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Il est certain que cette façon de procéder était beaucoup plus favorable à la cause des syndicats. On ne peut méconnaître cependant qu'elle n'entraîne certaines anomalies 1.

Le remède est dans une prompte discussion des projets sur la liberté d'association, dont les Chambres sont actuellement saisies 2. Ainsi disparaîtraient et une inégalité choquante, et le danger que peut offrir l'octroi de la liberté à certaines personnes ou à certains actes à l'exclusion des autres. Une liberté n'est un péril que quand une autre liberté, qui lui servirait de contrepoids, n'existe pas. Rien n'est dangereux dans la liberté, pour quiconque a toute la liberté.

1 Voy. le discours de M. Cantagrel dans la séance du 16 mai 1881, Journal off., 1881. Chambre, Déb. parl., p. 913.

2 Projets déposés au Sénat, par M. Dufaure, le 17 juin 1880, M. Waldeck-Rousseau, ministre de l'intérieur, le 23 octobre 1883.

par

CHAPITRE II.

Liberté accordée aux syndicats professionnels. Leur composition et leur objet.

ARTICLE 2.

Les syndicats ou associations professionnelles, même de plus de vingt personnes exerçant la même profession, des métiers similaires, ou des professions connexes, concourant à l'établissement de produits déterminés, pourront se constituer librement sans l'autorisation du Gouvernement.

Sommaire.

22. Objet de l'article. Définition précisant à quelles associations s'applique la loi.

Les syndicats professionnels peuvent comprendre tous ceux qui concourent, par leur travail, à une même œuvre, quelque distinctes que soient leurs industries.

23. Rejet des amendements de MM. Beauquier et Dautresme, autorisant, dans les petites localités, la création de syndicats entre ouvriers exerçant des professions non similaires.

22. Il importait que les avantages accordés par la loi aux syndicats professionnels ne fussent point usurpés par des personnes absolument étrangères aux intérêts professionnels, et qui transformeraient ces associations

en véritables sociétés politiques ou religieuses. Le Gouvernement, dans son projet, avait parlé de personnes « exerçant la même profession ou le même métier. » La Commission de la Chambre des députés, craignant que ces termes ne fussent trop restrictifs, et voulant autoriser l'union entre corps de métiers dont l'industrie concourt au même but, remplaça ces termes par ceux-ci : << exerçant la même profession ou des métiers similaires. » Le terme employé était évidemment plus large, mais il manquait de précision. L'observation en avait été faite au Sénat par M. Lenoël, lorsque le projet y fut discuté pour la première fois; cependant on avait passé outre. Mais la deuxième Commission chargée d'examiner le projet revenant de la Chambre, crut bon de modifier la rédaction de l'article, en ajoutant ces mots : « ou des professions connexes concourant à l'établissement de produits déterminés. »« Vous vous rappelez, dit M. Tolain, rapporteur, que lors de la première délibération, quand il s'est agi de déterminer quels étaient les ouvriers qui pourraient composer des syndicats, on a indiqué tout naturellement les ouvriers exerçant la même profession, en ajoutant : « et des métiers similaires. » Mais les explications qui ont été données par les différents orateurs que vous avez entendus ont démontré que le mot similaire n'était pas compris de la même façon par tout le monde. Les uns traduisaient le mot : similaire par : qui est de même nature, qui est semblable ou analogue, c'est-à-dire qu'ils admettaient que les ouvriers travaillant soit le fer, soit le bois, et dont les métiers divers comportent certains points communs à tous,

exercent des professions similaires. Les autres, au contraire, semblaient donner au mot similaire une extension beaucoup plus grande, et admettre, en conséquence, qu'il pourrait se créer des associations constituées de professions formant une grande famille industrielle, comme l'industrie du bâtiment qu'on a citée. Eh bien! on change évidemment la valeur réelle et la signification du mot similaire, si on l'applique à toutes les professions que comprend l'industrie du bâtiment, depuis les tailleurs de pierre jusqu'aux vitriers et aux peintres. Ce sont là des professions qui se commandent, qui sont connexes, mais non pas des professions similaires, dans la véritable acception du mot.

« C'est pour donner à l'article 2 une rédaction plus claire et plus précise que la Commission, sans rien changer au reste de l'article, a ajouté le membre de phrase « ou des professions connexes, concourant à l'établissement de produits déterminés1. »

Il résulte de ces explications que la faculté de s'associer est donnée, dans le sens le plus large, à tous les patrons ou ouvriers, pouvant concourir par leur travail à une même œuvre, quelque distinctes que soient leurs industries. Elle peut être pratiquée non-seulement par des personnes habitant la même localité, mais entre patrons ou ouvriers répandus sur tout le territoire. La loi ne contient à ce sujet aucune limitation 2.

Les étrangers (sauf ce qui est dit à l'article 10, § 2),

1 Séance du 21 février 1884. Journ. off., 1884, Sénat, Déb. parl., p. 450.

2 V. le Commentaire de l'art. 4 ci-dessous, p. 65 et suiv.

les femmes, en un mot tous ceux qui ont la capacité de faire des conventions valables, peuvent faire partie d'un syndicat1.

23. Lors de la première discussion qui eut lieu à la Chambre des députés, M. Beauquier déposa un amendement tendant à ce que, dans les centres d'une population inférieure à 20,000 âmes, les associations syndicales puissent être permises entre des ouvriers exerçant des professions mème non similaires. Il faisait valoir, à l'appui de cet amendement, les difficultés qu'éprouveraient les individus du même métier, en très petit nombre dans les centres peu populeux, pour constituer une association syndicale. A côté du but professionnel corporatif, qui consiste à s'occuper des intérêts du métier, les syndicats ont un but plus général : veiller aux intérêts économiques et moraux des travailleurs. Or, ce dernier but peut être poursuivi entre des professions même non similaires 2.

Cet amendement avait le grave inconvénient de faire une loi spéciale à certaines localités. Il était rendu inutile par la rédaction, déjà très large et encore étendue dans la suite, de l'article 2, et aussi par un article ultérieur autorisant l'union entre les syndicats. Enfin, il présentait un danger, que M. Martin Nadaud fit ressortir

1 V. Circulaire de M. le ministre de l'intérieur du 25 août 1884. Le Sénat a refusé, dans la séance du 23 février 1884, de prendre en considération un article additionnel de M. Lalanne excluant les femmes et les mineurs.

2 Séance du 9 juin 1881. Journ. off., 1881, Chambre, Doc. parl., p. 1161.

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