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toine, ayeul du Triumvir, avoit arrêté & fléchi les meurtriers envoyés par Marius: la férocité de ces affaffins étoit défarmée, lorfqu'Annius leur chef, qui étoit refté à la porte de la Maifon, entra dans la chambre d'Antoine, & lui coupa la tête de fa propre main.

M. de Voltaire a fait une heureufe application de cette aventure au célebre Amiral de Coligny, & il met dans la bouche de ce grand homme un difcours pathétique & touchant.

A cet air vénérable, à cet augufte aspect, Les meurtriers, furpris, font faifis de respect : Une force inconnue a fufpendu leur rage. » Compagnons,leur dit-il, achevez votre ouvrage; Et de mon fang glacé, fouillez ces cheveux >> blancs

Que le fort des combats refpecta quarante ans. >>Frappez, ne craignez rien, Coligny vous >>> pardonne,

>>Ma vie eft peu de chofe, & je vous l'abandonne; »J'euffe aimé mieux la perdre en combattant

» pour vous. ...

Ces tigres à ces mots tombent à fes genoux; L'un, faifi d'épouvante, abandonne les armes ; L'autre embraffe fes pieds qu'il trempe de fes

larmes :

B

Et de les affaffins, ce grand homme entouré, Sembloit un Roi puiffant, par fon peuple adoré. Befme, qui dans la cour attendoit fa victime, Monte, tout indigné qu'on differe son crime :

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Et bientôt dans le flanc, ce monftre furieux
Lui plonge fon épée en détournant les yeux ;
De peur que d'un coup d'eil cet augufte vifage
Ne fit trembler fon bras, & glacât fon courage.

pas

Cicéron plaidoit pour Ligarius ; il s'agiffoit d'obtenir de Céfar la grace de cet homme. Tout autre que Cicéron ne l'eût pas entrepris: Célar tenoit dans fa main la fentence de proscription, & ne vouloit même entendre l'Orateur; cependant ily confentit en difant: Ecoutons Cicéron; mon parti eft pris, il n'en fera ni plus ni moins. Cicéron parla, & fon éloquence triompha de cette réfolution. Il ne sia point le crime, il ne juftifia point le cou pable; mais il fut fi bien profiter du penchant que Céfar avoit naturellement à la clémence, que le Dictateur attendri laiffatomber le papier qu'il tenoit dans fa main, & s'écria: Tu l'emportes, Cicéron; Cefar ne peut te réfifter.

Voilà fans doute des effets bien admirables de la force de l'Eloquence: mais fi, au lieu des mouvemens pathétiques dont 'oraison pour Ligarius eft animée ; au

C

fieu de la générofité héroïque & touchante qui brille dans le difcours de Coligny; au lieu de la véhémence & de la nobleffe que Marc-Antoine & Conftance dûrent mettre dans leurs harangues, ils euffent fubftitué les penfées fines, les Epigrammes, l'efprit après lequel on reproche à notre fiecle de courir; Conftance étoit peut-être détrôné; Ligarius certainement profcrit; Marc-Antoine & Coligny n'auroient pas fufpendu un feul moment la fureur de leurs affaffins.

C'est donc abufer de l'efprit, que de l'employer dans les occafions & dans les fujets qui demandent du pathétique & de la fublimité.

Que ce qu'on appelle efprit foit donc banni du Poëme épique & de l'Ode, parce que l'un & l'autre eft confacré au fublime; qu'il le foit de la Tragédie, dont les ornemens doivent être le pathétique, le touchant, le terrible; qu'il le foit furtout de la Chaire. L'Epigramme s'allie mal avec la fainteté des vérités éternelles, avec la gravité de l'inftruction morale : ufons-en fobrement au barreau où elle pourroit fouvent être déplacée, mais où la nature plaifante de certaines caufes permet quelquefois de l'admettie; & prodiguons-la dans les détails de la Comé

!

die où elle eft abfolument néceffaire, dans les fables, dans les contes, dans les tableaux critiques des mœurs, dans les madrigaux, dans les lettres, dans mille petits morceaux de Poéfie légere, &c. Blâmons le grand Corneille d'avoir femé dans fes fublimes Tragédies tant de penfées fines & fauffes, tant de petites fleurs, qui même n'auroient point été trop agréa bles dans les ouvrages les moins férieux : rions du bifarre entaffement de pointes & d'équivoques qui forme le ridicule Poëme de la Magdeleine. Plaignons le Pere le Moine d'avoir voulu mettre tant d'efprit dans fon Poëme épique de S. Louis: mais fachons gré à M. de Fontenelle d'en avoir tant mis en effet dans fes Mondes & dans fes Paftorales, & à M. de Voltaire d'avoir affaifonné tant de charmantes bagatelles de traits fi ingénieux, de plaifanteries fi fines, d'un badinage fi noble, fi léger, fi élégant; fachons eftimer cet art fi fin & fi délicat, avec lequel M. de Marivaux nous développe, nous analyfe jufqu'aux nuances les plus imperceptibles de nos idées & de nos fentimens,

Il en eft de l'efprit dans l'Eloquence, comme des paffions dans la Morale; les étouffer, les anéantir, feroit une chofe auffi inutile qu'impoffible: favoir, les

régler, les vaincre, les contenir dans leurs bornes légitimes, eft tout ce qu'il faut.

Au refte, ce reproche fi fouvent fait aux Auteurs de ce fiecle, de courir après l'efprit, ne viendroit-il pas de ce que des gens qui en ont fort peu, avec beaucoup de jaloufie, leur font un crime d'avoir mis tant d'efprit où il en falloit, & de n'en avoir point mis où il n'en falloit pas? C'est ce que je n'ai garde de décider. Seulement j'ofe croire en mon particu lier que notre excellent Poëte Epique, nos bons Auteurs Dramatiques, nos grands Orateurs de la Chaire & du Barreau ne courent pas tant après l'efprit que Corneille, & pas plus que les Racine, les Boffuet, les Bourdaloue, &c. & que fi on veut donner quelque fondement à ce reproche, il faut ne le faire tomber que fur nos mauvais Orateurs & nos mauvais Poëtes.

La Rhétorique n'a pas beaucoup de préceptes pour les ouvrages de fimple agrément : il eft bien difficile d'enfeigner aux hommes par principes à avoir de l'efprit, on ne peut que leur donner des exemples; & c'eft ce que nous ferons à l'article du ftyle fimple, auquel tous les petits ouvrages fe rapportent, & quel

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