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difficultés et des embarras pour les syndicats professionnels 1.

Le projet présenté par le Gouvernement exigeait que le dépôt des statuts fût effectué quinze jours avant le premier acte de fonctionnement. La Commission de la Chambre avait réduit cet intervalle à huit jours; puis, à la suite des remaniements introduits dans la rédaction de l'article 4 par le vote de l'amendement Ribot, toute indication de ce genre a disparu.

Le dépôt des statuts pourra donc avoir lieu jusqu'au dernier moment, pourvu qu'il précède le premier acte de fonctionnement2.

Quant aux syndicats existants, il eût été naturel de leur fixer un délai pour faire cette déclaration. On n'y

1 Séance du 29 janvier 1884. Journ. off., 1884, Sénat, Déb. parl., p. 204.-L'Union des chambres syndicales ouvrières de France avait énergiquement protesté dans un rapport présenté à la Commission du Sénat contre la communication des statuts au Parquet : « Sans vouloir, y était-il dit, taxer de partialité la magistrature, il nous semble que la communication des statuts au procureur de la République ne doit avoir lieu qu'en cas de contravention à la loi, et que la constatation ne doit en être faite que par le service administratif compétent. Ce serait d'ailleurs établir une espèce de défiance non justifiée par le moindre fait, puisque la loi n'a pas encore été mise en vigueur » (V. Journ. off., 1884, Sénat, Déb. parl., p. 1122). L'inobservation de cette formalité par le maire ou le préfet n'engagerait pas la responsabilité du syndicat.

Le parquet n'a d'ailleurs pas le droit de s'opposer à la formation du syndicat. Il ne peut que le poursuivre et le faire dissoudre (Voy. art. 8 et 9).

2 Il s'agit, bien entendu, du fonctionnement effectif et non d'actes préliminaires. Voy. d'ailleurs le discours de M. Waldeck-Rousseau rapporté ci-dessus, no 34, p. 54.

aurait sans doute pas manqué, si l'on n'avait pas omis ces dispositions transitoires qu'on rencontre dans toutes les lois bien faites.

En l'absence de tout délai légal, nous devons dire que les formalités de l'article 4 devaient être remplies dès l'instant de la promulgation de la loi. Cette promulgation a constitué pour elles une sorte de mise en demeure de se transformer suivant les prescriptions de la loi nouvelle.

Divers points, que la loi n'avait pas précisés, ont été fixés par la circulaire de M. le ministre de l'intérieur du 25 août 1884 :

Ainsi la loi ne fixe pas le nombre d'exemplaires des statuts qui doivent être déposés. Conformément à la pratique du ministère de l'intérieur, le nombre doit être de deux.

La loi ne prescrit ni la rédaction des statuts sur papier timbré, ni l'impression. Ils pourront donc être écrits à la main, sur papier libre. Ils devront être certifiés par le président et le secrétaire.

Il n'est pas nécessaire que ce dépôt soit accompagné d'une déclaration spéciale des déposants, pourvu que les noms des directeurs et administrateurs soient inscrits à la suite des statuts, s'ils ne figurent pas dans le texte.

Le dépôt est constaté par un récipissé du maire et, à Paris, du préfet de la Seine. Ce récipissé, qui peut être établi sur papier libre, est exigible immédiatement.

Il doit être tenu dans chaque mairie un registre spécial où seront mentionnés à leur date le dépôt des sta

tuts de chaque syndicat, le nom des administrateurs ou directeurs, la délivrance du récépissé de dépôt.

37. Le rapporteur de la Chambre en 1883 avait indiqué, outre la préfecture de la Seine, le ministère du commerce pour le dépôt des déclarations faites à Paris. C'était la conséquence d'une disposition créant, au ministère du commerce, une Commission spéciale chargée de centraliser tous les renseignements qu'il serait possible de recueillir sur la création et le fonctionnement des syndicats professionnels. Cette Commission, fonctionnant sous la présidence du ministre du commerce, et composée de sénateurs et de députés, devait, chaque année, présenter au Parlement un rapport sur le fonctionnement des syndicats, leur composition, leurs statuts, les grèves projetées, évitées ou réalisées.

C'était enlever au ministère de l'intérieur les attributions qu'il avait jusqu'alors exercées : la Commission de sénateurs et de députés que visait le projet de loi devait fatalement se substituer au bureau des sociétés professionnelles, qui, depuis sa création, avait rendu des services appréciés.

En présence de l'opposition de M. le ministre de l'intérieur, la Chambre repoussa l'article 7, qui instituait ce comité1.

Dès lors, le dépôt au ministère du commerce devenait sans objet. Il disparut du projet de loi.

38. Le dernier paragraphe de l'article 4 exige de

1 V. séance du 19 juin. Journ. off., 1883, Chambre, Déb. parl., p. 1361.

tout membre chargé de l'administration ou de la direction des syndicats la qualité de Français, jouissant de ses droits civils.

Dans le projet du Gouvernement figurait un article spécial, ainsi conçu : « Les syndicats professionnels ne pourront être formés qu'entre Français, jouissant de leurs droits civils. >>

Les étrangers étaient donc absolument exclus de la liberté de créer des syndicats.

39. La Chambre refusa d'entrer dans cette voie. Elle considéra que sur le territoire français il y avait place même pour les ouvriers étrangers et que tous ceux qui apporteraient à la France leur travail et leur talent devraient être admis à jouir de la libéralité de la loi. Elle avait été saisie d'ailleurs de nombreuses pétitions qui la suppliaient de ne pas tenir à l'écart les ouvriers étrangers, dont on ferait, à la suite de cette exclusion, des groupes hostiles. Il était utile, au contraire, de les comprendre dans les syndicats, de les y englober, de les entraîner dans le grand mouvement de l'industrie française.

L'article 4 du projet du Gouvernement disparut du projet de la Commission.

40. Mais, lors de la seconde lecture, M. Pierre Legrand fit voter, malgré l'opposition du rapporteur, un amendement, sous forme de paragraphe additionnel à l'article 4, ainsi conçu

<< Les membres de tout syndicat professionnel, chargés de l'administration ou de la direction de ce syndicat doivent être Français.

Il le justifia par des craintes et des suspicions, que nous ne pouvons pas nous empêcher de trouver exagérées et quelque peu puériles:

« Sur nos frontières de l'Est, du Midi, du Nord, dit l'auteur de l'amendement, nous avons dans la classe ouvrière de nombreux étrangers qui viennent se mêler aux Français et prendre part à leurs travaux ; ils feront certainement partie des syndicats; jusqu'ici je n'ai rien à dire. Mais il se peut qu'à côté des syndicats professionnels français, représentant l'élément français, qui seront dirigés par des Français, par des patriotes, il se forme des syndicats professionnels, composés exclusivement d'étrangers et qui, si vous adoptez la loi telle qu'elle a été votée en première délibération, pourront ètre dirigés ou administrés par des étrangers. A côté d'un syndicat français, vous aurez le syndicat étranger. Et alors, au point de vue du travail et de la défense des intérêts mêmes que vous voulez protéger, vous encouragerez par votre loi une lutte entre deux éléments pouvant avoir des intérêts différents.

« Ce n'est pas tout. Au point de vue du patriotisme, il se présente un danger plus grand. Vous allez mettre un pouvoir énorme aux mains d'un étranger, comme administrateur d'un syndicat qui s'intitulera, à tort peut-être, syndicat professionnel. Cet étranger aura sous ses ordres un grand nombre d'individus; en ayant la disposition de la caisse du syndicat, il pourra à tout instant exercer son influence au détriment même des intérêts français sur toutes nos frontières; à un moment

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