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lui votre hommage en leur personne; pour moi, je le prie que, pour sa gloire, pour votre salut, pour le bonheur et la paix de la patrie, il vous rende illustre et heureux et vous fasse arriver à une fin paisible et bonne.

LETTRE XCIII.

(Écrite l'an 1132.)

A HENRI, ÉVÊQue de winchesTER 1.

Il lui écrit une lettre de compliments.

A l'illustre seigneur Henri, évêque de Winchester par la grâce de Dieu, Bernard, abbé de Clairvaux : le salut dans le Seigneur.

J'ai déjà appris avec joie de plusieurs personnes, que notre humilité n'avait pas peu trouvé grâce auprès de Votre Grandeur. Je ne le mérite pas, mais je n'en suis pas ingrat. Aussi je vous rends pour votre amitié une amitié, sinon de même valeur, au moins telle que je puis la donner. Je ne crains pas en vous l'offrant, ou plutôt en vous la rendant, que vous la méprisiez, si peu qu'elle vaille, puisque vous avez bien voulu la demander tendrement et que vous avez daigné la prévenir. Mais avant de vous écrire plus longuement, j'attends de savoir par votre réponse, si vous daignez m'en faire une, comment vous aurez reçu ces quelques mots. Ce qu'il vous plaira de m'écrire ou de me mander verbalement, vous pouvez parfaitement le confier à l'abbé Oger, par qui vous recevrez cette lettre. Nous sollicitons aussi pour lui Votre Excellence; que ceci le fasse connaître de vous et vous le recommande comme un homme très-recommandable par sa probité, sa science et sa religion.

1 Henri était neveu par sa mère d'Henri Ier roi d'Angleterre, frère d'Étienne lui-même, roi d'Angleterre, et fils d'Étienne, comte de Blois. Sa mère, la comtesse Adèle, lui fit prendre en 1126, la tonsure à Cluny, pour ne pas paraitre, dit la chronique, n'avoir des enfants que pour le siècle. Il devint abbé de Glaston et ensuite évêque de Winchester en 1128. Saint Bernard se plaint de lui dans la lettre 237 au pape Eugène, parce qu'il avait sacré Guillaume, évêque intrus d'York. Il paraitrait aussi qu'il aurait sacré saint Thomas de Cantorbéry. Pierre le Vénérable lui écrivit plusieurs lettres pour l'engager à venir finir ses jours à Cluny. Vaincu par ses instances et par celles du pape Adrien IV et de Louis roi de France, il fit passer secrètement ses richesses à Cluny et y arriva en 1155, sans la permission du roi d'Angletere. Il paya pour le monastère une dette de quarante mille livres, y nourrit quatre cents religieux, fit faire quarante calices pour célébrer la messe, et donna encore à l'Église une étoffe de soie d'un grand prix. Il ensevelit de ses propres mains Pierre le Vénérable en 1157, puis il retourna dans son diocèse, où il mourut en 1171.-Du Chêne, notes sur la bibliothèque de Cluny.— Spicilegium, tome VIII, p. 150. Lettres de Pierre le Vénérable, liv. IV, let. 24 et 25.

LETTRE XCIV.

(Écrite l'an 1132.)

A L'ABBÉ D'UN MONASTÈRE D'YORK D'OU LE PRIEUR S'EN ÉTAIT ALLÉ AVEC QUELQUES FRÈRES ',

1. Vous m'écrivez d'au-delà des mers pour me demander un conseil; plût à Dieu que yous l'eussiez demandé de préférence à un autre ! En effet, je suis pressé de deux côtés. Si je ne vous réponds pas, mon silence aura un certain air de mépris. Or je ne vois pas de moyen de vous répondre sans péril, puisque, quoique je dise, je serai forcé de causer du scandale à l'un ou de donner à l'autre de la sécurité plus qu'il n'en faut, ou tout au moins en un point sur lequel il ne faut pas en avoir. Si vos frères se sont éloignés de vous, cela ne s'est fait d'après les exhortations ni les conseils de nous, ni des nôtres, que je sache. Nous croyons plutôt que ce qui n'a pu être empêché par tant d'efforts, est venu de Dieu. Nous pensons aussi que ces religieux ont là-dessus le même sentiment que nous, eux qui nous demandent si instamment conseil sur eux-mêmes parce que leur conscience sans doute leur reproche d'être retournés en arrière. D'ailleurs ils sont heureux d'après l'Apôtre, s'ils ne se condamnent pas eux-mêmes en ce qu'ils veulent faire *. Quant à moi qui suis interrogé, comment ferai-je pour ne déplaire à personne, soit par mon silence,

