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la chrétienté où il avoit reçu le baptême. Ce malheureux fit présenter au Roi un mémoire où il avoit écrit les noms de tous les Missionnaires qu'il connoissoit, et s'offroit de découvrir les lieux qu'ils fréquentoient et où ils faisoient quelque séjour. Le Roi reçut ce mémoire, et l'ayant lu, il donna ordre qu'on s'assurât de la personne de l'accusateur, dans le dessein de le donner pour guide aux soldats qu'il enverroit à la recherche des Missionnaires; mais soit que le Roi ait fait dans la suite peu d'attention à ce mémoire, soit que l'apostat n'ait pas réussi dans ses criminelles intentions, elles ont été jusqu'ici sans aucun effet.

Nonobstant ces exécutions cruelles, et les continuelles recherches des soldats qui répandent la terreur dans tout le royaume, la foi des fidèles est plus ferme que jamais, et leur troupeau s'accroît tous les jours. Il est à croire que ce redoublement de ferveur dans les Chrétiens, et la conservation de leurs pasteurs, sont le fruit des mérites et de l'intercession de ces quatre illustres confesseurs de Jésus-Christ, qui, maintenant au ciel, deviennent les protecteurs de cette

mission.

EXTRAIT

D'un Mémoire sur les différens objets de commerce qui ont cours à la Cochinchine et au Tunquin.

AVANT d'entrer dans le détail des différens objets de commerce qui ont cours à la Cochinchine et au Tunquin, il est à propos de raconter en peu de mots la manière dont le premier de ces deux états fut érigé en royaume. La Cochinchine n'étoit encore, vers la fin du XVIe siècle, qu'une simple province du

royaume de Tunquin. La guerre que l'empereur de la Chine y porta, occasiona, dans ce pays, le changement de l'ancien gouvernement. Les conquêtes du monarque chinois furent si rapides, que le roi de Tunquin ne trouvant plus aucun moyen d'échapper aux poursuites de son ennemi, forma la résolution de prévenir, par une mort volontaire, l'esclavage ou les supplices que son vainqueur lui destinoit. Mais au moment où ce malheureux prince alloit s'étrangler, un des grands de sa cour lui représenta qu'il étoit facile d'arrêter le conquérant, et qu'il se chargeoit de l'entreprise. En effet, ce seigneur s'étant mis à la tête des troupes, marcha droit à l'ennemi, dont il balança tellement les forces, qu'il fut obligé d'en venir à un accommodement. La paix fut conclue à condition que les Tunquinois enverroient tous les ans une ambassade à Pekin, avec un homme d'or de la hauteur d'une coudée, un genou en terre, la tête baissée, et portant en main une lance, le fer en bas. Ce traité rétablit le calme et la paix dans le royaume; mais après la mort du souverain, il s'éleva des esprits ambitieux qui démembrèrent l'état et le partagèrent, ce qui n'arriva qu'après des guerres longues et cruelles qui mirent tout le royaume en sang. Cependant la face des affaires ayant changé, on convint de former deux monarchies indépendantes l'une de l'autre. Telle est la véritable époque de l'érection de la Cochinchine en royaume.

Lorsque les Japonais avoient la liberté de porter aux autres nations les denrées de leur pays, le commerce de la Cochinchine étoit beaucoup plus florissant qu'aujourd'hui; mais l'insatiable avidité de certains peuples européens, qui ne manquoient pas tous les ans d'y envoyer trois ou quatre navires, l'a pour ainsi dire anéanti. Les principales marchandises qui ont cours dans ce royaume, sont le salpêtre, le soufre, le plomb, les toiles fines, les chites carrées,

les chites longues à fleurs, etc.; les perles, l'ambre et le corail y étoient autrefois d'un grand débit; présentement il n'y a que les deux derniers objets qui soient de vente, encore faut-il que les grains du corail soient bien ronds, bien polis, et d'un beau rouge. Pour l'ambre, il doit être extrêmement clair, les grains égaux, et n'excéder pas la grosseur d'une noisette ordinaire. Quant aux marchandises qu'on peut tirer de Cochinchine, les principales sont le poivre, les soies, les sucreries, les bois de calamba et d'ébène, les nids d'oiseaux, l'or en poudre ou fondu, qui ne se vend que dix poids d'argent, et enfin le cuivre et les porcelaines qu'on y transporte de la Chine et du Japon.

