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un esprit très-libéral. Il faisait disparaître tous les textes qui avaient entravé jusqu'alors le libre fonctionnement des syndicats et le libre exercice du droit de coalition, proclamé en principe par la loi du 25 mai 1864. Il reconnaissait aux syndicats professionnels nonseulement, comme le projet du Gouvernement, une existence légale, mais une véritable personnalité et un minimum indispensable de droits civils. Il consacrait enfin la pratique déjà ancienne des unions entre syndicats.

La discussion de ce projet occupa six séances, du 16 mai au 9 juin 1881.

Elle fit grand honneur à la Chambre, par l'esprit de progrès et de libéralisme, par la science juridique dont firent preuve ses principaux orateurs.

Il en sortit une loi méritant d'être accueillie par tous les travailleurs sérieux.

Elle fut transmise par le Gouvernement au Sénat le 21 juin 1881.

M. Marcel Barthe déposa le 24 juin 1882 le rapport qu'il avait rédigé au nom de la Commission, et qu'il compléta, après la première délibération, par un rapport supplémentaire. C'était un travail très-consciencieux, très-complet; mais l'auteur y cédait trop facilement à certaines appréhensions plus vagues que réfléchies. Il montrait une défiance excessive de la liberté et de ceux qui étaient appelés à en faire usage.

Ces sentiments étaient partagés, malheureusement, par la majorité du Sénat.

La discussion s'ouvrit le 1er juillet 1882; elle se termina le 1er août. Sans méconnaître l'éloquence et la connaissance du droit qui y furent déployées, on peut dire que le projet sortit mutilé des mains du Sénat. Maintien de l'article 416 du Code pénal, qui interdisait le concert entre patrons ou entre ouvriers en vue d'une suspension du travail, suppression de la faculté d'union entre syndicats, pénalités rigoureuses créant même sous certains rapports une loi d'exception: tel fut le résultat de méfiances injustifiées, inspirées par les excès de réunions publiques, qui n'avaient aucun rapport avec les syndicats, et les discours de révolutionnaires, qui n'avaient d'ouvrier que le nom.

Le 11 décembre 1882, le projet, ainsi modifié, était transmis à la Chambre des députés. Un nouveau rapport était déposé, au nom de la Commission, par M. Lagrange, dans la séance du 6 mars 1883.

La discussion s'ouvrit le 12 juin 1883; elle se termina le 19 juin.

Un brillant tournoi oratoire s'engagea entre les admirateurs du passé, voulant restaurer sous la bannière catholique les corporations de l'ancien régime, et les défenseurs des idées modernes, réclamant pour l'ouvrier la simple pratique de la liberté et de l'égalité. MM. de Mun, de Lanjuinais, de La Bassetière, d'une part; Edouard Lockroy, Frédéric Passy, Charles Floquet, Clémenceau, d'autre part, se livrèrent à une véritable joûte d'éloquence.

La Chambre, tout en faisant sur quelques points de détail des concessions aux scrupules du Sénat, main

tint d'une façon très-ferme les dispositions fondamentales du projet voté par elle en 1881.

Le résultat de ses délibérations fut soumis au Sénat, pour la seconde fois, le 28 juillet 1883.

Depuis sa première discussion, le Sénat avait subi un renouvellement partiel, qui avait eu pour résultat de grossir le nombre des partisans de l'esprit de tolérance et de liberté.

La Commission choisit pour rapporteur M. Tolain, qui avait été en 1881 le défenseur infatigable des syndicats. Dans son Rapport, déposé le 14 décembre 1883, M. Tolain proposa l'adoption pure et simple du projet renvoyé par la Chambre.

Grâce à ses efforts, à l'expérience et à l'autorité que lui donnait une existence passée tout entière au milieu des ouvriers, grâce aussi à l'intervention décisive de M. Waldeck-Rousseau, ministre de l'Intérieur, dont la parole claire et précise venait à bout de toutes les hésitations et dissipait tous les doutes, le projet, définitivement adopté par le Sénat, conserva aux syndicats le caractère d'institutions véritablement démocratiques, que lui avaient donné ses auteurs (15 janvier-23 février 1884).

