ces assemblées, quelque provocation à des crimes ou à des délits, la peine sera de 100 francs à 300 francs d'amende, et de trois mois à deux ans d'emprisonnement contre les chefs, directeurs et administrateurs de ces associations; sans préjudice des peines plus fortes, qui seraient portées par la loi contre les individus personnellement coupables de la provocation, lesquels, en aucun cas, ne pourront être punis d'une peine moindre que celle infligée aux chefs, directeurs et administrateurs de l'association. »>

« Art. 294. Tout individu qui, sans la permission de l'autorité municipale, aura accordé ou consenti l'usage de sa maison ou de son appartement, en tout ou en partie, pour la réunion des membres d'une association même autorisée, ou pour l'exercice d'un culte, sera puni d'une amende de 16 francs à 200 francs. »

LOI DU 10 AVRIL 1834, SUR LES ASSOCIATIONS.

« Art. 1er. Les dispositions de l'article 291 du Code pénal sont applicables aux associations de plus de vingt

personnes, alors même que ces associations seraient partagées en sections d'un nombre moindre, et qu'elles ne se réuniraient pas tous les jours ou à des jours marqués. L'autorisation donnée par le Gouvernement est toujours révocable. >>

21. Certains membres de la Chambre des députés, et, après eux, un certain nombre de sénateurs auraient voulu que le projet de loi sur les syndicats professionnels fùt transformé en un projet d'une portée plus générale, abrogeant pour tout le monde les dispositions que nous venons de citer, et organisant d'une façon complète la liberté d'association'.

Il leur fut répondu qu'une loi générale sur les associations était très complexe, qu'elle entraînait l'examen de questions graves, telles que la personnalité civile et la faculté d'acquérir, qui devaient être résolues différemment suivant le caractère particulier des divers genres d'associations, qu'enfin la discussion en serait longue et laborieuse. Il importait de ne point condamner à une longue attente les syndicats professionnels, qui depuis longtemps existaient, qui avaient fait leurs preuves, et dont il s'agissait seulement de régulariser la situation 2.

Faire une loi sur les syndicats professionnels, c'était détacher à l'avance un chapitre de la loi complète, qui devait intervenir plus tard.

1 Un contre-projet en ce sens fut déposé le 24 février 1881 à la Chambre des députés par M. Keller. Mais, avant toute discussion, il fut retiré par son auteur.

2 Rapport de M. Allain-Targé et de M. Marcel Barthe, loc. cit.

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