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droit du cœur. On ne saurait imaginer plus noble langage:

« Nous devons à tous nos sujets, fait-il dire à Louis XVI, de leur assurer la jouissance pleine et entière de leurs droits; nous devons surtout cette protection à cette classe d'hommes qui, n'ayant de propriété que leur travail et leur industrie, ont d'autant plus le besoin et le droit d'employer dans toute leur étendue les seules ressources qu'ils aient pour subsister.

« Nous avons vu avec peine les atteintes multipliées qu'ont données à ce droit naturel et commun des institutions, anciennes à la vérité, mais que ni le temps, ni l'opinion, ni les actes même émanés de l'autorité qui semble les avoir consacrés, n'a pu légitimer.

<«< Dans presque toutes les villes de notre royaume, l'exercice des différents arts et métiers est concentré dans les mains d'un petit nombre de maîtres, réunis en communauté, qui peuvent seuls, à l'exclusion de tous les autres citoyens, fabriquer ou vendre les objets de commerce particulier dont ils ont le privilège exclusif; en sorte que ceux de nos sujets qui, par goût ou par nécessité, se destinent à l'exercice des arts et métiers, ne peuvent y parvenir qu'en acquérant la maîtrise, à laquelle ils ne sont reçus qu'après des épreuves aussi longues et aussi nuisibles que superflues, et après avoir satisfait à des droits ou à des exactions multipliées, par lesquels une partie des fonds dont ils auraient eu besoin pour monter leur commerce ou leur atelier, ou même

pour subsister, se trouve consommée en pure perte. « Ceux dont la fortune ne peut suffire à ces pertes sont réduits à n'avoir qu'une subsistance précaire sous l'empire des maîtres, à languir dans l'indigence, ou à porter hors de leur patrie une industrie qu'ils auraient pu rendre utile à l'État.

«Toutes les classes de citoyens sont privées du droit de choisir les ouvriers qu'ils voudraient employer, et des avantages que leur donnerait la concurrence par le bas prix et la perfection du travail. On ne peut souvent exécuter l'ouvrage le plus simple, sans recourir à plusieurs ouvriers de communautés différentes, sans essuyer les lenteurs, les infidélités, les exactions que nécessitent ou favorisent les prétentions de ces différentes communautés et les caprices de leur régime arbitraire et intéressé.

<< Ainsi, les effets de ces établissements sont, à l'égard de l'État, une diminution inappréciable de commerce et de travaux industrieux; à l'égard d'une nombreuse partie de nos sujets, une perte de salaires et de moyens de subsistance; à l'égard des habitants des villes en général, l'asservissement à des privilèges exclusifs, dont l'effet est absolument analogue à celui d'un monopole effectif : monopole dont ceux qui l'exercent contre le public, en travaillant et en vendant, sont eux-mêmes les victimes dans tous les moments où ils ont, à leur tour, besoin des marchandises ou du travail d'une autre communauté.

« Ces abus se sont introduits par degrés; ils sont

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ordinairement l'ouvrage de l'intérêt des particuliers qui les ont établis contre le public; c'est après un long intervalle de temps que l'autorité, tantôt surprise, tantôt séduite par une apparence d'utilité, leur a donné une sorte de sanction.

« La source du mal est dans la faculté même, accordée aux artisans d'un même métier, de s'assembler et de se réunir en un corps.

<< Il paraît que, lorsque les villes commencèrent à s'affranchir de la servitude féodale et à se former en communes, la facilité de classer les citoyens par le moyen de leur profession introduisit cet usage inconnu jusqu'alors. Les différentes professions devinrent ainsi comme autant de communautés particulières, dont la communauté générale était composée. Les confréries religieuses, en resserrant encore les liens qui unissaient entre elles les personnes d'une même profession, leur donnèrent des occasions plus fréquentes de s'assembler et de s'occuper dans ces assemblées de l'intérêt commun des membres de la société particulière, qu'elles poursuivent avec une activité continue, au préjudice des intérêts de la société générale.

<< Les communautés, une fois formées, rédigèrent des statuts, et, sous différents prétextes de bien public, les firent autoriser par la police.

« La base de ces statuts est d'abord d'exclure du droit d'exercer le métier quiconque n'est pas membre de la communauté. Leur esprit général est de restreindre, le plus qu'il est possible, le nombre des

métiers, de rendre l'acquisition de la maîtrise d'une difficulté presque insurmontable pour tout autre que pour les enfants des maîtres actuels. C'est à ce but que sont dirigées la multiplicité des frais et des formalités de réception, les difficultés du chef-d'œuvre, toujours jugé arbitrairement, surtout la cherté et la longueur inutile des apprentissages et la servitude prolongée du compagnonnage, institutions qui ont encore l'objet de faire jouir les maîtres gratuitement pendant plusieurs années du travail des aspirants...

:

« Les communautés s'occupèrent surtout d'écarter de leur territoire les marchandises et les ouvrages des forains elles s'appuyèrent sur le prétendu avantage de bannir du commerce des marchandises qu'elles supposaient être mal fabriquées. Ce motif les conduisit à demander pour elles-mêmes des règlements d'un nouveau genre, tendant à prescrire la qualité des matières premières, leur emploi et leur fabrication..... »

Puis, après avoir fait connaître les entraves qui arrêtaient tout développement et tout progrès : « Nous ne suivrons pas plus loin, ajoute Turgot, l'énumération des dispositions bizarres, tyranniques, contraires à l'humanité et aux bonnes mœurs, dont sont remplies ces espèces de codes obscurs, rédigés par l'avidité, adoptés sans examen, dans des temps d'ignorance, et auxquels il n'a manqué, pour être l'objet de l'indignation publique, que d'être con

nus..... >>

<< L'habitude prévalut, continue-t-il encore, de

regarder ces entraves mises à l'industrie comme un droit commun. Le gouvernement s'accoutuma à se faire une ressource de finance des taxes imposées sur les communautés, et de la multiplication de leurs privilèges... La finance a cherché de plus en plus à étendre les ressources qu'elle trouvait dans l'existence de ces corps.....

<< C'est sans doute l'appât de ces moyens de finance qui a prolongé l'illusion sur le préjudice immense que l'existence des communautés cause à l'industrie et sur l'atteinte qu'elle porte au droit naturel. Cette illusion a été portée chez quelques personnes jusqu'au point d'avancer que le droit de travailler était un droit royal, que le prince pouvait vendre et que les sujets devaient acheter.

« Nous nous hâtons de rejeter une pareille maxime. << Dieu, en donnant à l'homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme; et cette propriété est la première, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes.

« Nous regardons comme un des premiers devoirs de notre justice et comme un des actes les plus dignes de notre bienfaisance, d'affranchir nos sujets de toutes les atteintes portées à ce droit inaliénable de l'humanité nous voulons, en conséquence, abroger ces institutions arbitraires..... >>

X. Turgot ne s'était pas trompé. Dès qu'ils furent connus, ces codes obscurs furent l'objet d'une im

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