1 Ce monastère était celui de Sainte-Marie d'York. Il fut fondé en 1088 par le comte Alain, fils de Guy, comte de Bretagne, dans une église dédiée à saint Olavus et située prês d'York. Le roi Guillaume le Roux, dédia plus tard cette église à la sainte Vierge. On mit dans ce monastère des moines Bénédictins qui vinrent sous la conduite d'un a bé Étienne, et y firent fleurir la règle de Saint-Benoit jusqu'en 1132, époque à laquelle sous la direction de Geoffroy, troisième abbé de SainteMarie, et à qui est probablement adressée notre lettre, un certain relâchement pénétra dans le monastère. A ce moment la règle de Citeaux introduite en Angleterre en 1128, commençait à y jouir d'une grande réputation. Pris d'un saint zèle, douze religieux de Sainte-Marie, après avoir demandé sans succès à leur abbé la permission de passer chez les Cisterciens, recoururent à la protection de Turstin, évêque d'York, et en 1132 ils quittèrent le monastère sous la direction du prieur Richard. Turstin les reçut dans son palais, leur donna un lieu inculte et sauvage sur la Riponne, et le jour de Noël installa solennellement Richard comme abbé de ce nouveau monastère. Ce monastère prit le nom de Fontaine et fut remis sous la direction de saint Bernard qui envoya le religieux Geoffroy d'Amaie pour y établir la règle de Citeaux. L'abbé de Sainte-Marie réclama, écrivit aux évêques et aux abbés du voisinage, à saint Bernard lui-même; mais l'évêque Turstin les défendit auprès du métropolitain Guillaume, archevêque de Cantorbéry. Saint Bernard les défendit également (Voy. let. 94, 96, 313).

2 Rom., XIV, 22.

soit par ma réponse? Peut-être m'en tirerai-je en adressant ceux qui me consultent à un homme plus savant que moi et dont l'autorité est plus respectable et plus sainte que la mienne. Le pape saint Grégoire dit dans le livre pastoral: « Tout homme qui s'est proposé de pratiquer un bien plus grand se rend illicite le bien moindre qu'il pouvait faire auparavant. » Pour le prouver, il rapporte ce témoignage de l'Évangile qui dit : Quiconque ayant mis la main à la charrue, regarde en arrière, n'est pas propre au royaume des cieux 1. Et il ajoute : « Or celui qui s'était appliqué à une entreprise plus difficile, est convaincu de regarder en arrière, si, renonçant à ces biens plus grands, il retourne aux moindres 2. » Le même dit encore dans sa troisième homélie sur Ezechiel: « Il y en a qui font les biens qu'ils connaissent, et qui, en les faisant, s'en proposent de meilleurs; mais se rétractant ensuite, ils changent cette vie meilleure qu'ils s'étaient proposée. Ils font sans doute les biens qu'ils avaient commencés; mais ils succombent dans ces biens plus grands qu'ils avaient entrepris. » Au jugement des hommes, ces gens paraissent persister dans leur œuvre, mais aux regards du Dieu tout-puissant ils ont succombé dans leur résolution.

2. Voilà le miroir. Que vos religieux y considèrent, non leur visage du jour de leur naissance, mais l'acte de leur retraite. Qu'ils s'y examinent, qu'ils se jugent devant leurs propres pensées qui les accusent ou les défendent, et en présence de ce juge spirituel qui juge tout et n'est jugé lui-même par personne. Mais qu'y a-t-il de plus grand ou de moindre, de plus élevé ou de plus bas, de plus rigoureux ou de plus relâché; est-ce ce qu'ils ont quitté ou ce qu'ils ont repris? je n'aurai certainement pas la témérité de le décider. Qu'ils l'apprécient eux-mêmes ! Voilà ce que leur dit également saint Grégoire. Mais à vous, mon révérend Père, je vous déclare avec autant de certitude que de sincérité, qu'il n'est pas bon pour vous de vouloir éteindre l'esprit : N'empêchez pas celui qui peut bien faire, mais faites bien vousmême si vous pouvez . Il vaut mieux se glorifier du progrès de ses fils, parce que le fils sage est la gloire de son pères. Au reste, que personne ne me sache mauvais gré de n'avoir pas caché dans mon cœur la justice de Dieu; peut-être en ai-je, pour éviter le scandale, dit moins que je n'aurais dû.

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LETTRE XCV.