Malgré certaines imperfections, certaines restrictions, imposées encore par les tendances toujours un peu timorées du Sénat, la Chambre, après un rapport som maire de M. Lagrange, adopta la loi telle qu'elle lui fut renvoyée, afin de ne pas décourager par une attente indéfinie la classe nombreuse de travailleurs, patrons ou ouvriers, qu'elle intéressait (Séance du 13 mars 1884).

Telle qu'elle est, la loi du 21 mars 1884 met incontestablement aux mains des patrons et des ouvriers des diverses professions un instrument précieux de progrès matériel, moral et intellectuel.

Sa mise en pratique suffira pour amener, avec l'aide du temps et la bonne volonté du législateur, les améliorations dont l'expérience aura révélé la nécessité1.

1 Chaque discussion soit au Sénat, soit à la Chambre donne lieu, sauf le cas d'urgence déclarée, à deux délibérations. L'urgence a été déclarée à la Chambre pour les deux dernières discussions; elle ne l'a jamais été au Sénat. La loi a donc été l'objet de cinq délibérations à la Chambre, et six délibérations au Sénat. Présentation du projet à la Chambre, 22 novembre 1880, Journ. off. du 23, p. 11677.-Rapport de M. Allain-Targé, 15 mars 1881, Journ. off. 1881, Chambre, déb. et doc. parl., p. 361; Discussion à la Chambre 1re délibération, séances des 16, 17, 21, 23, 24 mai 1881; 2e délibération, séance du 9 juin 1881, Journ. off. 1881, Chambre, déb. parl., p. 909 à 1006 et 1159 à 1170. Présentation au Sénat, 21 juin 1881, Journ. off. 1881, Sénat, doc. parlem., p. 440. · Rapport de M. Marcel Barthe, 24 juin 1882, Journ. off. 1882, Sénat, doc. parl., p. 329. - Discussion au Sénat: 1re délibération, séances des 1, 8, 11, 12, 17 juillet 1882, Journ. off. 1882, Sénat, déb. parl., p. 707-740, 747-804, 809-820; 2e délibération, séances des 29, 30 juillet, 1er août 1882, Journ. off. 1882, Sénat, déb. parl., p. 956, 967-991; - Transmission du projet voté par le Sénat à la Chambre, 11 décembre 1882, Journ. off. 1882, Chambre, doc. parl., annexe 1492. Rapport de M. Lagrange, 6 mars 1883, Journ. off. 1883, Chambre, doc. parl., p. 396. Discussion : séances des 12, 16, 18, 19 juin 1883, Journ. off. 1883, Chambre, déb. parl., p. 1276-1284; 1312-1362. Présentation au Sénat du projet modifié par la Chambre, 28 juillet 1883, Journ. off. 1883, Sénat, doc. parl., p. 993. Rapport de M. Tolain, 14 décembre 1883, Journ. off. 1884, Sénat, doc. parl., p. 1117; Discussion: 1re délibération, séances des 15, 16, 25, 27, 28 janvier; 1er et 2 février 1884, Journ. off. 1884, Sénat, déb. parl., p. 15-38; 167-254; 2e délibération, séances des 21, 22, 23 février 1884, Journ. off. 1884,

2. En tête du projet, figure l'abrogation des lois contraires à la loi nouvelle.

Viennent ensuite les dispositions réglant:

L'existence légale des syndicats professionnels, leur composition, leur objet;

Les formalités imposées aux syndicats, le dépôt des statuts, la nationalité des administrateurs et directeurs; Les unions entre syndicats;

La personnalité civile reconnue aux syndicats; l'étendue et les limites des facultés qui leur sont concédées par la loi; la liberté garantie à chaque membre de se retirer de l'association;

Les sanctions civiles et pénales des prescriptions de la loi;

L'application de la loi en Algérie et dans les colonies de la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion.

Nous étudierons successivement ces matières, dans l'ordre où la loi les présente.

Sénat, déb. parl., p. 439-482;

Transmission à la Chambre le 28

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février 1884, Journ. off., 1884, Chambre, doc. parl., p. 560. Adoption par la Chambre du projet définitif du Sénat : séance du 13 mars 1884, Journ. off. 1884, Chambre, déb. parl., p. 737-743. -- Promulgation, Journ. off., 22 mars 1884, p. 1577.

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