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>> Pompone paffe dans la Grande-Bre»tagne, où, pendant tout le temps que » dura certe Ambaffade, il fe rendit fi admirable aux yeux de toute la Cour & » de tout le Peuple d'Angleterre, qu'en "effet ce Héros ne leur étoit gueres » moins cher qu'à la France. Cette pré» fence fi agréable, cet air fi doux, fa » converfation toute galante lui gagna » bientôt tous les cœurs ; mais fur-tout » le cœur du Roi : & ce ne fut pas fans >> une fecrete conduite de la Providence qu'il fe trouva dans ces lieux au point » fatal qu'on alloit immoler à l'Idole de » l'héréfie tant de milliers de victimes. innocentes; car il fut à peine arrivé à Londres, qu'on renouvella les fanglans Edits de la Reine Elifabeth, & de ce » Prince malheureux qui fut le premier » déferteur de la piété & de la foi de fes peres. Une vapeur noire fortie de l'abîme avoit empoifonné les efprits; jamais danger ne fut plus proche ni plus » affreux déja le gla ve eft levé, les ouailles faintes du vrai Pasteur trem» blent. Ames fidelles ! confolez-vous; > l'Ange du Seigneur eft à vos portes; » voilà l'Enfer défarmé; l'appareil de ce facrifice d'abomination eft par terre l'éloquence de Pompone, fes prieres

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>> fes ardentes follicitations ont enfin ému les entrailles du Monarque, vain» cu la haine des Peuples, & confondu l'orgueil & la rage des Démons. La nouvelle d'un évenement fi inopiné pafla bientôt dans tous les climats du » monde chrétien. L'Eglife qui voit ses » Enfans heureufement délivrés, adore » le doigt de Dieu dans ce grand fuccès, » & bénit en même temps la fage main qui fut l'organe des miféricordes & de la puiffance du Ciel.

Tous ces récits font vraiment épiques, & il ne ferviroit de rien d'objecter que le style d'une Oraison funebre doit être différent de celui de 1 Epopée ; il doit être le même, lorfqu'il est question de récit héroïque.

Jene vois que l'Hiftoire, qui, dans le récit des évenemens les plus importans & les plus glorieux, ne s'éleve gueres jufqu'à la fublimité du Poëme épique; mais c'est par une raifon particuliere, c'eft parce que la fimplicité étant la marque la plus fenfible de la vérité, eft auffi la feule éloquence qui convienne à l'Hiftoire. Les tours brillans, les images fublimes, les figures hardies, les grands traits d'élaquence, fi néceffaires à l'Orateur, fe

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roient fufpects chez l'Hiftorien, auquel on ne doit pourtant pas les interdire, mais qui doit les employer avec plus de fobriété.

Les récits des Plaidoyers & des Fac tums font en général les moins fufcep tibles d'ornemens; tout épisode en doit être banni, parce qu'il faut toujours cou rir d'un pas rapide à l'évenement ; le ftyle pompeux a peine à y trouver place, parce qu'il eft rare que les évenemens foient d'un affez grande importance pour permettre tant de fublimité. Il n'eft queftion pour l'ordinaire que de préfenter avec netteté, avec précifion, & dans un jour favorable à fa caufe, les faits qui doivent être l'objet d'une difcuffion judiciaire. L'art confifte à retrancher tout détail inutile, à affoiblir l'impreffion des faits qui pourroient paroître peu avantageux à la cause qu'on défend, à laiffer entrevoir toute la force des raifons qu'on fe propofe de faire valoir, fur-tout à donner à tous fes faits les couleurs de la vraifemblance, & le ton de la vérité, ce qui fera fort aifé fi on óbferve en effet de ne s'attacher qu'au vrai,premier devoir de l'honnête homme,

Pour tous les récits qui ne font, ni épi»

ques, ni judiciaires, ni écrits par des Hiftoriens, nous n'avons pas de meilleur modele à propofer que Madame de Sévigné, qui, avec fa fimplicité charmante, ⚫ favoit mettre un intérêt infini dans tout ce qu'elle contoit. Quelle vivacité ! Quel feu dans cette relation de la mort du malheureux Vatel, Maître-d'Hôtel de M. le Prince!

» Le Roi arriva le jeudi au foir à Chantilly: la promenade, la collation dans un » lieu tapiffé de jonquilles tout cela fut à » fouhait. On foupa; il y eut quelques ta»bles où le rôti manqua, à caufe de plu»fieurs diners, à quoi l'on ne s'étoit pas >> attendu : cela faifit Vatel; il dit plufieurs fois, je fuis perdu d'honneur, voici un affront que je ne fupporterai pas. Il dit à » Gourville, la tête me tourne, il y a dou»ze nuits que je n'ai dormi ; aidez-moi à * donner des ordres. Gourville le foula»gea en ce qu'il pût. Le rôti qui avoit

manqué, non pas à la table du Roi, mais aux vingt-cinquiemes, lui reve» noit toujours à la tête. Gourville le dit à M. le Prince. M. le Prince alla jufques dans fa chambre, lui dit: Vatel, tout va bien, rien n'étoit fi beau que le fou» per du Roi, Il répondit : Monseigneur,

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votre bonté m'acheve; je fais que le rôti a manqué à deux tables. Point du » tout, dit M. le Prince, ne vous fâchez pas, tout va bien. La nuit vint, le feu » d'artifice ne réuffit pas, il fut couvert d'un nuage; il coûtoit feize mille » francs. A quatre heures du matin Vatel » s'en va par-tout, il trouve tout endor> mi; il rencontre un petit Pourvoyeur » qui lui apportoit feulement deux charges de marée. Il lui demanda, eft-ce là tout? Il lui dit, oui, Monfieur. Il ne favoit pas que Vatel avoit envoyé à tous les Ports de Mer. Vatel attend » quelque temps; les autres Pourvoyeurs ne vinrent point : fa tête s'échauffoit ; » il crut qu'il n'auroit point d'autre marée il trouva Gourville, il lui dit, » Monfieur, je ne furvivrai point à cet » affront-ci. Gourville fe moqua de lui: » Vatel monte à sa chambie, met fon »épée contre la porte, & fe la paffe au » travers du cœur; mais ce ne fut qu'au >> troisieme coup, car il s'en donna deux » qui n'étoient pas mortels; il tombe » mort. La marée cependant arrive de

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tous côtés:on cherche Vatel pour la dif20 tribuer; on va à fa chambre, on heurte, ≫ on enfonce la porte, on le trouve noyé dans fon fang; on court le dire à M. le

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