(Écrite l'an 1132.)

A TURSTIN, ARCHEVÊQUE D'YORK.

Il loue sa charité et sa bienfaisance envers les religieux.

A son très-cher père et révérend seigneur Turstin, par la grâce de Dieu évêque d'York, Bernard, abbé de Clairvaux, envoie mille compliments.

L'éclat de vos œuvres et le parfum de votre réputation concourent à votre gloire, ainsi que je m'en suis aperçu. Les œuvres prouvent que la réputation n'était ni fausse ni vaine, puisque la réalité elle-même rend manifeste ce que la renommée dans son vol avait déjà répandu partout. Combien à présent surtout le zèle de la justice n'a-t-il pas brillé en vous; combien l'énergie sacerdotale ne s'est elle pas élevée et affermie pour la défense des pauvres, et des pauvres qui n'avaient pas de protecteur? Autrefois, sans doute, toute l'Église des saints racontait vos œuvres de miséricorde et vos aumônes. Mais cela vous était commun avec beaucoup d'autres, car c'est ce que l'on exige de tous ceux qui possèdent les richesses de ce monde. Mais cette œuvre épiscopale, cet exemple si éclatant d'une charité paternelle, cette ferveur vraiment divine avec laquelle sans doute celui qui prend pour ses anges des esprits, et pour ministre, un feu dévorant, a enflammé et armé votre zèle, tout cela, dis-je, a ajouté un singulier honneur à votre dignité, un lustre à votre emploi, un ornement à votre couronne. Autre chose est de soutenir l'estomac de celui qui a faim; autre chose, de se montrer plein de zèle pour la sainte pauvreté. Là on sert la nature, ici la grâce. Vous visiterez votre semblable, est-il dit, et vous ne pécherez plus1. Ainsi, celui qui soulage le corps du prochain se préserve du péché, mais celui qui honore la sainteté d'autrui se charge de fruits. C'est pourquoi il est dit: Que votre aumône sue dans votre main, jusqu'à ce que vous trouviez un juste pour la lui donner. Quels en seront les fruits? Que celui qui reçoit un juste en qualité de juste recevra la récompense du juste. Payons à la nature sa dette pour ne point pécher, et soyons les auxiliaires de la grâce pour mériter aussi d'en devenir participants. Nous admirons sans doute en vous ces deux mérites, mais en reconnaissant que l'un et l'autre vous ont été donnés d'en haut. Aussi que tout le bien temporel

1 Job., V, 24. 2 Matth., X, 41.

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Il les loue de leur renouvellement dans la discipline religieuse.

Quelles grandes choses nous avons apprises et entendu dire par nos frères, les deux Geoffroy! Ils nous ont annoncé comment depuis peu vous aviez été réchauffés par le feu du Seigneur et guéris de votre faiblesse, et comment vous aviez refleuri dans une sainteté nouvelle. C'est là le doigt de Dieu opérant avec délicatesse, renouvelant avec suavité, transformant avec succès et rendant, non pas les méchants bons, mais les bons meilleurs. Qui me donnera de passer chez vous et de voir ce grand spectacle? Car ce progrès n'est ni moins étonnant ni moins agréable que la première conversion; il est même beaucoup plus facile de trouver un grand nombre de gens du monde qui se convertissent au bien, qu'un seul religieux, passant du bien au mieux. Oiseau rare sur la terre que celui qui s'élève même légèrement au-dessus du degré qu'il a pu toucher une fois par hasard en religion. Ainsi, mes bien-aimés, votre action, aussi glorieuse que salutaire, ne nous réjouit pas seulement, nous qui désirons ardemment être les serviteurs de Votre Sainteté, mais elle réjouit encore à bon droit toute la cité de Dieu, car ce qui est plus rare n'en est que plus éclatant. Mais il était nécessaire par précaution de franchir cette médiocrité voisine de la défaillance et de renoncer à cette tiédeur qui provoque Dieu à vomir; et même la conscience exigeait qu'il en fût ainsi. Vous avez senti, en effet, s'il était sûr à ceux qui ont

1 Richard était ce prieur du monastère de Sainte-Marie d'York qui en sortit avec douze religieux, comme nous l'avons dit ci-desss, note sur la lettre 94. Il mourut à Rome; il eut pour successeur dans son monastère un autre Richard, qui avait été prêtre dans le même monastère, et qui mourut ensuite à Clairvaux. Le monastère de Fontaines dans le diocèse d'York passa à la règle de Citeaux, l'an 1132. On raconte des choses merveilleuses de la ferveur de ces moines. Voy. Monasticum Anglicanum, tom. 1, p. 733, 744. Voy. encore ci-dessous let. 313 et 320.

fait profession d'une règle sainte, de s'arrêter à un degré au-dessous de la pureté de cette règle. Je m'afflige et je gémis, de ce que, pressé par les tourments du jour et par l'impatience du courrier, je sois forcé d'exprimer par une maigre lettre la plénitude de mon affection et de renfermer dans un papier trop court mon ample charité. S'il manque quelque chose, le frère Geoffroy1 y suppléera de vive voix.