On ne sait pourquoi les marchands européens se plaignent des droits d'entrée, de sortie et d'ancrage. Ces droits sont en Cochinchine de très-petite conséquence; ceux de la douane ne montent qu'à trois ou quatre pour cent. Il est vrai quà larrivée d'un navire, on ne peut en transporter quoi que ce soit sans être visité. Les officiers de la douane font décharger le vaisseau, pèsent et comptent jusqu'aux moindres pièces, et s'emparent ordinairement de ce qu'ils y trouvent de plus précieux, pour l'envoyer au Roi, qui en retient ce qu'il juge à propos, en payant. Si le Roi seul en usoit ainsi, le mal ne seroit pas bien grand; mais on prétend que les grands de la cour suivent son exemple, et ne payent pas; que les plus belles marchandises du vaisseau, se dissipant de cette manière, il n'y reste plus que des denrées communes, qui seules, ne sont plus de défaite. Cet inconvénient, tout inévitable qu'il paroît, n'est pas absolument sans remède. Lorsque les Hollandais envoyoient en Cochinchine, de Surate et de Coromandel, des vaisseaux chargés de toiles, de plomb, de salpêtre, etc., on leur laissoit leurs denrées, parce qu'ils avoient la précaution de payer tous les ans une certaine

somme pour chaque navire. Les autres nations auroient pu en agir de même; mais, en voulant s'exempter d'un tribut modique, qu'il étoit sage de payer, elles ont porté un coup mortel à leur commerce. D'ailleurs, depuis quelques années, les Cochinchinois se sont beaucoup modérés, et quelles que soient leurs manoeuvres, elles n'approchent pas de celles des Tunquinois, dont le commerce fleurit cependant toujours par leurs rapports constans avec les étrangers. Si le commerce des Européens avec les Cochinchinois a baissé, on ne doit l'attribuer, ni aux droits d'entrée et de sortie, ni aux visites rigoureuses des douaniers, mais à la cause que j'ai indiquée, et qui, bien approfondie, ne donne pas une idée fort avantageuse du désintéressement de nos marchands.

L'argent du Japon est le seul qui ait cours en Cochinchine; on le reçoit au poids, selon la quantité que les négocians en apportent. La monnaie du pays est de cuivre; elle est ronde, large comme nos jetons ordinaires, et trouée par le milieu, afin de pouvoir l'enfiler en forme de chapelet, trois cents d'un côté et trois cents de l'autre, ce qui passe chez les Cochinchinois pour un mille, parce qu'en six cents il se rencontre dix fois soixante, ce qui fait un siècle chez presque tous les peuples orientaux. Il n'est peut-être pas de pays dans le monde où les marchands se trompent plus facilement. par le moyen de cette monnaie, surtout à leur arrivée. Cela vient de ce que les pièces sont égales en figure et en matière, et que la différence qui en règle le prix, ne consiste que dans les caractères qui y sont imprimés. D'un côté, il y a quatre lettres chinoises, et rien de l'autre. La prudence exige qu'on ait des personnes affidées pour décider de la bonté et de la valeur des pièces, et qu'on en spécifie toujours la nature dans ses marchés; avtrement, on court grand risque d'être la dupe des marchands cochinchinois, qui avec un

caractère assez franc, s'applaudissent néanmoins toujours d'avoir trompé un européen.

Il y a quelques années que les négocians de Macao faisoient de très-grands profits sur la monnoie, parce qu'alors le roi de Cochinchine n'en faisoit point battre encore à son coin, et qu'elle venoit toute du dehors. Mais depuis que le prince a une monnaie particulière, les étrangers ne peuvent plus en faire aucun commerce, si ce n'est qu'ils soient résolus à y perdre au moins moitié; car, comme j'ai dit, les lettres chinoises qui y sont imprimées, en font toute la valeur. J'ai cru devoir faire mention de cet article, pour prévenir les risques que les négocians, peu instruits des usages du pays, pourroient courir.

On a répandu le bruit en Europe que quand un vaisseau marchand échoue ou relâche en Cochinchine, le Roi s'empare des effets, si le gouvernail du navire est rompu. C'est un bruit sans fondement. Lorsqu'un vaisseau fait naufrage, il est mieux reçu en Cochinchine que partout ailleurs. On lui envoie des barques pour sauver l'équipage, on fait plonger et jeter des filets dans la mer pour recouvrer les marchandises; enfin, on n'épargne ni soins ni peines pour remettre le vaisseau en état. Il est vrai que les Cochinchinois dépouillèrent, il y a quelque temps, deux gros bâtimens hollandais qui avoient relâché sur leurs côtes; mais on ne doit pas oublier la petite guerre qu'il y avoit eu auparavant entre ces deux nations; guerre qui leur a inspiré l'une pour l'autre une aversion qui a suspendu leur commerce réciproque. Voilà sans doute l'origine des bruits injurieux qu'on a fait courir en Europe contre les Cochinchinois.

Je ne vois que deux choses qui puissent nuire aux étrangers; encore est-il facile d'en éviter une. La première regarde la sortie des navires. Quand on attend la veille, ou le jour du départ, pour demander

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