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porations s'étaient décidées à racheter elles-mêmes les charges vacantes ou nouvelles.

Mais on n'est pas toujours quitte en payant! Les choses vinrent à ce point, que les corps d'arts et métiers furent bientôt réduits à se recruter parmi les personnes riches, étrangères à la profession, comme si « l'on choisissait, pour gouverner un vaisseau, celui des voyageurs qui est de meilleure maison 1. >>

Et plus d'un dut songer à cette situation, quand il entendait, dans les Précieuses ridicules, affirmer que les gens de qualité savent tout, sans avoir jamais rien appris. >>

Aussi, les ouvriers habiles durent-ils, par suite de l'élévation du taux des droits de réception, renoncer à la maîtrise, et de là vient sans doute la haine profonde du peuple contre les corporations.

VI. Telle est, jusqu'en 1776, l'histoire législative des corps d'arts et métiers en France.

Qu'étaient-ce donc, dans leur fonctionnement intérieur, que ces maîtrises, ces jurandes, ces compagnonnages? Comment s'étaient-ils formés, et comment avaient-ils grandi?

Sous l'ancien régime, l'association des gens de travail revêt deux formes bien distinctes les corporations, corps ou communautés d'arts et métiers,

1 Pascal.

qui sont pour ainsi dire des associations patronales, et les compagnonnages, qui sont des associations ouvrières.

Les premières, qui, en 1673, étaient au nombre de 60, et de 120, en 1691, avec leurs conditions de domicile, d'apprentissage, de confection d'un chefd'œuvre, d'admission à la maîtrise, avec leur esprit d'égoïsme étroit et jaloux, prennent un caractère d'exclusivisme autoritaire, qui en font la négation même du principe de la liberté du travail et de la liberté individuelle.

Les secondes, s'étendant sur un champ plus vaste, sont, par là même, pendant quelque temps du moins, plus tolérantes.

C'était toute une organisation savante et compliquée que celle des institutions de patronage, avec leurs corps de métier, leurs maîtrises et leurs jurandes.

Les ouvriers exerçant le même métier formaient le corps de métier, le commun ou la communauté du métier, la corporation'.

Chaque branche d'industrie était le domaine exclusif d'une corporation fermée, qui avait seule le droit d'exercer la profession. Elle était composée de maîtres, de valets ouvriers, d'apprentis, engagés par serment à observer les règlements prescrits et à res

1 Il y avait des corporations de femmes, et l'on cite les statuts, remontant à 1299, de l'association qui fabriquait les bourses dites aumônières sarrasinoises.

B

pecter l'autorité des jurés dans leurs fonctions de surveillance 1.

La maîtrise était la communauté de ceux qui avaient été reçus maîtres ou prud'hommes et qui seuls dirigeaient l'atelier.

Tenant leurs lettres de maîtrise directement du roi ou des grands officiers de la Cour qui les leur vendaient, les maîtres interdisaient l'exercice de leur profession à tout ouvrier, parisien ou étranger, qui n'avait pas été admis dans la communauté.

« Cette subordination, cette dépendance hiérarchique, gênaient assurément l'ouvrier, disent MM. Lespinasse et Bonnardot; mais, grâce au lien établi par la communauté, il n'avait pas à craindre l'isolement; il trouvait une garantie de travail et de ressources qui suffisait à ses besoins. >>

En principe, on ne pouvait faire partie de deux communautés à la fois, et les membres d'un même corps de métier ne pouvaient s'associer entre eux pour exploiter une industrie ou faire le commerce sous le nom de Compagnie, soit qu'on voulût par là protéger efficacement le monopole ou qu'on craignît un accaparement exagéré de la fabrication.

Les communautés avaient, chacune, des règlements particuliers; et cet amour du particularisme les amena à se diviser le plus possible, de façon à

1 Nous empruntons ces détails à la remarquable étude de MM. Lespinasse et Bonnardot, qui ont publié, en 1879, à l'imprimerie nationale, une nouvelle édition du Livre des métiers d'Etienne Boileau.

faire valoir plus aisément leurs usages et leurs prérogatives.

La maîtrise avait à sa tête une jurande, ou corps de jurés, syndics, prud'hommes élus, gardes du métier1. Choisie par le suffrage de l'ensemble des ouvriers de la corporation ou désignée par eux au choix du prévôt de Paris, qui l'investissait des pouvoirs nécessaires à ses fonctions, la jurande administrait la communauté.

Les jurés exerçaient une véritable juridiction corporative. Ils fixaient l'époque des assemblées et les présidaient, dressaient les délibérations, recevaient et jugeaient le chef-d'œuvre exigé dans la plupart des cas pour la réception à la maîtrise, protégeaient les ouvriers et apprentis, visitaient les boutiques et magasins, pour y saisir et confisquer la mauvaise marchandise ou les ouvrages défendus; en un mot, ils faisaient observer les règlements et statuts; et, de plus, chargés des deniers communs du corps,

1 A Toulouse, on les appelait bayles. « Le bayle, nommé pour la première fois à ces fonctions, était tenu d'offrir aux maîtres du métier un gracieux repas. »

Les bayles avaient à leur disposition des agents ou mandes, chargés de les suppléer dans la partie matérielle de leur fonction. Les prud'hommes élus ou courtiers toulousains servaient, dans la fabrication en gros, d'intermédiaires entre les maîtres des métiers et les acheteurs (V. du Bourg).

2 Les statuts des pâtissiers leur prescrivent « de se rendre à la réunion, vêtus d'une manière convenable, sans leurs tabliers, avec leurs chausses et leurs souliers » (V. du Bourg, loc. cit.).

ils étaient les ordonnateurs du produit des aumônes; car, à côté du corps de métier, il y avait la confrérie, sorte de caisse de secours, qui s'alimentait d'une partie des droits d'entrée et des amendes, mais ne disposait, à titre de cotisation ou de contribution quelconque, d'aucune ressource régulière.

Pour devenir maître, il fallait, à moins d'être fils de maître, passer par l'apprentissage.

L'apprentissage imposait d'onéreuses conditions. Le nombre des apprentis était limité.

Ce n'est qu'après avoir accompli le long stage imposé par les règlements1, pour qu'il eût la pleine connaissance de son métier, que l'apprenti avait droit à un salaire.

Il devenait alors ou maître, avec droit de diriger un atelier et de prendre à son tour des apprentis, ou valet, c'est-à-dire ouvrier à gages.

<«< S'il était admis à la maîtrise, il prêtait, en présence de nombreux témoins, jurés, maîtres et valets, serment d'observer en tous points les us et coutumes du métier.

<<< La réception à la maîtrise était l'occasion d'une réunion et d'une cérémonie à laquelle devaient prendre part tous les gens du métier.

<< Les candidats se rendaient à la porte de la mai

1 « En Lorraine, l'apprenti, avant de prendre un engagement définitif avec le maître chez lequel il voulait entrer, devait passer chez ce dernier 15 jours d'épreuve et 15 jours de repentir » (A. Gérard, Corps d'arts et métiers en Lorraine).

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