LETTRE XCVII.

(Écrite vers l'an 1132.)

AU DUC CONRAD 2.

Il le détourne de faire la guerre au comte de Genève, de crainte qu'il ne s'attire la vengeance de Dieu.

1. Toute puissance vient de Celui auquel le Prophète a dit : La puissance est à vous, le gouvernement est à vous, Seigneur; vous êtes au-dessus de toutes les nations. C'est pourquoi, illustre prince, j'ai cru convenable d'avertir Votre Excellence de la déférence qu'elle doit avoir pour ce Maître terrible, pour Celui qui ôte la vie aux princes. Le comte de Genève, comme nous l'avons appris de sa propre bouche, s'est offert et s'offre encore à vous faire justice sur tous les griefs que vous dites avoir contre lui. Si après cela vous continuez à envahir une terre étrangère, à détruire les églises, à incendier les maisons, à exiler les pauvres, à commettre des homicides et à répandre le sang humain, il n'est pas douteux que vous n'irritiez contre vous le Père des orphelins et le Juge des veuves. Lorsque vous l'aurez irrité, vous n'aurez pas de profit à combattre, quels que soient votre courage et le nombre de vos soldats. Car il importe peu au tout-puissant Seigneur des armées que ceux auxquels il veut donner la victoire soient nombreux ou non, puisqu'il a fait, quand il l'a voulu, qu'un homme en a

1 Ce Geoffroy, homme religieux et saint, fondateur et réformateur de plusieurs monastères, fut envoyé à Fontaines par saint Bernard pour en former les religieux à la règle de Citeaux.

2 Conrad, duc de Zeringen, songeait en effet, en ce temps-là, à faire la guerre à Amédée, comte de Genève, comme le rapporte Samuel Guichenon dans son Histoire des ducs de Savoie. Zeringen était un château maintenant ruiné, à un demi-mille de Fribourg en Brisgau. C'est de là que les ducs de Zeringen prirent leur titre ; ils tiraient leur origine des comtes de Habsbourg; ils parurent au temps de l'empereur Henri III et s'éteignirent en 1357, en la personne d'Egon, leur sixième descendant. Voy. Munster Cosmog. liv. III.

3 Paral. XXIX, 11.

mis un millier en fuite, et que deux en ont fait fuir dix mille'.

2. Voilà ce que, touché par les cris des pauvres, pauvre moi-même, j'ai voulu écrire à Votre Magnificence; car je sais qu'il est plus glorieux pour vous de condescendre aux demandes des humbles, que de céder aux ennemis. Ce n'est pas que je croie votre ennemi plus courageux que vous, mais je sais que le Dieu tout-puissant est plus puissant encore et qu'il résiste aux superbes, tandis qu'il donne sa grâce aux humbles. J'aurais été vous trouver, noble seigneur, si j'en avais eu le loisir. Mais j'ai pris soin de vous envoyer aujourd'hui, à ma place, ces religieux de notre monastère; j'ai l'espoir qu'ils obtiendront de Votre Dignité, par leurs prières et par les nôtres, ou un complet accord, si faire se peut, ou tout au moins une trève, pendant laquelle il vous será permis de travailler à une paix durable, conformément à la volonté de Dieu, à votre gloire et au salut de la patrie. Au reste, si vous n'acceptez point la justice qui vous est offerte, si vous n'avez pas d'égard à nos prières, ou plutôt si vous n'écoutez pas Dieu qui, en notre personne, vous avertit dans l'intérêt de votre salut, que lui-même voie et juge. Car nous savons, et c'est ce que nous redoutons à juste titre, que de si grandes armées peuvent difficilement en venir aux mains sans un carnage considérable des deux côtés.

LETTRE XCVIII.

DES MACHABÉES; ON IGNORE A QUI CETTE LETTRE EST ADRESSÉE 2.

Il répond à cette question: Pourquoi entre tous les justes de l'ancienne loi, l'Église n'a-t-elle consacré un jour de fête qu'aux Machabées?

