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Barbiers-chirurgiens de robe courte et chirurgiens

de robe longue,

Bouchers de Paris et bouchers forains,

Marchands de la haute Seine et marchands de la

basse Seine,

La hanse parisienne et la hanse de Rouen,

Coiffeurs et perruquiers?

A Nîmes, en 1765, les perruquiers se plaignaient que le Parlement de Toulouse eût autorisé les chirurgiens à friser et à accommoder les perruques!

En 1771, les perruquiers de Nancy intentent un procès aux coiffeurs pour leur faire défense de coiffer les dames'.

Pendant 120 ans, un procès divise les poulaillers et les rôtisseurs, pour savoir si ceux-ci ont le droit de vendre cuits, ou crûs seulement, le gibier et la volaille; et, par arrêt du 29 juillet 1628, le Parlement tranche gravement le différend.

Défense aux rôtisseurs de « faire noces et festins. »> Il leur sera permis seulement, à l'avenir, de vendre à leur comptoir « trois plats de viande bouillie et trois plats de fricassée, pour la commodité du public. »

Tout cela était odieux et ridicule. Mais n'est-ce pas le propre de tout monopole d'étendre son autorité aussi loin qu'elle peut aller?

En vain, avait-on essayé de résister; en vain, l'au

1 V. Plaidoyer pour F. Lagrange contre les maîtres et jurés du corps des perruquiers de Nancy.

torité royale avait-elle, par instants, quand elle imposait silence à ses intérêts du moment, flétri la vénalité des offices et proclamé la liberté du commerce et du travail. Les corporations avaient la vie dure, et l'on pouvait dire de leurs monopoles ce que Tacite disait des Cimbres, qu'on en avait plus triomphé qu'on ne les avait vaincus.

« En résumé, la maîtrise, c'est le roi absolu, la tradition, la hiérarchie inflexible, la négation du droit au profit du privilège, la consécration d'inégalités de hasard, fondées sur la naissance, et qui peuvent être en sens inverse de l'inégalité réelle, c'està-dire de celle qui est fondée sur le mérite. C'est l'oppression de la liberté individuelle; c'est le communisme aristocratique 1. »>

VIII. A côté des corporations, nous l'avons dit déjà, s'était développé le compagnonnage, premier embryon des sociétés de secours mutuels.

Le jour où l'ouvrier, ayant conquis son indépendance, a pu voyager à sa guise et faire librement son tour de France, il a, lui aussi, songé à s'associer pour être plus fort et pour trouver soins et secours, en cas de maladie, aide à sa veuve et à ses enfants, en cas de mort.

Mais, là aussi, l'égoïsme et l'esprit d'exclusion ne tardèrent pas à pénétrer dans la place, et l'on ne

1 J. Simon.

compta bientôt pas moins de trois groupes de compagnons les enfants de Salomon, ceux de Me Jacques, et ceux du père Soubise.

Les premiers, se recrutant parmi les tailleurs de pierre, les menuisiers, serruriers et charpentiers, comprenaient des compagnons étrangers ou loups, des compagnons du Devoir de la liberté ou Gavots, et des compagnons de liberté.

Les seconds étaient divisés en compagnons passants ou loups-garous, et compagnons du Devoir ou Dévorants.

Les troisièmes, sous le nom de Bons-Diables, avaient pour adeptes les charpentiers, couvreurs et plâtriers'.

Tous les compagnons faisaient partie d'un Devoir, et se promettaient aide et assistance. C'est chez la mère qu'ils se réunissaient, et le rouleur (chacun étant rouleur à son tour) avait mission de convoquer l'assemblée.

C'est lui encore qui accueillait les arrivants, les embauchait, faisait la conduite à ceux qui partaient, après avoir vérifié s'ils laissaient des dettes parmi les compagnons ou chez la mère.

Les formes de réception étaient mystérieuses et solennelles, les rites étranges, les pratiques gênantes et coûteuses.

'Nous empruntons tous ces détails à l'excellent article publié par M. Léon Say dans le Dictionnaire d'Économie politique.

Et cependant, il y avait dans l'origine de cette institution comme un souffle de chevalerie et de grandeur. Quoi de plus touchant que de voir le plus ancien compagnon, dans la ville où l'ouvrage venait à manquer, céder la place au plus jeune et continuer son tour de France!

Comme on se met allègrement en route!

Deux compagnons se rencontrent-ils en chemin, si l'on est du même groupe, et suivant le Devoir auquel on appartient, on hurle ou on tope.

Mais malheur à qui n'est pas du Devoir : les rivalités dégénéreront en luttes sanglantes'.

Ainsi organisé, le compagnonnage devint une force, avec laquelle il fallut désormais compter. Mais il y avait parmi les compagnons un mélange singulier de violence, de patience, d'imprévoyance et de calcul. Les saines notions d'économie politique n'avaient pas encore pénétré dans leur esprit, et les vexations et l'intolérance n'étaient pas moindres que dans les corps de métier.

L'indépendance était impossible, et le Devoir interdisait tout travail à ceux qui n'étaient pas compagnons. On damnait le camarade, on damnait la boutique du maître, on damnait la ville, comme cela se fit en 1670!

En vain défendra-t-on, comme en 1539, les « congrégations et monopoles du fait du métier », les

1 On cite encore celle qui eut lieu, à Lyon, en 1820!

coalitions ne se produiront pas moins, et la grève éclatera sans merci, semant la misère et ne guérissant pas le mal 1!

En un mot, au moment où nous sommes parvenus, on peut dire qu'avec le compagnonnage, tel qu'il était pratiqué, il n'existait ni liberté du travail, ni liberté individuelle.

IX. Il était donc grand temps que sonnât l'heure d'une réforme.

Ce sera l'éternel honneur de Turgot d'en avoir été le précurseur.

En 1776, s'était produite une hausse exorbitante des denrées nécessaires à la subsistance du peuple, et Turgot était convaincu que « ce n'est que par la concurrence la plus libre qu'on peut arriver à leur donner leur véritable prix. » Aussi demanda-t-il d'abord la suppression des communautés de bouchers. et de boulangers.

Puis, dans le but d'attirer en France les ouvriers de l'étranger et d'élever notre industrie à la hauteur des besoins nouveaux, ce grand homme de bien s'attaqua hardiment aux jurandes et maîtrises.

Son préambule de l'édit de février 1776 est une œuvre magistrale, où les grandes pensées viennent

1 Citons les grèves de Lyon, en 1541 et 1744, et celle de Rouen, en 1697. Des lettres patentes du 2 janvier 1749 (art. 3), renouvelées par celles de 1781 (art. 7), ont inutilement tenté de remédier à cet état de choses.

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