1. Foulques, abbé d'Épernay 3, m'avait déjà écrit au sujet de ce que votre charité a fait

1 Deut., XXXII, 30.

Presque tous les manuscrits portent ce titre ; cependant dans un manuscrit de Citeaux on trouve la suscription suivante : On la suppose écrite à Brunon de Cologne, sur le martyre des Machabées. Cette supposition parait reposer sur ce qu'on conservait à Cologne des reliques des Machabées; mais ces reliques n'y furent apportées qu'après la mort de saint Bernard, par l'évêque Rainauld qui les avait obtenues à Milan de l'empereur Frédéric Ier. Une ancienne édition donne pour suscription à cette lettre: On suppose qu'elle était adressée à Hugues de Saint-Victor.

3 Foulques fut le premier abbé du monastère de Saint-Martin à Épernay dans le diocèse de Reims; il venait de l'abbaye de Saint-Léon de Toul, et il fut mis à la tête de l'abbaye de SaintMartin en 1128, aussitôt que l'ordre des Chanoines réguliers

demander à ma petitesse par le frère Hescelin. Je ne lui ai rien répondu; je voulais, si par hasard je trouvais là-dessus quelque opinion des Pères, la lui transmettre plutôt que de lui donner une explication nouvelle, ou qui vînt de nous. Mais cela ne se rencontrant pas facilement, je vous fais, en attendant, connaître à tous deux mon propre sentiment, afin que, si l'un d'entre vous vient à lire, à apprendre, ou à penser lui-même sur cette petite question quelque chose de plus raisonnable, il ne néglige point à son tour de m'en faire part. Vous demandez donc pourquoi nos pères ont jugé bon d'accorder aux seuls Machabées, entre tous les justes de l'antiquité, ce privilége singulier, qu'une fête solennelle serait célébrée chaque année en leur honneur dans l'Église, comme pour nos martyrs. Si je dis qu'ils ont été avec raison jugés dignes de la gloire des martyrs, puisqu'ils ne leur ont pas été inférieurs par le courage dans la souffrance, j'aurai peut-être trouvé pourquoi on les a choisis, mais non pas encore pourquoi on les a choisis seuls; car, il est certain qu'il y en a d'autres parmi les anciens qui ont succombé avec une piété aussi ardente et qui n'ont pas mérité cependant d'être honorés avec la même allégresse. Que si la solennité d'une fête est enlevée à ces derniers sans injustice, parce que leur époque leur a ôté ce que leur vertu leur ⚫ avait donné, pourquoi la même considération ne s'est-elle pas présentée au sujet des Machabées? Eux aussi, en raison de leur époque, ne sont point montés de suite aux joies du ciel, mais sont descendus dans les tènèbres de l'enfer; car, on n'avait point encore vu apparaître le premier-né d'entre les morts, celui qui devait ouvrir aux croyants le royaume des cieux, c'est-à-dire l'Agneau de la tribu de Juda, Celui qui ouvre sans que personne ferme, Celui pour l'entrée duquel il serait dit avec une autorité souveraine aux puissances supérieures: Levez vos portes, & princes; levez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera 1. Or, s'il ne paraît pas convenable de se souvenir avec joie d'une mort qui n'a point conduit à la joie, qu'on fasse de même pour ceux-ci, ou si l'on veut leur accorder les honneurs d'une fête à cause du mérite de leurs vertus, pourquoi ne l'accorde-t-on pas également à ceux-là?

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2. Faut-il dire que sans doute pour tous,

eut été introduit à Épernay sur le conseil de saint Bernard et de Guy son frère. L'église de Saint-Martin fut fondée par le comte Odon. Voy. Spicileg., t. XII, p. 281.

1 Ps. XXIII, 7.

comme pour les martyrs, la religion a été la cause de la mort, mais que la mort ne s'est pas présentée aux uns et aux autres dans une forme identique? Tous les martyrs, en effet, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, se ressemblent en ce point qu'ils sont morts également pour la justice; mais ils diffèrent en ce que les derniers souffraient parce qu'ils observaient la justice; les premiers, parce qu'ils reprenaient ceux qui ne l'observaient point; les uns, parce qu'ils ne l'abandonnaient pas ; les autres, parce qu'ils annonçaient la perte des hommes qui l'abandonneraient. Pour résumer brièvement tout ce qui les distingue, ceux-ci ont été martyrs de leur pratique de la justice; ceux-là de leur amour pour elle. Seuls parmi les anciens, les Machabées ont gardé, non seulement le principe, mais encore, comme je l'ai dit, la forme du nouveau martyre; et, en conséquence, ils ont justement peut-être obtenu dans l'Eglise la gloire d'être fêtés de la même façon que les nouveaux martyrs de l'Église. Car, de même que nos martyrs, on voulut les contraindre de sacrifier aux dieux étrangers, d'abandonner la loi et la patrie, de transgresser même les commandements de Dieu; ils refusèrent, et ils moururent.

:

3. Ce n'est point ainsi que sont morts Isaïe ni Zacharie, ni même enfin ce grand prophète Jean-Baptiste. Le premier, comme on le rapporte, fut coupé avec une scie; nous lisons que le second fut tué entre le temple et l'autel1; le troisième fut décapité dans une prison. Si l'on demande par qui: par des injustes et par des impies. Pour quelle cause? Pour la justice et pour la religion. Comment? Moins en confessant la justice et la religion, qu'en les proposant. Ils proposaient la vérité à ceux qui la haïssaient la vérité attirait sur eux la haine, et la haine, la mort. Quoique injustes et impies, les hommes ne persécutaient pas tant en eux la religion qu'ils ne la repoussaient de soi, et ils attaquaient moins en eux la justice qu'ils défendaient en soi leur propre injustice. Autre chose est de défendre son bien, autre chose d'envahir celui d'autrui. Il n'y a pas d'identité entre ne pas vouloir suivre la vérité et la persécuter; entre haïr ceux qui croient et s'indigner de leurs reproches; entre fermer la bouche d'un confesseur et supporter impatiemment la réprimande d'un censeur. Enfin Hérode envoya chercher Jean et l'emprisonna. Pourquoi? parce qu'il prêchait le Christ, parce qu'il était un homme juste et bon ? Tout au contraire, il 1 Matth., XX, 33.

le respectait davantage à cause de cela et il faisait beaucoup de choses d'après ses avis. Mais c'est que Jean reprenait Hérode à cause d'Hérodiade femme de son frère Philippe1; voilà pourquoi il fut enchaîné, voilà pourquoi il fut décapité; et s'il souffrit pour la vérité, ce n'est pas qu'il fût contraint de la renier; c'est qu'il parut la défendre. De là vient que le supplice d'un si grand martyr est célébré avec moins d'éclat que la fête de plusieurs autres saints qui sont beaucoup moins grands que lui.

4. Assurément si les Machabées avaient souffert pour la même cause et de la même façon, on ne ferait d'eux aucune mention. Mais comme une confession de la vérité identique à celle des martyrs chrétiens les a rendus semblables à ces derniers, c'est avec raison qu'un culte semblable leur est rendu. Qu'on ne s'arrête point à ce qu'ils n'ont pas, comme les martyrs, souffert nommément pour le Christ, car il n'y a pas de différence à souffrir sous la Loi pour les observations légales, ou sous la Grâce pour les commandements évangéliques. Dans les deux cas on est connu comme souffrant pour la vérité et par conséquent pour le Christ qui a dit: Je suis la vérité. Ainsi, les Machabées ont en cette occasion tiré plus de profit de la nature de leur martyre que de leur courage, puisque l'Église ne rend pas à présent de pareils honneurs même à ceux de nos pères qui ont en ce temps-là combattu pour la justice avec un courage égal. Je pense que l'on n'a pas cru convenable de célébrer par un jour de fête une mort qui, si glorieuse qu'elle fût, précédait la mort du Christ, surtout puisqu'avant cette passion qui portait le salut avec elle, ce n'étaient point de joyeuses fêtes, mais de ténébreuses retraites qui recevaient les défunts. L'Église, comme on l'a dit, a jugé sagement qu'il fallait faire exception pour les Machabées parce que le genre de leur martyre leur donnait ce que leur refusait leur temps.

5. Nous honorons ainsi par un culte solennel, bien qu'ils soient descendus dans les enfers, non pas seulement les Machabées, mais encore ceux qui ont prévenu par leur mort la mort de la Vie déjà manifestée dans la chair, et qui l'ont fait soit comme Siméon et Jean-Baptiste, en mourant pendant que cette Vie était sur la terre, soit même en mourant pour elle, comme les Innocents. De plus pour ces derniers il eût été injuste assurément que l'innocent mourant pour la justice fût, même pendant un moment, privé de quelque gloire. Jean aussi 1 Marc, VI, 17, 28. ? Jean, XIV, 6.

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